Accueil A la une Mort de Me Titinga Pacéré: le baobab de la BENDROLOGIE s’est incliné

Mort de Me Titinga Pacéré: le baobab de la BENDROLOGIE s’est incliné

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Me Frédéric Titinga Pacéré (Ph. d'archives)

A travers cette étude critique, Pr Salaka Sanou, rend hommage à «cet homme» qu’il a «découvert, apprécié et aimé» au début de sa carrière d’enseignant-chercheur, et dont le décès est survenu le vendredi 8 novembre 2024. Cependant, il faut noter à l’attention du lecteur, que la configuration du site a renvoyé en fin d’article toutes les références bibliographiques dont l’auteur a enrichi son analyse de belle facture. 

La nouvelle est tombée ce vendredi en début d’après-midi 8 novembre 2024: Maître Titinga Frédéric Pacéré a tiré sa révérence. En me demandant comment rendre un hommage à cet homme que j’ai découvert, apprécié et aimé au début de ma carrière d’enseignant-chercheur, il m’est venu à l’esprit un des articles, le premier, que j’ai publié sur une de ses nombreuses trouvailles intellectuelles: la bendrologie. Bien sûr, il n’est pas question de publier l’article scientifique en entier, mais d’en prendre un extrait, celui qui présente la bendrologie, telle que son inventeur, son maître, Me Titinga Frédéric Pacéré l’a lui-même présentée.

Etant parmi les premiers poètes et les écrivains burkinabè, il a obtenu, en 1982, le Grand Prix Littéraire d’Afrique Noire avec ses deux recueils La poésie des griots et Poème pour l’Angola. Il est le président fondateur de l’Union des Gens de Lettres du Burkina et le président de la Fédération des associations des Ecrivains de l’Afrique de l’Ouest. En tant qu’avocat et homme de culture, il a présidé plusieurs associations et a été le premier bâtonner de l’ordre des Avocats du Burkina.

Auteur de plus d’une trentaine d’œuvres littéraires et d’autres ouvrages dans les domaines de droit, de l’histoire, de la sociologie, de la culture, de l’art, Maître Titinga Frédéric Pacéré est un auteur prolifique. Dans ce lot de publications, un ouvrage de six volumes a retenu mon attention: il s’agit de Bendrologie et littérature culturelle des Moose, publié d’abord en 1987 sous forme ronéotypée et ensuite en 1991 aux éditions L’Harmattan sous le titre Le langage des tam-tams et des masques en Afrique. Cet ouvrage a retenu l’attention des chercheurs de l’Université de Ouagadougou, parce que son titre, à lui tout seul, nous plonge dans un univers terminologique nouveau.

Cela a commencé avec le premier Colloque international sur la littérature burkinabè (10-15 décembre 1988) au cours duquel mon ami, Pr Albert Ouédraogo, a présenté une communication au titre très polémiste: la bendrologie en question.  La polémique eut effectivement lieu comme cela apparaît dans les actes du Colloque (Annales de l’université de Ouagadougou, édition spéciale décembre 1988). Après cela, plusieurs émissions à la Télévision nationale (dont l’une, avec le professeur Niangora Bouah de l’Université d’Abidjan, père de la drummologie), et auxquelles j’ai participé, ont permis à Me Pacéré de développer ses deux néologismes: bendrologie et littérature culturelle.

Ce néologisme de bendrologie qu’il a créé se veut comme une science qui s’inscrit dans un vaste champ qu’il a appelé la Littérature culturelle des Mosse, dont il traite, dans un ouvrage intitulé Le langage des tam-tams et des maques en Afrique, ouvrage dans lequel ses caractéristiques, ses composantes, ses dimensions, ses significations sont analysées.

Pour permettre au lecteur de comprendre ma réflexion, j’étudierai le concept à partir de ses contours, ses éléments constitutifs et les questions qu’il peut susciter.

CONTOUR(S) DU CONCEPT

Dans Exposé de la théorie, lors du Colloque, Me Pacéré écrit: «les travaux sur la bendrologie posent une problématique qui exige une redéfinition du concept de littérature orale entendant inclure toute la littérature non écrite de l’Afrique[1]».

