Du 19 au 22 Avril à Genève, des responsables gouvernementaux, des dirigeants d’entreprises pharmaceutiques et des organisations caritatives se sont penchés sur les maladies tropicales négligées. Une liste de 17 maladies plus débilitantes les unes que les autres, mais qui n’émeuvent pas grand monde, pour des raisons plutôt inavouables. Le Burkina y était représenté par une délégation conduite par le ministre de la santé le Pr Nicolas Méda.
Ce manque d’intérêt évident des partenaires pour ces maladies tropicales négligées dont les conséquences sont catastrophiques pour de nombreux pays, s’explique malheureusement par des raisons bassement matérielles. C’est l’avis du ministre burkinabè de la santé Nicolas Méda :
« C’est probablement parce qu’il n’y a pas un marché pour vendre le médicament et s’enrichir sur le traitement de telles maladies. Il n’y a pas de marché parce que ce sont des maladies qui touchent les plus pauvres parmi les plus pauvres du monde. Et ce sont des maladies qui n’intéressent pas la recherche parce que globalement, les partenaires qui financent le plus la recherche, c’est l’industrie pharmaceutique. Et comme ils savent que les clients ne sont pas solvables, ils ne sont pas intéressés à mener de la recherche sur ces maladies ».
Ces maladies n’épargnent pas le Burkina Faso. Il y en a même jusqu’à 14, selon le ministre de la santé, qui touchent notre pays.
« Je ne vais pas vous énumérer toutes les 14 maladies, mais pour ne citer que les plus connues, vous avez les filarioses lymphatiques qui donnent des pieds d’éléphants aux personnes qui en sont atteintes, l’onchocercose qui rend aveugle, la bilharziose, la dengue, le trachome etc… Il y en a quatorze sur lesquelles nous nous battons ».
Collaborer. Accélérer. Éliminer
Voila, tout est dit. Des maladies de pauvres qui ne risquent pas de se transformer en pandémie menaçant la quiétude des plus riches. Et qui, (faut-il s’en réjouir?) ne tuent pas beaucoup. Maigre consolation, en réalité parce que les conséquences de ces maladies peuvent réduire à néant les efforts de développement d’un pays. Explications de Nicolas Méda :
« Globalement, ce sont des maladies invalidantes qui tuent très peu. Le trachome et l’onchocercose par exemple, peuvent rendre aveugle. Ce qui est invalidant. La filariose lymphatique avec les pieds d’éléphant ou les hydrocèles limite les possibilités de produire : La dengue peut nécessiter une hospitalisation parce que ce sont des maux de tête rebelles, intenables qui peuvent même causer le décès si c’est hémorragique. Donc ce sont des maladies qui ne tuent pas beaucoup mais qui invalident, défigurent comme c’est le cas pour la lèpre, qui stigmatisent et qui rendent improductifs ».
Le comble pour des pays pauvres qui ont besoin de bras valides pour s’en sortir.
Et pourtant, relève le ministre Méda, « avec peu de moyens on peut éliminer ces 17 maladies de la surface de la terre ». Pour lui, il faut de l’argent, mais il faut surtout un système de santé fort
qui permet de réaliser les interventions.
« Pour les maladies tropicales négligées, explique t-il, la plupart des interventions sont faciles à dérouler par des agents de santé communautaires. L’onchocercose, c’est un médicament, le Mectizan, à avaler deux fois par an, qui peut être distribué par un agent communautaire. Idem pour la filariose lymphatique et la bilharziose. Par contre, il y a des maladies telles que l’ulcère de buruli, la lèpre et le trachome qui, en cas de complications nécessitent des interventions chirurgicales. Pour les hydrocèles, il faut également des chirurgiens spécialistes. Des dermatologues sont en train d’être formés aujourd’hui pour pouvoir soigner avec la petite chirurgie, certaines anomalies de la peau causées par les maladies tropicales négligées. Sur les 17 maladies, près de 14 peuvent être soignées par des stratégies que la communauté elle-même peut mettre en œuvre. Il reste des maladies qui entraînent des plaies invalidantes, des déformations ostéo-musculaires et là, il faut de la chirurgie ou des soins qualifiés pour la prise en charge ».
