La 4ème édition du Forum des Mines et du Pétrole de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (ECOMOF 2024) a débuté le jeudi 22 février 2024 à Cotonou au Bénin et se tient jusqu’au samedi 24 février. Il est question de voir comment mutualiser les forces et faire profiter les pays membres de la CEDEAO de leurs ressources naturelles. Présent à cette rencontre sous régionale, nous avons tendu notre micro au président de la Fédération des Chambres des mines d’Afrique de l’Ouest, qui est l’un des panelistes à ce salon pour nous donner son avis sur la tenue d’un tel événement, parler de ses attentes et du développement du contenu local.
Quel est votre avis sur la tenue d’un forum comme l’ECOMOF ?
En ma qualité de président de la Fédération de la Chambre des mines d’Afrique de l’Ouest, le fait que la CEDEAO organise un salon sur les ressources géo-extractives, je dirai que cela permet de donner une dimension régionale aux discussions. Il faut savoir qu’un peu comme les humains, la géologie n’a pas de frontière. La géologie va au-delà des frontières que nous les humains, nous avons établies. Donc, aborder la question des ressources minières ou minéralières prend quand même une dimension de fédération des énergies et synergies. Je pense qu’un forum comme l’ECOMOF permet d’avoir ce genre de débats là. Quand vous prenez la dimension du contenu local, on ne peut pas l’approcher uniquement qu’au niveau local…
Justement, parlant du contenu local … alors que faire ?
Il faut avoir une dimension régionale, tout simplement parce que notre espace est en compétition avec le reste du monde.
Vous avez une entreprise, je ne vais pas la nommer qui fournit la chaux à toutes les mines de la sous-région. Elle est dans son pays mais voit tout le marché. Mais nous on ramène tout au niveau local, local. Donc, une seule entreprise locale de la chaux ne peut pas être compétitive avec une entreprise qui elle fournit toute la sous-région, en terme de prix. Donc, c’est un peu cette dimension qu’il faut avoir. Par contre si on avait une dimension sous régionale de contenu local on pouvait identifier des problématiques majeurs, de biens majeurs, en disant : «ça c’est la sous-région qui va fournir ça», quit à faire des coentreprises. Par exemple, une entreprise peut être basée au Bénin ou au Burkina Faso parce que ce pays a un avantage comparatif, mais dont l’actionnariat peut être régional. Je trouve que ce forum a totalement du sens.
Quelles sont vos attentes à l’issue de ce forum ?
Lorsque les Etats sont là, et chacun présente sa loi de contenu local ou sa loi minière, le fait d’écouter les autres, on acquiert des idées, on apprend des expériences des autres. Comme je l’ai dit la géologie n’a pas de limite. Moi, je fais ma loi, ma législation que ce soit le contenu local ou de promotion minière à l’échelle de mon pays, mais je vois que la dimension régionale m’apporte un plus ici. C’est pour ça que je trouve que l’ECOMOF est important. Comme je vous l’ai dit, on fait les textes, on fait la législation pour optimiser un processus mais pas pour créer le processus. C’est pour régler le processus. Dans le processus de la ressource naturelle, il n’y a pas de frontière, il n’y a pas de limite. Le gisement commence au Burkina, ça peut se terminer au Mali. Et ainsi de suite. Donc, si toi tu fais uniquement du contenu local, c’est comme une portion du gisement va être gérer selon la règle burkinabè, une autre portion selon la règle malienne, ivoirienne, béninoise, et j’en passe. Et si on se mettait ensemble ? On dit OK, la portion qui passe chez moi, voilà ce que moi j’en veux, la portion qui passe chez toi voilà ce que toi tu en veux. Telle est la meilleure façon, vue ensemble, puisque le gisement, lui ne s’arrête pas à un pays, la géologie continue, mais nous aussi on va avoir une approche continue de son appréhension. C’est un peu ça la question.
Pour un profane, qu’est-ce que le contenu local ?
