Le ministre malien des Mines, de l’Energie et de l’Eau, Lamine Seydou Traoré, s’est ouvert, dans une interview, à Wakat Séra, sur les secteurs de l’Energie et des Mines. Selon les propos de M. Traoré, le Mali a adopté un plan massif d’investissement pour satisfaire dans l’urgence, les besoins des populations en énergie, et à long terme de pouvoir s’auto-suffire dans la production de l’énergie. Concernant le secteur minier, le pays veut s’appuyer sur un nouveau Code minier adopté en 2019 pour inclure les sociétés nationales dans le processus de l’extraction des ressources naturelles notamment l’or, afin que leurs retombées touchent directement les populations.
Wakat Séra: Quelle situation faites-vous de l’énergie au Mali ?
Lamine Seydou Traoré: A notre arrivée aux fonctions, nous avons trouvé le secteur de l’énergie au Mali dans une situation critique. Le secteur de l’énergie est caractérisé par d’abord un mixte énergétique totalement contrarié. Aujourd’hui, nous avons 70% de la production de l’électricité au Mali qui est faite à base de thermique dont le coût est particulièrement onéreux. Le secteur aujourd’hui, est principalement caractérisé par un surendettement de plus 200 milliards de FCFA d’exploitation, un déficit chronique caractérisé par une absence d’investissement de plusieurs années, donc insuffisance d’investissement qui a comme corollaire la vétusté des équipements et donc finalement un secteur qui ne peut pas répondre à la demande croissante des populations en matière d’électricité. Le tout justement rend le secteur non viable financièrement parce que finalement la société qui produit l’électricité au Mali est contrainte aujourd’hui à vendre l’énergie à un prix inférieur au coût de production. Donc voilà l’état des lieux. Une société surendettée, un mixte énergétique onéreux parce que la production se fait essentiellement à base thermique, une dépendance du pays pour le quart de sa consommation à l’importation d’énergie.
Quelle est la politique énergétique mise en place par le Mali pour résoudre le problème crucial de l’électricité qui est une denrée rare sous nos tropiques ?
Pour résoudre la situation énergétique, nous avons deux plans d’action. Un plan d’action à court terme et à un autre à moyen et long termes. Pour le plan d’action à court terme, il s’agissait de faire en sorte d’améliorer le quotidien du Malien en matière d’électricité. Et pour cela l’urgence était de faire en sorte que les coupures puissent diminuer par rapport aux années passées. Pour cela nous avons monitoré les causes profondes des coupures d’électricité au Mali et on est arrivé à la conclusion que plus de 60% des coupures d’électricité sont liées à des pannes sèches des groupes électrogènes en termes de carburant. Donc un approvisionnement inadéquat des groupes électrogènes en carburant, une vétusté des postes de transit qui transforment l’énergie en haute, moyenne et basse tensions, caractérisés par des pannes récurrentes.
Selon vous qu’est-ce qui est à régler avec urgence pour soulager un tant soit peu les populations maliennes ?
Les solutions que nous avons adoptées étaient premièrement de lancer un appel d’offres pour choisir des fournisseurs crédibles de carburant et surtout pour pouvoir sécuriser ce secteur qui était aussi caractérisé par un monopole d’une société. Et c’est cette entreprise seule qui fournissait le carburant à tous les sites et il suffisait qu’elle soit défaillante pour qu’on se retrouve dans des difficultés. Alors cet appel d’offre a abouti à choisir deux fournisseurs tacites, un principal et un suppléant. Donc sur ce côté l’approvisionnement de nos groupes électrogènes en carburant a été assuré.
L’autre solution c’était de dire, face à la vétusté des postes de transit qu’est-ce qu’il faut faire ? Nous avons engagé un plan de rénovation de tous ces postes de transformation. Mais comme vous le savez, quand on commence des travaux comme ça, cela nécessite du temps et ça requiert des moyens. Les moyens on les a trouvés mais le temps, il est incompressible pour des travaux de telle envergure. Donc, il fallait trouver une solution à court terme et cela a consisté à mettre en place sur différents sites, des capacités supplémentaires qui permettraient de prendre le relais lorsque ces postes de transformation tombent en panne pour donner l’électricité à la population en attendant les réparations nécessaires.
