«La plus secrète mémoire des hommes», raconte l’histoire d’un jeune écrivain sénégalais vivant à Paris, (Diégane Faye), qui, en 2018, se met en quête d’un ouvrage écrit par autre écrivain sénégalais, auteur d’un unique livre publié en 1938, «Le labyrinthe de l’inhumain» et qu’on surnomme le «Rimbaud nègre»: T.C. Elimane. Qui était alors ce T.C. Elimane, un écrivain génial? Un plagiaire honteux? C’est que l’on découvre tout au long du récit; un récit sous la forme d’une enquête littéraire foisonnante qui mélange les époques et les pays. Elle commence dans le Paris littéraire des années 2010 et des années 1930, se poursuit dans le Sénégal colonial du début du XXème siècle, puis dans la France occupée, fait apparaître le souvenir des tirailleurs sénégalais de la guerre précédente; passe par l’Argentine et se termine dans le Dakar de notre époque. Un roman riche, envoûtant, porté par l’écriture fluide de Mohamed Mbougar Sarr. Un vrai coup de coeur qui vient d’obtenir le prix Goncourt 2021. Questions à l’auteur qui rentre dans l’histoire comme le premier Africain (subsaharien), le deuxième écrivain noir à recevoir ce prix prestigieux (après le Guyanais René Maran, prix Goncourt en 1921).
Ambre Delcroix: Comment vous est venue l’idée d’écrire sur ce sujet?
Mohamed Mbougar Saar: Ce livre est inspiré par deux écrivains qui représentent deux obsessions pour moi en tant que lecteur et écrivain.
La première, celle du silence des écrivains comme étant l’espace le plus profond de leur écriture. Je l’ai découvert avec Yambo Ouologuem à l’adolescence.
Le «Devoir de violence» et la trajectoire de Yambo Ouologuem, m’ont fascinés de si longues années que j’ai fini par me dire qu’il fallait en faire un roman dont l’histoire serait le point de départ.
Cet écrivain célébré puis abandonné, accusé de plagiat, lâché dans une grande solitude par les milieux littéraires européens et par l’intelligencia africaine qui n’a pas supporté la radicalité, la nouveauté, la provocation, me fascine vraiment.
Ensuite, à vingt-cinq ans en découvrant Roberto Bolaño, je me suis senti libéré car je retrouvais dans ses écrits un certain nombre de questions qui étaient miennes sur l’engagement littéraire, sur le fait d’être un jeune écrivain qui se cherche, qui se lance, qui échoue, qui tâtonne tout en gardant la littérature comme obsession dans la vie la plus concrète.
Chacun de ces deux auteurs est à sa manière l’une des veines de mon livre.
« A chaque étape de ma vie il y a eu des lectures, des rencontres, des événements qui m’ont chacun influencés à leur niveau, un peu comme une chaîne qui a commencé avec les récits des femmes de ma famille. »
AD: D’où vous vient ce goût de la littérature et cette inspiration?
MMS: Ce sont mes grand-mères, ma mère, mes tantes, mes cousines qui m’ont initié aux récits, aux histoires, aux légendes, aux contes, aux jeux de mémoire et ainsi façonné l’imaginaire poétique de mon enfance.
Je leur dois une part importante et fondamentale car elles ont été au fondement de ma poétique comme écrivain, à la genèse de cette envie de raconter avant même de savoir que je serai peut-être un jour romancier.
J’espère qu’elles diraient en me voyant aujourd’hui qu’elles sont fières d’elles.
AD: Quel est le livre de votre enfance qui vous a le plus marqué et motivé à écrire les vôtres?
MMS: Il n’y a pas un livre particulier qui s’est imposé mais plutôt un moment qui est celui de l’enfance où énormément de récits, de légendes, de contes qui sont entrés en moi.
Effectivement, il y a eu des livres mais aucun avec une impulsion décisive, chacun d’eux m’a apporté quelque chose à un moment de mon évolution. Par exemple quand j’ai commencé à lire Senghor, Césaire, Camara Laye ou plus tard en découvrant Balzac et Victor Hugo ou encore en découvrant encore plus tard, les romanciers Américains, Russes, et la littérature latino-americaine.
A chaque étape de ma vie il y a eu des lectures, des rencontres, des évènements qui m’ont chacun influencés à leur niveau, un peu comme une chaîne qui a commencé avec les récits des femmes de ma famille.
« Evidemment je suis heureux comme tout écrivain qui reçoit un tel prix, mais je veux surtout que cela soit vu comme le début d’une nouvelle ère; une ère où plus personne ne trouvera cela exceptionnel qu’un Africain subsaharien ou qu’un noir de façon générale remporte un tel prix. »
AD: En décrochant le prix Goncourt 2021, vous rentrez dans la postérité comme le premier écrivain africain, le deuxième écrivain noir à recevoir ce prix prestigieux. Quel effet cela fait-il?
MMS: Avant tout je dirais plutôt que je suis le premier Africain Subsaharien à obtenir ce prix mais je ne voudrais pas que l’histoire s’arrête à ce fait.
Evidemment je suis heureux comme tout écrivain qui reçoit un tel prix, mais je veux surtout que cela soit vu comme le début d’une nouvelle ère; une ère où plus personne ne trouvera cela exceptionnel qu’un Africain subsaharien ou qu’un noir de façon générale remporte un tel prix.
Il faudrait que ce prix puisse ouvrir la possibilité à tout un espace francophone (Afrique, Haïti, Antilles etc.) d’avoir les mêmes chances de recevoir une telle reconnaissance.
A l’échelle de l’histoire effectivement, c’est un évènement exceptionnel, mais en dépassant cela, il faut que des milliers de gens puissent se dire qu’ils ont tous les mêmes chances que les autres.
L’aventure pour moi a été vraiment incroyable déjà par l’accueil et les retours qui ont été faits sur mon livre.
AD: Quels conseils donneriez-vous aux jeunes auteurs qui voudraient se lancer dans l’écriture aujourd’hui?
MMS: Je pense que le meilleur conseil que je pourrais donner à un jeune ce serait de lire, lire, car c’est à partir de là que l’on trouve sa voix, en découvrant des écrivains, des univers littéraires qui nous plaisent et ceux vers lesquels on ne voudrait, on ne pourrait pas aller. Avant de commencer à écrire, j’ai passé beaucoup de temps de lire.
Chacun a sa trajectoire mais je pense que s’il ya un élément commun aux bons auteurs, c’est la lecture assidue, la passion quasi compulsive de la littérature.
AD: Quel est le thème de votre prochain roman ?
MMS: Pour être honnête, pour l’heure, je n’ai rien !
Je songe surtout à me reposer après ce livre, je n’ai aucun projet pour le moment, rien en magasin!
Entretien réalisé par Ambre Delcroix,
Présidente de l’Association culturelle Mokanda (www.mokanda.fr)
Collaboratrice du site www.francophonieactualite.fr
Membre de la Section France de l’UPF