Voici le point de départ du concept de Me Pacéré: le rejet de la définition de la littérature orale parce que ne couvrant pas toute la production littéraire non écrite en Afrique. En effet, l’élément fondamental dans la définition de la littérature orale c’est la transmission par la bouche, par la parole. Or, «le texte du tam-tam, la littérature du tam-tam n’est pas une littérature (…) orale, au plus, pourrions-nous faire état de littérature instrumentale [2]». La littérature orale «méconnaît ici les plus grandes littératures, celles instrumentales, gestuelles, celles de l’esprit des pères qui la fondent et dont elle tire des mécanismes plus simplifiés et moins profonds[3]».

En Afrique, il existe des «instruments (tam-tam, balafons, flûtes) dits improprement ou insuffisamment «parleurs» (qui) ont été du jour pour servir simplement de moyens de tradition culturelle; de même et surtout dans les rites sacrés, les gestes, les mouvements ont souvent dicté la phrase ou même ont souvent constitué la phrase[4]».

Pour Titinga Frédéric Pacéré donc, on ne peut réduire la littérature africaine à son oralité et/ou son écriture, car «la littérature africaine des profondeurs, non écrite [non orale ajouterions-nous] doit relever d’une autre étiquette que ce vocable partial, péjoratif, simpliste et iconoclaste de littérature en dehors même de toute pensée serait l’alpha et l’oméga de toutes choses[5]

Après avoir rejeté la réduction de la littérature africaine non écrite à son oralité, le chercheur Pacéré nous propose une solution, la solution: «pour l’Afrique, je préfère qu’on fasse état de littérature culturelle africaine. Il s’agit d’une culture qui fonde, exprime sa littérature mais aussi, d’une littérature qui fonde sa culture parce que vivante, animée, responsable, dont l’expression n’a pas utilisé souvent l’écriture, mais aussi et uniquement la parole[6]

Nous avons reconstitué, ici, à notre manière, les pages de l’ouvrage en extrayant de longues citations afin de faire percevoir les contours du concept tels que son auteur lui-même le présente. Pour résumer et tenter une définition, nous dirons que la littérature culturelle africaine sera l’ensemble des productions littéraires et artistiques non conventionnelles, non répertoriées dans la nomenclature littéraire occidentale, et qui utilisent d’autres moyens et formes de production et de réalisation; il s’agit des instruments de musique, de la gestuelle, des incantations et mouvements utilisés lors des rites.

 ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS ET CARACTÉRISTIQUES

Après avoir déterminé les contours du concept, il faut maintenant analyser les éléments qui constituent cette littérature culturelle. Ici nous pourrions parler de genres en nous référant à nos habitudes classiques d’analyse littéraire. 

II.1. Les «genres»

Je préfère l’expression «élément constitutif» au terme «genre» pour rester fidèle à l’idée de Me Pacéré qui est relative aux prismes déformants dont nous avons hérités de notre formation universitaire occidentale. Car il s’agit ici d’évoquer les différents instruments et gestes auxquels est liée la littérature culturelle. Il y a, d’une part, la littérature instrumentale et, d’autre part, la littérature gestuelle, la première étant de loin celle qui est à l’origine de plusieurs «créations littéraires».

II.1.2. La littérature du tam-tam

La littérature du tam-tam est la plus importante; sa primauté est liée au rôle de cet instrument de musique dans les rites sacrés moose. Elle comprend:

– le bendre, «tam-tam confectionné par une grosse calebasse coupée à un de ses sommets et recouverte au niveau de l’orifice par une peau tendue par les lacets de cuir, rattachés au bas par un anneau de fer. On bat le tam-tam avec les 2 mains[7]».

Messager des zab-yuya (singulier: zab-yuure) ou devises des chefs, il est le chef des tam-tams; c’est la raison pour laquelle son étude a donné naissance à la bendrologie, à ce néologisme.

– le lunga ou tambour d’aisselle: «c’est un cylindre en bois d’une cinquantaine de centimètres de diamètre, évasé à ses extrémités et foré; un lacet partant d’un bout à l’autre et faisant le tour de l’instrument retient deux plaques de peau fine couvrant les deux extrémités; on porte l’instrument à l’aisselle, on le bat par un morceau de bois recourbé faisant anse[8]». Il est utilisé pour reproduire les messages.