La troisième solution, c’était comment faire face à la dépendance du pays, face à l’importation d’énergie qui se faisait principalement avec la Côte d’Ivoire. Nous avons engagé des négociations avec la Côte d’Ivoire pour que le pays puisse s’engager de façon irrévocable à nous fournir la capacité contractuelle qui était fournie. Ca aussi, ça a été fait mais malheureusement au bout d’un certain temps, la Côte d’Ivoire elle-même a commencé à avoir des difficultés en matière de fourniture d’électricité sur le marché local et on comprend bien que c’est difficile d’enlever les pains de la bouche de ses enfants pour donner à d’autres. Cela nous a permis aujourd’hui de mettre en œuvre un plan d’installation d’une centrale de 200 milliards de FCFA avant la période de pointe de l’année prochaine, c’est-à-dire 2022 qui commence normalement autour de février. Cela pour pouvoir faire face non seulement à la demande croissante annuelle de 10% environ mais aussi faire face aux éventuels aléas de la fourniture que la Côte d’Ivoire fait au Mali.
Alors, quelles sont les solutions qui s’inscrivent dans la durée ?
Pour les solutions à long terme que nous avons trouvées, la première, c’est de travailler à faire en sorte de procéder au redressement financier. Ce qui passe par l’inversion de la tendance du mixte énergétique parce qu’il est difficile de dire aujourd’hui à nos populations déjà fatiguées par les crises sécuritaires et la maladie à coronavirus qu’on procéderait à une augmentation du tarif de l’électricité. Une société structurellement déficitaire, il n’y a que deux solutions. Soit on augmente les coûts de consommation, ce qui n’est pas envisageable, l’autre paramètre, il faut baisser les coûts. Mais comment baisser les coûts ? Il suffira juste de faire en sorte de produire l’électricité à un coût plus bas que le prix de vente. Et pour cela, il faut aller à la recherche de sources d’énergie peu onéreuse moins coûteuse à savoir les énergies renouvelables comme le solaire photovoltaïque, le barrage hydro-électrique et l’énergie éolienne.
Et dans ce cadre-là, nous avons signé un Partenariat public privé (PPP) avec les investisseurs justement pour pouvoir développer l’énergie solaire à travers le Mali. Nous avons déjà signé deux contrats d’une capacité globale d’environ 300 mégawatts crêtes et pour les barrages hydro-électriques nous avons aussi signé un contrat PPP avec des investisseurs pour pouvoir développer trois barrages hydro-électriques. Nous sommes venus trouver aussi qu’il y avait le cas d’un barrage qui était un peu ficelé mais qui dormait dans les tiroirs. On l’a dépoussiéré et les travaux ont démarré dans les environs de Bamako, ce qui va fournir au pays à peu près 56 mégawatts crêtes.
Donc si toutes ces solutions sont mises en œuvre, nous assisterons à une réduction du coût de production et par conséquent un redressement du secteur de l’énergie. Comme j’ai l’habitude de le dire, il n’existe pas de baguette magique. Quand on veut faire des choses, il faut mettre en place, un plan massif d’investissement et c’est ce plan intensif d’investissement que nous avons déployé pour pouvoir inverser la tendance du mixte énergétique qui consistera à passer d’une production essentiellement à base thermique à une production de l’énergie renouvelable.
Quel est le pourcentage d’importation de l’électricité du Mali ?
Le Mali est dépendant de l’importation sous régionale à hauteur de 25% de sa consommation en période de pointe, soit environ 100 mégawatts. Et le pays importe à ce jour, uniquement avec la Côte d’Ivoire. L’interconnexion avec la Guinée est en cours, de même que celle avec le Ghana via le Burkina qui est un projet lancé et qui n’est pas achevé. Tout cela une fois bien opérationnalisé, soutiendra la demande du Mali surtout en pleine pointe estimée à 500 MW.
