Dans un entretien accordé à Wakat Séra, la porte-parole de langue française du département d’État des États-Unis, Marissa Scott-Torres, estime que «les États-Unis ont intérêt à la réussite et au développement durable de l’Afrique».
Wakat Séra: Que pensez-vous de la politique africaine de Joe Biden?
Marissa Scott-Torres: L’Afrique est une priorité pour l’administration Biden. Nous entendons dialoguer avec les pays africains, rapidement et souvent, en tant que partenaires au service de nos valeurs et de nos intérêts communs – notamment la sécurité, la santé mondiale, le changement climatique, la liberté, la démocratie, et la prospérité commune. Un engagement cohérent à long terme de la haute direction en témoignera. Nos priorités politiques sont, entre autres, la consolidation des institutions démocratiques, la promotion d’une paix et d’une sécurité durables, de la croissance économique, du commerce et de l’investissement, et celle de la santé et du développement durable.
Qu’est-ce qui justifie l’intérêt de Joe Biden pour un continent que son prédécesseur a royalement ignoré?
L’engagement des États-Unis en Afrique protège les Américains et les Africains. Nous adopterons une approche holistique des défis en matière de sécurité, et ferons en sorte que les approches américaines de la sécurité et de la gouvernance se renforcent mutuellement et soient suffisamment complètes.
Pour l’Afrique, que réserve Joe Biden, comme avantages, notamment dans les échanges commerciaux et d’appui à la formation de la jeunesse?
Nous redynamiserons et renouerons nos partenariats sur tout le continent – en établissant des partenariats substantiels et réciproques avec les gouvernements, les institutions et les publics africains sur la base d’intérêts commun et du respect. L’âge médian des 1,3 milliard d’habitants de l’Afrique étant de 19 ans, sa jeunesse est l’une des ressources les plus importantes du continent. En soutenant l’Initiative pour les jeunes leaders africains (YALI), nous entendons travailler avec des partenaires des secteurs public, privé et de la société civile, sur tout le continent, pour créer des initiatives et des opportunités économiques et tirer parti de l’innovation et de l’énergie de la jeunesse africaine. L’étude des modalités d’un élargissement de YALI et de l’approfondissement de notre action auprès de la jeunesse africaine sera une priorité pour le Bureau Afrique.
Malgré le ton respectueux et solennel qu’il a utilisé, le discours de Joe Biden ne prend-il pas des allures paternalistes, infantilisant ainsi les dirigeants africains, s’adressant à eux la veille d’un sommet de l’Union africaine?
Le ton adopté est celui du partenariat, de la collaboration et de l’esprit de corps. Le nouvel occupant de la Maison-Blanche a évoqué nos défis communs et nos menaces existentielles. M. Biden a également veillé à ce que les dirigeants africains comprennent que l’Amérique est de retour et que son administration est «déterminée à reconstruire nos partenariats dans le monde et à renouer le dialogue avec des institutions internationales comme l’Union africaine», ainsi qu’à replacer la diplomatie au cœur de la politique étrangère américaine – un message important pour les dirigeants qui en doutaient, du fait de l’absence de communication avec l’administration précédente.
Que faut-il comprendre par la volonté de Joe Biden d’engager son administration dans un travail commun avec les pays du continent? Les pays africains peuvent-ils traiter d’égal à égal avec les Etats-Unis, considérés comme l’une des puissances du monde?
Nous travaillerons avec les gouvernements africains, le secteur privé américain et les institutions financières internationales, pour rétablir la croissance économique sur l’ensemble du continent, afin de faciliter le retour des économies africaines à l’une des croissances les plus rapides au monde, et de créer de nouvelles opportunités pour les entreprises américaines. Les États-Unis ont intérêt à la réussite et au développement durable de l’Afrique. Nous entendons œuvrer en partenariat, pour un commerce respectueux du climat qui permette aux travailleurs africains et américains de bien gagner leur vie. Nous savons que les entreprises américaines s’emploient déjà à tirer parti de ces opportunités et de ces marchés.
Joe Biden a demandé aux agences américaines présentes à l’étranger, de promouvoir les droits des lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres, queer et intersexes (LGBTQI+) dans le monde. Or en Afrique, ce sont des pratiques qui vont à l’encontre des mœurs. Mauvais casting du nouveau président qui veut se rapprocher des Africains mais heurte, en même temps, leur sensibilité?