– le gangaogo: «il s’agit du petit tam-tam; il consiste en une branche cylindrique régulière d’une quarantaine de centimètres forée et recouverte de peau; la main droite bat le tam-tam à l’aide d’un bâton identique à celui utilisé pour le lunga; la main gauche appuie sur une partie ou non de la surface recouverte des extrémités3 »

Cette littérature du tam-tam n’utilise que les zab-yuya, les soanda, c’est-à-dire des références au pouvoir politique et des expressions littéraires consacrées; elle est le moyen d’expression des productions essentielles en rapport avec le pouvoir politique. Le bendre en particulier est strictement lié au naam, le pouvoir politique chez les Moose qu’il accompagne dans son exercice officiel. C’est l’instrument essentiel, celui-là que n’importe qui ne joue pas; il existe un groupe spécial d’instrumentistes chargés de le jouer avec leur organisation particulière: ce sont des benda.

II.1.2. La littérature de la musique et du chant

Au-delà des mélodies, la musique chez les Moose sert à véhiculer des idées, des messages sociaux. Dans ce genre » nous relevons les éléments suivants:

– la littérature des kiema (singulier kienfo): c’est «une castagnette [sic] métallique allongée de 20 à 30 centimètres; elle est portée généralement par le majeur ou l’index, une grosse bague du même métal est au pouce; le rythme se fait par les doigts des deux mains4 ».

Aucun interdit n’entoure l’expression de cette «littérature» qui peut s’exprimer en tout lieu et à tout moment.

– la littérature du silsaka: «il s’agit d’une petite gourde au long cou, plus grosse qu’une louche non ouverte et contenant des grains de mil ou autres qui frappent les parois pour marquer les rythmes sous les secousses et mouvements des mains qui tiennent ces gourdes5 »

– la littérature du rudga ou violon traditionnel: «C’est un des instruments les plus utilisés pour l’expression littéraire chez les Moose, surtout pour les adeptes de la littérature fortement personnalisée. Le rudga lui-même ne révèle pas un message, du moins, dans la très grande majorité des cas; il sert à accompagner en duo le chanteur, l’homme de lettres1

– la littérature du suansga ou causerie: «le suansga est une simple causerie, mais une causerie sentimentale au cours de laquelle des messages doivent être dits par des gens de lettres. Ces littératures relèvent des instruments à utiliser que dictent les rythmes2

Pour l’ensemble de cette littérature de la musique et du chant, Me Pacéré analyse des chants tant sur le plan thématique que dans leur signification sociale. Sa démarche est la suivante: transcription des chants, traduction et commentaire. Au besoin, il présente des hommes de lettres qui ont marqué leur temps. 

II.1.3. La littérature de la danse et du mouvement

Cette «littérature» comprend deux domaines d’expression:

– la «littérature» de réjouissance, de détente et de groupe qui englobe les danses comme le liwaga, le tarkaye, le salu, le dodo, le faongo, le wenega, le kiebga. Elle est traitée à travers la description chorégraphique des danses, la transcription, la traduction et l’analyse des chansons liées à ces danses.

– la littérature des rites réservés dont le baongo et du sacré, qui concerne les mouvements des masques dont «la littérature du masque chez les Moose est la plus complexe de l’expression littéraire; elle suppose les règles du THEATRE, un jeu de scène supposant toute la vie au sens le plus large des hommes3

Cette littérature comprend les trois principes de masques chez les Moose:

  • les masques des autochtones, les yonyonse ou masques karense (singulier karenga) qui utilisent le moore comme langue;
  • les masques des Moose d’origine dont la langue est aussi le moore;
  • les masques mystiques ou suku.

Ce que Me Pacéré appelle «littérature» ici, c’est l’ensemble des messages véhiculés par les gestes accomplis par ces masques lors de la prestation de danse: les mouvements effectués expriment des messages, parlent, communiquent. Ce qu’ils disent ne peut être déchiffré que par des initiés, des connaisseurs qui les comprennent et les analysent. C’est ce qui leur donne une dimension de créations artistiques.

II.1.4. La littérature du discours et de la parole

Cette littérature relève de ce que nous appelons couramment la littérature orale, parce qu’elle englobe les genres suivants cités dans l’ordre de Me PACERE lui-même:

  • les soalma (contes, fables) et les yelbuna (devises);
  • les devinettes;
  • les soalemkoese (contes courts);
  • l’art oratoire;
  • la littérature des setba, descendants des laoubé du Sénégal.

Cette liste de genres littéraires du discours et de la parole n’ont aucune dimension sacrée, mais semble relever plutôt du profane, si l’on prend en compte les conditions de leur profération. L’oralité est le mode privilégié d’expression artistique; cela peut nous conduire à penser que leur analyse se ferait comme ce qui est fait concernant les genres de le littérature orale à laquelle le critique est habitué.