Il y a des interconnexions sous régionales qui se concrétisent de plus en plus. Quelle est l’actualité du Mali à ce sujet ?
Il faut que nos pays, le Mali et le Burkina Faso comprennent clairement que le West Africain Power Pool (WAPP), Système d’échanges d’énergie électrique en Afrique de l’Ouest (EEEOA) en français, est fait pour faire face à des problèmes conjoncturels comme ce que la Côte d’Ivoire a connu cette année avec la cession d’un barrage. Ce système vise, au lieu que chaque pays développe des capacités de stockage où des réserves, des capacités dormantes pour pouvoir faire face à des crises conjoncturelles. Le Système d’échanges d’énergie électrique en Afrique de l’Ouest va permettre, au cas où un pays a des difficultés, de pouvoir prendre de l’électricité, temporairement avec ses voisins pour faire face à cette difficulté. Et donc dans ce cadre, le Mali est en train de s’interconnecter avec le Ghana via le Burkina Faso, et avec la Guinée. L’interconnexion avec la Côte d’Ivoire est une réalité déjà depuis 2015.
Quelle est la politique du Mali en matière de l’énergie solaire qui est la nouvelle donne pour les pays de l’Afrique ?
Comme je le disais, dans le cadre de notre plan massif d’investissement, une part importante est réservée au solaire notamment à l’énergie solaire photovoltaïque. Nous visons à l’horizon 2030 au minimum 30 à 35% de notre production d’énergie à base de solaire photovoltaïque. Elle sera relayée et supplée par les barrages hydro-électriques à un coût raisonnable qui permettrait à terme de réduire le coût de l’électricité.
Entre l’importation, la production et le solaire, quel est le choix priorisé du Mali ?
L’importation comme je le disais tantôt est une solution temporelle. C’est pour faire face à des problèmes conjoncturels. Mais chaque pays doit avoir sa souveraineté énergétique. Et donc, nous, nous misons vraiment sur un plan d’investissement intensif en énergie solaire, hydro-électrique pour pouvoir avoir notre souveraineté énergétique et pour pouvoir assurer l’autosuffisance en matière d’énergie.
Le Mali est un pays qui regorge de ressources minières abondantes. En tant que patron de ce secteur, quel est l’état des lieux que vous faites des Mines ?
Le secteur minier au Mali a été caractérisé jusqu’en 2019 par des Codes miniers successifs qui ont privilégié l’attraction des investisseurs pour le pays. C’est normal parce qu’il faut rappeler quand même que le secteur minier exige de gros investissements. Donc il fallait faire un Code suffisamment attractif pour que les investisseurs viennent. Donc le contrôle de l’Etat sur les mines était peu suffisant. Alors, une contribution du secteur minier dans l’économie nationale n’est pas à la hauteur des attentes des populations pour le développement local. Et c’est dans ce contexte que le Code minier de 2019 a été adopté au Mali dont moi-même j’ai été l’artisan pour la mise en œuvre du décret d’application en novembre 2020. Et donc, à partir du Code minier de 2019 qui accorde une importance particulière aux contenus locaux, une valorisation des compétences locales et au développement local, l’application stricte de ce texte règlementaire devrait quand même permettre de faire briller davantage l’or pour les populations maliennes.
Donc comme état des lieux, je dirai, un secteur caractérisé par des Codes miniers successifs qui visaient à attirer les investisseurs, un faible contrôle de l’Etat sur le secteur minier, des contenus locaux peu valorisés et donc des retombées pas à la hauteur des souhaits des populations.
Que comptez-vous faire sous votre magistère pour satisfaire les populations qui dénoncent une mauvaise gestion de ce secteur ?