Le contenu local, c’est un bon point. Dans le panel, je le disais, il y a trois dimensions. C’est en gros, vous prenez une industrie minière ou pétrolière ou gazière qui, d’abord le financement est extérieur pour l’essentielle. L’expertise et même les consommables pour la plupart sont extérieurs. Ce qui fait que la valeur ajoutée générée est quasiment extérieure. Donc, d’où l’approche du contenu local pour dire mais, il faut qu’on met du contenu localement sinon tout va nous échapper. Le financement vient d’ailleurs, l’expertise vient d’ailleurs, les biens qui servent à produire ce bien qui est dans notre sous-sol là viennent d’ailleurs, nous on gagne quoi ? Donc la question est naturelle et normal. Maintenant, c’est le comment il faut le faire. Parce que quand vous voulez faire du contenu local, il ne faut pas tuer quand même l’activité qui était là. Même si elle vient du financement étranger vous avez besoin que ça tourne. Parce que du fait qu’elle tourne, elle paie des impôts, des taxes, elle génère de la valeur ajoutée. Mais cette valeur ajoutée n’est pas suffisamment captée par vos acteurs locaux, d’où l’approche du contenu local.
Souvent on aime dire qu’on a beaucoup de ressources naturelles, mais cela ne profite pas aux populations…
Oui ! je ne dirai pas que je suis totalement d’accord. Mais en partie oui, avec ce que je viens de vous expliquer. Il faut que j’explique, avant, le pourquoi. Si on ne comprend pas le pourquoi, on part avec des fantasmes.
Pourquoi on dit que ça ne profite pas ? Mais évidemment, si l’argent qui finance ça vient d’ailleurs, ça profite à ceux qui investissent parce que c’est des prêteurs. Ça c’est un. Si l’expertise vient d’ailleurs parce que vous n’avez pas des gens localement, les ingénieurs, ils viennent d’ailleurs, donc vous enrichissez des gens ailleurs. Si ensuite le produit qui est sorti est vendu ailleurs parce que la technologie pour le transformer n’est pas chez vous. Par exemple vous prenez le concentré de zinc, mais ça rentre dans la fabrication de nos téléphones ailleurs. Si vous n’avez pas tout ça, vous ne gagnez pas quelque chose…
Ce n’est pas normal ?
Oui, mais quand on le dit, il ne faut pas le dire comme une forme de slogan. « Ce n’est pas normal ». Non ! c’est un fait. Maintenant comment on corrige le fait ? C’est pour ça tantôt je parle de contenu local en disant que la première dimension c’est l’investissement. Qui n’est pas content d’avoir un champion comme Aliko Dangoté au Nigéria ? Il a permis au Nigeria d’avoir sa première raffinerie. Aujourd’hui avec cette raffinerie, il produit du pétrole, il produit du carburant. La dimension de l’investissement en amont est extrêmement importante. Il faut arriver à attirer des investisseurs nationaux. Et c’est pour ça que je parlais par exemple du double listing dans une bourse. Ça veut dire qu’il faut permettre à l’épargnant sous régional d’investir.
Les mines que nous avons au Burkina par exemple, admettons que la CNSS (Caisse nationale de sécurité sociale, NDLR) ou la CARFO (Caisse Autonome de Retraite des Fonctionnaires) peut prendre 5 à 10%, au prix du marché, dans les mines en plus des 10% de l’Etat. Qu’est-ce qui se passe ? les financements que les mines lèvent, elles lèvent ça sur des bourses au Canada, en Australie, en Grande Bretagne, aux Etats-unis et j’en passe. C’est l’épargnant de ces pays-là qui indirectement investi dans nos mines. Mais nous on a des épargnants aussi chez nous ! Ça commence déjà par ce changement-là. Ça c’est l’investissement.
Ensuite l’expertise, ce n’est pas sorcier. C’est une tête et un cerveau. Nos cerveaux ne sont pas moins intelligents que les autres. Donc si nous formons le capital qu’il faut, heureusement dans les pays comme le Burkina, la Côte d’Ivoire, le Sénégal, on commence à avoir de plus en plus d’experts burkinabè, ivoiriens, sénégalais et j’en passe. Donc si on a le financement, on a l’expertise, les matériaux qu’il faut, j’ai parlé de la chaux au Burkina, le charbon actif ça peut être la Côte d’Ivoire, le boulet ça peut être le Ghana. Mais qu’est-ce que vous voulez ? Si on a le financement, on a l’expertise et on a les consommables, mais nous même on va produire nos mines. En ce moment toute la question de ça profite aux autres là, c’est fini. Comme Dangoté l’a fait au Nigeria.
Par Daouda ZONGO, Envoyé spécial de Wakat Séra à Cotonou au Bénin