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Médias: «Réclamer 88 millions par an à nos télévisions, ce serait les liquider», Issoufou Saré

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Le Président UBESTV, Issoufou Saré

«Quand vous prenez les différentes entreprises de presse, beaucoup ont du mal à faire face convenablement à leurs charges. (…) Qu’on vienne encore alourdir ces charges avec 88 500 000 FCFA, à la limite, c’est comme si on voulait liquider nos télévisions», a réagi le président de l’Union burkinabè des éditeurs privés de services de télévision (UBESTV), Issoufou Saré, directeur général de BF1. Wakat Séra l’a rencontré le 8 novembre 2021 dans son bureau à BF1, où il s’est prononcé sur les 88 millions 500 mille FCFA que les chaînes de télévision privées doivent payer par an à l’Etat, au titre des redevances de diffusion à la Télévision numérique terrestre (TNT). Il a par ailleurs donné des pistes de solutions pour une meilleure qualité des contenus médiatiques au Burkina Faso.

Wakat Séra: Le 2 novembre dernier, la Société Burkinabè de Télévision (SBT) a informé que les éditeurs privés de chaînes de télévision qui ne sont pas à jour du paiement de leurs redevances de diffusion, ont jusqu’au 23 novembre 2021 pour le faire, au risque de se voir couper le bouquet TNT (Télévision Numérique Terrestre, ndlr). Deux jours plus tard, c’est-à-dire le 4 novembre, vous, éditeurs des services de télévision, vous avez déclaré que l’annonce de la coupure du signal est intervenue dans un contexte où des négociations et plaidoyers étaient en cours pour demander la réduction des coûts des redevances. Comment en est-on donc arrivé à cette annonce de la SBT? Pouvez-vous nous faire la genèse de cette affaire?

Issoufou Saré: En 2020, un montant a été adopté où on demandait aux télévisions privées de payer par an, la somme de 88 500 000 francs CFA. Nous avons trouvé que cette somme était fort élevée, quand on connait l’étroitesse du marché publicitaire burkinabè.

Mais au-delà de l’étroitesse de ce marché, il y a aussi la spécificité des médias, notamment des télévisions que nous avons, d’autant plus qu’en tant qu’entreprises, nous sommes amenés à assumer des missions de service public. Cela voudrait dire que ce n’est pas en tant que tel l’économico-financier qui est mis en avant, mais beaucoup plus le socio-culturel. De telles entreprises se doivent d’être traitées différemment comparées aux entreprises ordinaires. Mais dans notre cas, nous payons comme tout le monde, on ne fait pas de distinction.

Encore que l’Etat nous accorde une subvention qui oscille entre 7 et 11 millions de F CFA. Quand on offre une subvention à une entreprise ou à un secteur d’activité, c’est parce qu’on est conscient que cette entreprise ou ce secteur rencontre des difficultés pour remplir les missions de service public. Alors on ne peut pas donner entre 8 et 12 millions à une personne et après venir lui réclamer 88 500 000 F CFA, il y a une forme d’aberration.

C’est pourquoi nous disons qu’il faut que l’Etat revoie sa vision, non seulement des médias, mais sa communication aux niveaux national et international. Parce qu’aujourd’hui, nous sommes des instruments entre les mains de l’Etat pour repousser l’invasion culturelle, qui, de facto, s’impose à nous à travers notre contact avec le monde. Ce contact se fait avec des médias transnationaux, l’Internet, à travers une multitude de supports qui inondent notre paysage audiovisuel et qui tentent de faire de nos concitoyens, des citoyens d’autres cultures.

Ce sont autant d’éléments que nous avons pu avancer pour dire qu’il n’était pas assez juste de nous facturer à un tel montant au regard de tout ce que nous assumons comme mission de service public, mais également comme étant dernier rempart contre l’invasion culturelle venant d’ailleurs.

Mais est-ce que vous avez effectivement rencontré la SBT?

Depuis le début, plus de trois ans environ, nous sommes sur les échanges, les tractations se font. C’est vrai que la SBT continuait de nous envoyer les factures et nous enjoignait de payer, nous aussi, on continuait de rencontrer soit le ministre, soit le DG de la SBT pour lui faire part des difficultés que nous rencontrons, de la note salée que représentent ces factures.

Les dernières discussions que nous avons eues, c’était pour qu’on puisse revisiter le modèle économique, qui dès la base était un peu faussé. Le dernier Conseil des ministres nous a même donné raison à ce propos, parce qu’effectivement un rapport de modification du modèle économique a été adopté au sortir de ce Conseil de ministres.

Maintenant le problème pendant, c’est le passif de ces deux dernières années où on nous enjoignait de payer ce gros montant qui résulte selon nous d’une erreur de jugement et d’appréciation du secteur télévisuel. Quand on nous demande aujourd’hui, après ratification ou après avoir reconnu que le modèle économique n’était pas le bon, de payer les frais qui sont issus de cet ancien modèle économique, c’est comme si on avouait ne pas avoir totalement eu raison, mais qu’on ne veuille pas totalement assumer. Nous ne sommes pas dans un conflit avec l’Etat, ni dans un bras de fer avec la SBT. Nous avons même intérêt à ce que la SBT soit viable, et pour qu’elle soit viable, il faut qu’on trouve le bon modèle économique de sorte à assurer sa pérennisation.