Comme on le voit, le concept de «littérature culturelles des Moose» renferme plusieurs genres, plusieurs pratiques liées à plusieurs rites traditionnels. Selon Me PACERE, ce qu’il appelle la pratique littéraire culturelle comporte plusieurs aspects en rapport avec sa mission et l’intérêt de son étude.

II.2. Les caractéristiques de la littérature culturelle

Après la description et l’identification des différentes expressions artistiques qui composent la «littérature culturelle des Moose», il convient maintenant de faire une rapide analyse de ces genres, pour en affiner la compréhension. 

II.2.1. Place et mission de l’homme de lettres dans la société

Dans les traditions moose, l’homme de lettres est toujours symbolisé par le bend-naba, le chef de file des tambours, le chef des tam-tams. Il a trois zab-yuya ou devises qui permettent de comprendre sa place et sa fonction:

– yik pinda n sing beoogo (lève-toi tôt le matin et commence le jour). C’est lui qui, le premier, le matin, se lève et réveille le pouvoir politique en lui résumant les réalités de la vie antérieure et en dégageant les principes qui doivent guider la vie du jour qui commence. Il a rang de Ministre; il est fonctionnaire de l’Etat pour garder sa puissance par son indépendance. Pr Albert Ouédraogo conteste cette interprétation: il voit dans cette devise plutôt une injonction (les verbes yik et sing sont à l’impératif): donc de la contrainte, de la servitude et non de l’indépendance1.

De plus, nous doutons fort qu’un fonctionnaire puisse être indépendant vis-à-vis du premier responsable de son Etat.

– bas salbr n kolom tuko (lâche la bride et agrippe-toi à la gourde). Le bendnaba, sous aucun prétexte, ne doit lâcher son bendre; sa vie est secondaire, car subordonnée à la défense de la culture; elle n’a de sens qu’au service de la culture du peuple et au prix de sa propre vie. Pr Albert Ouédraogo y voit plutôt des précautions prises par le pouvoir pour se prémunir contre d’éventuels «coups fourrés» de la part de quelqu’un qui n’est pas de sang royal.

– riim kom duude t m kiend tenga (je ne saurais me déplacer à pieds tandis que le roi est à cheval). Le bendnaba se met sur le même pied d’égalité que le roi pour l’intérêt de la société; sa mission égale celle du pouvoir politique; il est un contre-pouvoir au besoin; il n’est pas un homme de seconde zone, il est au cœur de la société. «Une telle affirmation est irrecevable dans la mesure où on s’aperçoit qu’elle ne prend pas en compte le point de vue du batteur du bendre. A regarder attentivement, la devise ci-dessus ne fait qu’exprimer les aspirations du bendre comme en témoigne la présence des pronoms personnels de la première personne du singulier (m: je)», rétorque Pr Albert Ouédraogo. 

II.2.2. Intérêt de l’étude de la littérature culturelle

Selon Me Titinga Frédéric Pacéré, la littérature culturelle permet de mieux connaître la société qui la pratique:

– Connaissance de l’histoire et pérennité de la société traditionnelle: le bendre est le point de jonction entre le passé, le présent et l’avenir de la société à travers les rappels historiques, la fixation des généalogies pour laquelle il n’y a aucun droit à l’erreur. «C’est eu égard aux règles coercitives pour la préservation que des chercheurs ont affirmé qu’au pays du Mogho Naba la littérature même non écrite avait un caractère scientifique2

– Connaissance de l’organisation politique et sociale: à quelque niveau que ce soit (village, canton ou kombeemba, royaume), la littérature culturelle apporte un éclairage sur l’organisation socio-politique à travers les filiations, des déplacements, les mouvements migratoires, la formation des grands ensembles.

« En interprétant les zab-yuya et les phrases célèbres libérées par les tam-tams et la littérature, on retrace avec exactitude les réalités sociales, les comportements des hommes3 ».» A travers tous les éléments de la littérature orale (mythes, légendes, épopée), on peut connaître l’origine de la société, son organisation sociale.

Dans cette présentation de la «littérature culturelle des Moose», nous avons voulu être le plus fidèle possible à la conception que son auteur en a, à la manière dont il la présente lui-même. C’est pour cette raison que nous sommes allés à la source de notre documentation, c’est-à-dire l’ouvrage Le langage des tam-tams et des masques en Afrique.