Des résultats encourageants
C’est sans doute ce constat qui justifie les efforts soutenus de l’Organisation mondiale de la santé et des autorités sanitaires de ses pays membres pour plus d’engagement de la communauté internationale en faveur de l’élimination de ces maladies. Et les résultats, selon le dernier rapport de l’OMS sur les Maladies tropicales négligées intitulé « intégrer les maladies tropicales négligées dans la santé mondiale et le développement » , sont plutôt encourageants :
- 1 milliard de personnes traitées pour au moins une maladie tropicale négligée rien qu’en 2015;
- 556 millions de personnes ont bénéficié d’un traitement préventif pour la filariose lymphatique (éléphantiasis);
- plus de 114 millions de personnes ont été traitées contre l’onchocercose (cécité des rivières): 62% de celles qui en ont besoin;
- seulement 25 cas humains de dracunculose notifiés en 2016, ce qui met l’éradication de cette maladie à notre portée;
- le nombre des cas de trypanosomiase africaine (maladie du sommeil) a été ramené de 37 000 nouveaux cas en 1999 à bien moins de 3000 en 2015;
- le trachome – principale cause infectieuse de cécité dans le monde – a été éliminé des problèmes de santé publique à Oman, au Maroc et au Mexique. Plus de 185 000 patients ont eu une opération chirurgicale du trichiasis et plus de 56 millions de personnes ont reçu des antibiotiques rien qu’en 2015;
- leishmaniose viscérale: en 2015, la cible de l’élimination a été atteinte dans 82% des sous districts en Inde, 97% des sous districts au Bangladesh et 100% des districts au Népal;
- la Région des Amériques n’a enregistré que 12 décès humains dus à la rage en 2015, ce qui l’a amenée près de sa cible d’éliminer la rage chez l’être humain en 2015 au plus tard.
Au Burkina, les résultats sont tout aussi spectaculaires. Nicolas Meda :
« Nous avons déjà arrêté la transmission de la filariose lymphatique dans 45 districts sur 70. Pour l’onchocercose, nous avons arrêté la transmission dans 64 districts. Pour le trachome, le taux de prévalence se situait entre 15 et 20 %. Aujourd’hui nous sommes a moins de 5%. Si nous faisons ces progrès, l’accélération peut venir de plus de budget ou de plus d’engagement dans la lutte. Mais la meilleure manière d’avancer, c’est la multisectorialité. Toutes ces maladies existent à cause de la pauvreté. Donc s’il y a des progrès au niveau économique qui font que le nombre de pauvres diminue, les gens auront les ressources pour mieux se prendre en charge.
« N’oubliez pas le noma ! »
Même analyse au niveau de l’OMS ou l’on estime qu’il sera crucial d’atteindre les cibles mondiales en matière d’eau et d’assainissement. L’OMS estime que 2,4 milliards de personnes n’ont toujours pas accès à des installations d’assainissement de base, comme des toilettes ou des latrines, tandis que 660 millions continuent de boire de l’eau provenant de sources «non améliorées», eaux de surface, par exemple.
Pour le ministre burkinabè de la santé, « s’il y a de l’eau potable pour tous les Burkinabè, on en aura fini avec la plupart des maladies non transmissibles. L’autre chose, c’est l’assainissement. Donc il y a un espoir, dans la multisectorialité qui se complète par l’éducation. Si tout le monde est éduqué sur l’hygiène corporelle, environnementale et publique, on va y arriver. Donc la multisectorialité, les ressources et l’engagement de tous, sont les clefs de l’espoir à donner pour l’élimination des maladies tropicales négligées ».
Beaucoup de raisons d’espérer donc, surtout que le plaidoyer en direction des partenaires commence à porter des fruits. Des annonces ont été faites à ce sommet de Genève, par des pays, des agences de financement et des fondations. Ils ont promis 812 millions de dollars US.
Mais le Burkina y a fait un autre plaidoyer. C’est un véritable cri du cœur que le ministre de la santé a lancé, pour l’inscription du noma, « la pire maladie de la pauvreté », selon lui, sur la liste des maladies tropicales négligées.
Nous pensons que l’inscription du noma, « une maladie qui attaque surtout les enfants » sur la liste des maladies tropicales négligées est une priorité. Nous sommes soutenus en cela par le Nigeria qui a le plus grand nombre d’enfants atteints par le noma au monde et je pense que nous réussirons », a indiqué le Pr Nicolas Méda.
Mathieu Bonkoungou
Ambassade Mission permanente du Burkina à Genève