Vous dites avoir eu des échanges, notamment avec la SBT, mais comment vous, éditeurs, avez-vous accueilli l’annonce de cette SBT qui vous donne un ultimatum d’environ deux semaines pour régler ces redevances?

Nous avons été surpris, parce que nous étions toujours en négociation, et cette négociation avait en ligne de mire aussi la rencontre avec le chef de l’Etat. Cette rencontre était prévue pour le 28 octobre, entre les acteurs médiatiques et le chef de l’Etat, mais avait été ensuite reportée pour une date ultérieure. Ce qui faisait qu’on se disait qu’à l’issue de cette rencontre, il y aurait des nouvelles intéressantes visant à revoir ce modèle économique.

Au cours de votre point de presse du 4 novembre, vous avez souhaité payer à l’Etat 36 millions par an, en lieu et place des 88 500 000 F CFA qu’on vous demande. Ne trouvez-vous pas que l’écart est un peu abyssal?

L’écart n’est pas abyssal, parce que ce montant est plus ou moins réaliste quand on considère notre terrain. Il est vrai que comparaison n’est pas raison, en Côte d’Ivoire, le marché publicitaire télé représente 11 milliards de chiffres d’affaires. Au Burkina Faso, nous sommes à moins de quatre milliards, alors que nous avons près de 17 chaînes de télévisions. Pendant ce temps, la Côte d’Ivoire avec ses 11 milliards, a tout au plus 7 chaînes de télé. Les éditeurs ivoiriens réclament de payer 40 millions pendant que l’Etat leur demande 150 millions. Ce débat y est également engagé comme chez nous ici, on n’est donc pas les seuls.

Du fait de la crise sanitaire, le gouvernement avait annoncé assurer 50% des charges des redevances. Estimez-vous cela insuffisant?

En 2020 effectivement, le président du Faso, dans le cadre de l’accompagnement des entreprises, du fait de la Covid-19, avait annoncé la prise en charge de 50%. On voudrait que cela soit appliqué à tout ce qu’il y a comme créance, c’est-à-dire depuis pratiquement 2020 et 2021. On voudrait qu’on revienne sur un montant assez réduit, et les trois millions sont  vraiment ce qu’il y a de l’ordre du l’ordre du supportable.

Quand vous prenez les différentes entreprises de presse, beaucoup ont du mal à faire face convenablement à leurs charges. Le peu d’argent qu’elles gagnent, soit elles l’investissent dans la production, soit dans la masse salariale. Même au niveau de la masse salariale, beaucoup d’entreprises ont du mal à respecter la Convention collective, pas parce qu’elles ne le voudraient pas, mais tout simplement parce que les moyens font parfois défaut. Qu’on vienne encore alourdir ces charges avec 88 500 000 F CFA, à la limite, c’est comme si on voulait liquider nos télévisions.

Les éditeurs privés de services de télévision que vous êtes, quelles solutions avez-vous à proposer, qui puissent vous convenir à tous?

Il y a le CSC (Conseil Supérieur de la Communication, ndlr) qui intervient comme médiateur, qui nous a entendus. Nous devons faire des propositions au CSC, en nous engageant à payer des montants qui seraient plus ou moins à notre portée, pour montrer notre bonne foi, en espérant que la rencontre avec le chef de l’Etat va déboucher sur des solutions.

Hormis cela, quand on regarde le modèle économique de la TNT, partout où elle a été implémentée, il a consisté à ce que tous les bénéficiaires puissent payer quelque chose. Et au nombre des bénéficiaires, il y a d’abord les téléspectateurs, qui ont une meilleure qualité d’image et de son, qui pourraient payer le bouquet à une somme de 500 FCFA le mois, soit 6000 FCFA l’année. Cela serait peut-être leur contribution à améliorer la qualité des contenus burkinabè.

Il y a les éditeurs de services télévision que nous sommes, il y a aussi les compagnies de téléphonie mobile qui bénéficient de la 4G à partir du projet TNT et qui paient à hauteur de 60 milliards chacune auprès de l’Etat. Donc il y a tellement de sources de financement du projet TNT, que l’on veuille aujourd’hui que ce soit les télévisions seules qui supportent les factures, c’est un peu injuste. Ce sont des pistes à prospecter également.

Dites-nous, vous en tant que patrons de chaîne de télévision, quels avantages il y a pour une télévision d’être sur le bouquet TNT que d’être sur Canal+?

Avec Canal+, certaines chaînes, pour le transfert de leur signal, paient moins de quatre millions par mois. Encore que tout le monde ne paie pas sur Canal+, parce que quand vous avez de belles performances, une bonne audience, des programmes de qualité, il peut arriver que vous ne payiez pas.

Sur le bouquet TNT, c’est un peu une obligation liée à notre Convention, qui voudrait que toute chaîne burkinabè qui existe, doit d’abord figurer sur le bouquet TNT par la SBT, avant d’être présente sur les autres supports. Donc quand vous êtes en conflit avec la SBT, que la SBT vous coupe, la loi vous interdit également d’aller sur les autres supports. Quand on veut exister comme chaîne de télévision au Burkina Faso, on est obligé de passer d’abord par la TNT.

Propos recueillis par Siaka CISSE (Stagiaire)