III. OBSERVATIONS, QUESTIONS

Après les éléments de compréhension et les commentaires suscités par le concept de bendrologie ou la littérature culturelle, je me propose de porter un regard critique rapide sur cette invention de Me Titinga Frédéric Pacéré.

D’abord, sur le plan conceptuel: en qualifiant la littérature de culturelle, l’auteur semble dire qu’elle peut ne pas être culturelle, sinon ce serait une tautologie inutile. A notre sens en effet, la littérature en tant que création artistique, esthétique liée au verbe est un élément de la culture d’un peuple, qu’elle soit orale ou écrite; c’est pour cette raison que la littérature orale, la tradition orale est l’une des plus grandes sources sinon la plus grande pour la connaissance des peuples africains. Quant à la littérature, elle est le vecteur de valeurs sociales, morales, spirituelles d’un peuple, d’une nation à un moment donné de son histoire; elle est donc porteuse de sa culture: il en est ainsi des Fables de la Fontaine comme des Misérables de Victor Hugo, de Madame Bovary de Flaubert comme de Le Rouge et le Noir de Stendhal, des Bouts de bois de Dieu de Sembène Ousmane, comme des Soleils des Indépendances d’Ahmadou Kourouma, de Crépuscule des temps anciens de Nazi Boni, comme des Dieux Délinquants d’Augustin Sondé Coulibaly.

Toujours dans la perception théorique du concept, nous n’avons vu nulle part, dans l’ouvrage, une définition précise ni même une tentative de définition de la «la littérature culturelle» qui permette de la différencier de la littérature tout court. Or, en tant que nouveau concept, tout devrait être mis en œuvre pour faciliter sa compréhension: autant Me Titinga Frédéric Pacéré s’est efforcé de définir la bendrologie, autant il reste muet sur la définition de la «littérature culturelle», d’autant qu’elle naît du rejet de la littérature orale. La seule tentative que nous avons rencontrée se situe au début de l’ouvrage: «il s’agit d’une culture qui fonde, exprime sa littérature, mais aussi d’une littérature qui fonde sa culture parce que vivante, animée, responsable, dont l’expression n’a pas utilisé souvent l’écriture, mais pas aussi et uniquement la parole» (p.83). Le seul apport de cette phrase réside dans l’existence d’une littérature qui est non écrite et orale.

Une définition sérieuse de la littérature aurait permis de faire ressortir un certain nombre de points dont, entre autres, les problèmes de la créativité, de l’esthétique, de la paternité de la création. C’est vrai que la question d’auteur est traitée en partie, mais il n’en demeure pas moins que dans la «littérature culturelle», on ne sait pas du tout quel est l’apport du bend-naba, de l’homme de lettres. En effet, dans la première partie de son ouvrage, Me Pacéré parle du rôle et de la place de l’homme de lettres en insistant sur le fait qu’il lui est fait obligation de rester fidèle à ce qui a déjà été créé avant lui et qu’il doit répéter: «le poète ne confectionne pas des phrases, il utilise des phrases que lui envoient des dieux (…) d’où la révélation d’une esthétique supérieure où l’homme de notre temps doit faire violence sur ses propres écoles et percevoir un impossible inconnu; l’homme de demain devient ainsi un constructeur de ce jour en présence des dieux» (p.39). Le poète n’a pas droit à l’erreur sous peine d’être mis à mort dans les 24 heures qui suivent. Nulle part, Me Pacéré ne précise les contours de cette esthétique à laquelle il se réfère. La question fondamentale qui se pose ici est celle-ci: y a-t-il création, liberté de création et créateur dans la «la littérature culturelle»? Et s’il  n’y a pas création, peut-on parler alors de littérature?

La démarche conceptuelle de Me Pacéré ressemble à celle de l’avocat qu’il est: convaincu du bien-fondé de ses découvertes, il tente par tous les moyens de convaincre à son tour les chercheurs, le public. Pour lui, la littérature culturelle c’est l’ensemble des productions à caractère littéraire qui n’utilisent pas les canaux habituels de l’écriture et de l’oralité. Me Pacéré sent intuitivement l’existence d’une autre forme littéraire; il comprend que la littérature orale n’est plus suffisante pour exprimer la réalité de la création et de la créativité traditionnelles africaines dans le domaine des expressions de l’homme. La mémorisation, l’appropriation de la parole par le bendre peuvent être mis en rapport avec l’écriture comme fixation de la parole.