Comme je le disais tantôt, les premiers Codes miniers dans le pays étaient orientés vers les investisseurs. Maintenant c’est chose faite et c’est dans ce cadre que face à toutes les insuffisances que le Mali en septembre 2019, un nouveau Code minier qui consacre une place de choix aux contenus locaux, au développement des compétences locales et développement local. Normalement cela devrait permettre, si vraiment le Code est mis en œuvre en prenant en compte les dispositions contenues, cela devrait permettre d’augmenter les retombées de l’exploitation des mines dans le pays. Cela veut dire aujourd’hui, que les gens pensent, que plus l’Etat a plus de parts dans les sociétés minières, plus les retombées sont intéressantes. Mais il n’en est rien. La chaîne de valeur des industries extractives se trouve au niveau des sous-traitances, c’est-à-dire tout le processus qui conduit à l’extraction de l’or ou des autres ressources naturelles. Donc, si on arrive à faire en sorte que ce sont nos entreprises locales qui occupent tous les segments de l’extraction minière, les retombées toucheront directement les populations.
A cela s’ajoutent justement, les exigences fortes du nouveau Code minier qui accorde plus d’importance au développement local. Les entreprises minières sont contraintes d’employer des compétences locales, de la direction aux autres domaines d’employabilité. En plus de cela, il y a les dispositions qui encadrent le fonds de développement local qui sera versé par les sociétés minières pour le développement des localités sur lesquelles elles sont implantées.
Alors à vous suivre, l’or doit briller pour les Maliens ?
Normalement l’or doit pouvoir briller davantage pour le Mali et les Maliens avec l’application rigoureuse du Code minier de 2019. Dans ce cadre-là d’ailleurs, nous avons adressé une correspondance à toutes les sociétés minières pour qu’elles nous fassent le point de l’état d’exécution de la valorisation des contenus locaux. Donc toutes les entreprises qui interviennent sur les sites miniers seront répertoriées. Ainsi, on devra pouvoir travailler à ce que la grosse part soit cédée au fil du temps aux entreprises maliennes. Mais en même temps, nous demandons à nos entreprises d’être compétitives et performantes pour que cela soit une réalité et profiter au pays.
Qu’est-ce qui vous a motivé à lever la suspension de l’attribution des titres miniers en décembre 2020 ?
En septembre 2019, un nouveau Code minier a été adopté. Mais le Code ne peut être opérationnel que si ses décrets d’application sont adoptés. Et de septembre 2019 jusqu’à ma prise de fonction, les décrets d’application n’ont pas été pris. Alors que toutes les dispositions et autres modalités d’application doivent l’encadrer. Les services chargés de l’administration minière étaient obligés de suspendre les délivrances des autorisations notamment les permis de recherche miniers. Alors, dès que nous sommes rentrés en fonction, nous avons mis un clignotant sur ce volet pour obtenir les décrets d’application pour que les investisseurs aussi bien Maliens qu’étrangers continuent à mener tranquillement leurs activités.
Quel est l’inventaire des autres ressources naturelles d’importance du Mali que vous pouvez nous faire ?
Lorsqu’on parle de mine, effectivement au Mali, c’est vrai que c’est l’extraction de l’or qui constitue l’essentiel des activités minières. Mais nous avons aussi le pétrole. D’ailleurs, j’ai donné des instructions fermes parce qu’on est en train de travailler avec des partenaires étrangers pour que l’exploitation du pétrole soit très rapidement une réalité. Mais à côté de ça, on a aussi le fer, le manganèse, le calcaire et le lithium qui est un produit particulièrement important pour le développement de l’énergie solaire. On a également le calcaire aussi qui est à cheval entre l’exploitation minière et la fabrication du ciment, qui est une denrée très importante pour le pays.
Quelle est la touche personnelle que vous comptez imprimer comme marque à votre passage à la tête de ce département ?
La seule ambition que j’aie, à la tête de ce département, c’est faire de l’exploitation minière, de la fourniture du service public de l’eau et de l’électricité, des outils privilégiés de croissance économique et de développement social mais aussi et surtout, un outil de renforcement de cohésion entre tous les Maliens. Mon ambition est de travailler à la consolidation de la paix et de la réconciliation dans notre pays à travers la résolution des problèmes de ce département. Le jour où on va finir de combattre ce qu’on appelle la fracture énergétique, la fracture économique, je pense qu’il n’y aura plus de conflit au Mali. Et c’est à cela que je m’attèle.
Interview réalisée par Bernard BOUGOUM