Le président Biden est fermement convaincu que toutes les personnes doivent être traitées avec respect et dignité et pouvoir vivre sans peur, quelle que soit leur identité ou celles ou ceux qu’elles aiment. Il a signé un mémorandum présidentiel pour protéger et promouvoir les droits humains des personnes LGBTQI + dans le monde entier. Ce mémorandum s’appuie sur les directives initialement émises par le président Obama en 2011, et ordonne aux agences fédérales compétentes de travailler de manière constructive pour promouvoir la protection des droits humains des personnes LGBTQI + à l’étranger. Nous faisons preuve de leadership en matière de droits humains en renforçant les protections pour les plus vulnérables, y compris les personnes LGBTQI+. Ce mémorandum rétablit la clarté de la position américaine en demandant à tous les départements et agences intervenant à l’étranger, de veiller à ce que notre diplomatie et notre aide étrangère promeuvent et protègent les droits des personnes LGBTQI+, notamment la lutte contre la criminalisation du statut ou des comportements LGBTQI+.
Il élargit la gamme de nos réponses diplomatiques, en vue de la protection des personnes LGBTQI+, contre les violations des droits humains, prévoit la formation de coalitions avec la société civile et les organisations internationales, exige des rapports annuels du département d’État sur les violations des droits humains subies par les personnes LGBTQI+ dans le monde, et annule les politiques incohérentes dans les 100 jours suivant la signature
Les Etats-Unis sont très touchés par le Covid-19. Quels sont les impacts du fléau sur l’économie américaine?
La COVID nous a montré qu’aucune nation ne peut agir seule face à une pandémie. Le président Biden prend des mesures pour aider les populations les plus vulnérables du monde et protéger les Américains de la COVID-19. Alors que le virus continue de se propager à travers le monde et que de nouveaux variants émergent, il est clair qu’il est essentiel de vacciner le plus de personnes possible, le plus rapidement possible. Au G7, le président a annoncé la prise de mesures concrètes pour la santé et la sécurité des Américains, en protégeant les populations vulnérables du monde entier. Il appelle également les partenaires du G7 à privilégier la mise en place d’un mécanisme de financement durable de la sécurité sanitaire destiné à servir de catalyseurs pour les pays et à leur permettre d’acquérir les capacités nécessaires pour mettre fin à cette pandémie et prévenir la suivante.
Dans le cadre de la stratégie nationale américaine pour la réponse à la COVID-19 et la préparation à la pandémie, le président Biden a annoncé une série de mesures pour élargir les actions de dépistage, accroître la disponibilité des tests et mieux se préparer à faire face à la menace des variants. Nous continuerons de faire ce que nous savons être efficace pour protéger la santé publique: le port universel du masque, la distanciation physique et un dépistage solide.
Quelle est aujourd’hui la situation des vaccins aux Etats-Unis?
Grâce à des fonds affectés par un vote bipartisan du Congrès en décembre 2020, les États-Unis effectueront une contribution initiale de 2 milliards de dollars à Gavi, l’Alliance du vaccin, pour la garantie de marché COVAX, l’instrument de financement innovant de la Facilité COVAX qui facilite l’accès à des vaccins efficaces pour 92 économies à revenu faible et intermédiaire. Les États-Unis assumeront également un rôle de leader pour mobiliser de nouvelles contributions mondiales à COVAX, en débloquant 2 milliards de dollars supplémentaires en 2021 et 2022, dont les 500 premiers millions de dollars seront mis à disposition, lorsque les promesses existantes des donateurs seront tenues et les doses initiales seront livrées aux pays AMC.
En étroite coopération avec Gavi, ce financement supplémentaire de 2 milliards de dollars permettra d’élargir la portée de COVAX. Nous appelons également nos partenaires du G7, et d’autres, à travailler avec Gavi, à mobiliser des milliards de ressources supplémentaires pour faciliter la vaccination mondiale contre la COVID-19 et à s’attaquer aux besoins urgents en matière de fabrication, d’approvisionnement et de livraison de vaccins.
Durant le mandat du prédécesseur de Joe Biden, la protection de l’environnement contre les effets néfastes du changement climatique loin d’être priorisée, a été méprisée. Le président d’alors a même retiré les Etats-Unis de l’accord de Paris sur le climat. Qu’est-ce qui va changer sous Joe Biden?
Dès son premier jour, le président Biden a signé les documents nécessaires pour rejoindre l’Accord de Paris sur le climat. Il a déclaré que «nous prenons des mesures, dans le souci de donner l’exemple, qui ont pour objet d’intégrer des objectifs climatiques à tous les niveaux de notre action diplomatique et de faire passer nos objectifs climatiques à la vitesse supérieure». Ainsi, nous pouvons pousser d’autres pays, d’autres grands émetteurs, à revoir leurs propres engagements à la hausse. Il organise d’ailleurs un sommet pour traiter de la crise climatique, cette année, pour la Journée de la Terre. Le président Biden sait que nous devons nous mobiliser, comme jamais auparavant, pour relever un défi qui s’accélère rapidement et il sait que nous avons peu de temps pour le tenir sous contrôle. Nous avons déjà lancé nos travaux pour préparer une nouvelle contribution déterminée au niveau national (CDN) des États-Unis qui réponde à l’urgence du défi et nous avons l’intention d’annoncer notre CDN dès que possible.