Ainsi, l’instrument (bendre, lunga, gangaogo, kienfo, silsaka, etc.) est un prétexte qui donne l’occasion à un artiste de produire un mélange, une synthèse, une symbiose des genres littéraires. C’est un peu ce que Pr Louis Millogo a essayé de démontrer à propos de la sortie des masques chez les Bobo1. Cette symbiose allie l’homme, la parole, l’instrument, le public, le geste dans un ordre qui varie selon les circonstances. Et c’est là qu’apparaît une des insuffisances du travail de Me Pacéré: l’importance, la primauté du contexte socio-culturel d’expression de cette littérature sont totalement ignorées par Me Pacéré. Or, c’est le contexte qui explique la présence de tel ou tel élément (instruments, masques, chansons, etc.) et qui constitue le soutien à l’expression littéraire.

En se limitant à la simple description des instruments et autres éléments, Me Pacéré fait un travail seulement anthropologique, ce qui ne suffit pas pour donner naissance à leur expression artistique. Cependant, il sent très bien que ces différentes expressions artistiques qu’il veut présenter participent bel et bien à l’expression de la culture moaga; c’est ce qui justifie le qualificatif «culturel» qu’il attribue à la littérature. Pour cette raison son travail doit être envisagé et élargi à d’autres nationalités burkinabè afin de dégager, si possible, une esthétique littéraire qui répondrait aux mêmes règles si elle s’exprime sous des formes multiples.

Dans son analyse, Me Pacéré a toujours tendance à confondre l’homme, l’instrument, le texte et le contexte dans lequel ceux-ci interviennent; c’est ainsi que les nombreuses études qui figurent dans l’ouvrage sont des études de textes, c’est-à-dire de paroles proférées et reprises à travers les sons de l’instrument. En effet, dans ses développements théoriques Me Pacéré veut nous faire comprendre que l’instrument précède la parole, qu’il vient avant l’homme, celui-là même qui l’a créé, qui lui a donné une forme, des sons et un sens.

Ce qui nous intéresse ici c’est l’importance que Me Pacéré lui-même, inconsciemment peut-être, accorde aux textes car, dans son ouvrage, les 4/5 leur sont consacrés à travers leur transcription en moore, leur traduction en français et leur analyse.

A notre avis, la nouveauté et l’intérêt des travaux de Me Titinga Frédéric Pacéré résident dans l’importance du rôle accordé à l’instrument dans la production littéraire traditionnelle; elle nous permet de situer l’instrument dans la société.

Quant à la littérature liée aux gestes et au mouvement, l’auteur lui-même précise, dès le départ, qu’il s’agit d’un jeu de scène de théâtre qui donne l’occasion à un certain nombre de personnes initiées, d’interpréter des gestes, des rôles dont la signification est unique et connue d’elles seules. Du reste, beaucoup de travaux ont montré comment la plupart des rites sacrés traditionnels en Afrique relèvent du théâtre (mise en scène, distribution des rôles, organisation des interventions, décors, etc.); c’est ce qu’on a appelé le théâtre rituel.

Je termine en disant que le travail de Me Titinga Frédéric Pacéré a une valeur anthropologique, sociologique et historique très importante. Mais à vouloir exagérer cette importance, on aboutit à la création d’un concept qui reste à être défini, par conséquent, à être compris.

AMICALEMENT

REPOSE EN PAIX, MAÎTRE

Pr Salaka SANOU

[1] Actes du colloque in Anales de l’université. Numéro spécial Décembre 1988 P. 143

[2] Le langage des tam-tams et des masques en Afrique P. 83

[3] Ibidem P.83

[4] Ibidem P. 83

[5] Ibidem P.84

[6] Ibidem P.83

[7] Ibidem p.84

[8] Ibidem p.85

3 Ibidem p.85

4 Ibidem p.88

5 Op.cit. p.152

1 Op. cit. 192

2 Op. cit. 210

3 Op. cit. 249

1 La bendrologie en question in Annales de l’Université Déc. 1988 p. 164

1 La bendrologie en question in Annales de l’Université Déc. 1988 p. 164

2 Le langage des tam-tams et des masques en Afrique p. 39

3 ibidem p. 39

1 La sortie des masques chez les Bobo, un art total: poésie, musique, danse, théâtre, sculpture, tissage. In Annales de l’Université. Numéro spécial. Déc. 1988 p. 75 à 88