Sur le plan international, nous avons l’intention de tenir notre promesse de financement en faveur du climat. A long terme, l’objectif de neutralité carbone, au plus tard en 2050, et le maintien d’une limite de 1,5 degré a portée de main, restent les meilleures politiques de résilience climatique et d’adaptation.
Les États-Unis travailleront donc sur trois fronts pour promouvoir l’ambition, la résilience et l’adaptation. Nous tirerons parti de l’innovation américaine, des données et des informations climatiques, pour favoriser une meilleure compréhension et une meilleure gestion des risques climatiques, en particulier dans les pays développés. Nous augmenterons sensiblement le flux de financement, notamment l’octroi de ressources financières à des conditions favorables, en faveur des initiatives d’adaptation et de résilience. Nous travaillerons avec les institutions bilatérales et multilatérales, pour améliorer la qualité des programmes de résilience. Et nous travaillerons avec le secteur privé aux États-Unis et ailleurs, dans les pays en développement, pour promouvoir une plus grande collaboration entre les entreprises et les communautés dont elles dépendent.
L’assassinat de George Floyd et d’autres exactions contre les noirs américains, ont remis au goût du jour, les violences et inégalités raciales. Joe Biden et son administration ont-ils les moyens d’atténuer le fléau, à défaut de pouvoir y mettre fin d’un coup de baguette magique?
Le président Biden a affirmé: «Un genou au cou de la justice a ouvert les yeux de millions d’Américains, puis a déclenché un été de manifestations et a remué la conscience de la nation». Nous n’avons jamais pleinement été à la hauteur des principes fondateurs de cette nation, à savoir que tous les peuples sont créés égaux et ont le droit d’être traités de la même manière tout au long de leur vie. Nous savons qu’il est plus que temps d’affronter les profondes inégalités raciales et le racisme systémique qui continuent de sévir dans notre pays. L’administration Biden-Harris s’engage à terminer le travail laissé en suspens et à tenir la promesse de l’Amérique pour les familles et les communautés noires et pour tous les Américains.
Dès son premier jour en fonction, le président Biden a signé un «décret présidentiel sur la promotion de l’équité raciale et le soutien aux communautés défavorisées par le gouvernement fédéral», pour commencer à relever le défi national de l’équité raciale. La lutte contre le racisme systémique et le rétablissement de la démocratie dans notre pays est un élément essentiel de la vision du président Biden, en matière de politique étrangère, car il sait que nous ne pouvons pas être des défenseurs crédibles de la démocratie et des droits de l’homme à l’étranger si nous ne démontrons pas notre engagement à cet égard sur notre territoire.
Quelle sera la politique des Etats-Unis dans la lutte contre le terrorisme et le grand banditisme en Afrique, notamment dans le Sahel où la France se démène presque toute seule, à travers la Force Barkhane?
Nous appuyons les objectifs de la Coalition internationale pour le Sahel visant à coordonner le soutien international apporté à la région, qu’il s’agisse de renforcer sa capacité à lutter contre le terrorisme ou de soutenir le développement économique.
Alors que Daech et les groupes affiliés à Al-Qaïda cherchent à étendre leur portée à travers l’Afrique, les États-Unis continueront de collaborer étroitement avec leurs partenaires africains. Nous nous appuierons sur les initiatives existantes en Afrique de l’Ouest et partagerons les enseignements tirés de la lutte mondiale contre l’extrémisme violent. Nous félicitons la Mauritanie d’avoir rejoint le Tchad et le Niger en tant que membres sahéliens de la Coalition mondiale contre Daech. Le travail tactique de lutte contre le terrorisme est essentiel. Mais à lui seul, il n’est pas suffisant. L’instabilité et la violence sont les symptômes d’une crise de légitimité de l’État. Les griefs sociaux historiques, le manque de services publics accessibles et l’exclusion des processus politiques, en particulier des communautés minoritaires ou marginalisées, tout ceci érode la légitimité des gouvernements aux yeux de la population.
De 2017 à 2019, le département d’État et l’USAID ont affecté plus de 600 millions de dollars à l’assistance humanitaire pour la région du G5 Sahel. Au cours de l’année 2020, le département d’État et l’USAID ont fourni une assistance humanitaire de près de 422 millions de dollars aux États membres du G5.
Il était même question de retrait, ou tout au moins, d’allègement de la présence militaire américaine sur le continent. Qu’en est-il de nos jours?
À la demande du président, le département de la Défense procède à un examen de la situation mondiale des forces militaires américaines, des ressources, de la stratégie et des missions. Ceci permettra d’éclairer les conseils au commandant en chef sur les meilleures modalités de répartition des forces armées au service des intérêts de la nation. Cette étude sera effectuée sous la direction du sous-secrétaire à la Défense par intérim chargé des politiques, en étroite consultation avec le président des chefs d’état-major interarmées.
Entretien réalisé par Wakat Séra