A travers cette tribune, le philosophe Mamadou Djibo Baanè-Badikiranè, affichant son option de «fermeté opérationnelle» au «doigté diplomatique double» pour trouver un dénouement à la situation de crise au Niger, est convaincu que «ce retour des putschs en Afrique de l’Ouest comme dans les années 1970 est un drame épouvantable.» Contexte socio-politique national oblige, nous avons amputé le texte juste d’un bout de phrase remplacé par des points de suspension entre parenthèses.
«Mon professeur de philosophie du droit, feu Pierre Laberge, Doyen des études supérieures de l’Université d’Ottawa en 1995, dans son mot introductif au livre, L’Année 1795, Kant, Essai sur la Paix, écrit que l’idée du droit, c’est aussi l’idée de norme de la paix. Car, si, la guerre est décision par la victoire, la paix, c’est la décision par la sentence. La paix libérale, assurément. La paix conviviale est, quant à elle, c’est ma thèse, la fille éduquée des mondes africains (Mandé, Haoussa, Peuls, Bantu, Akan, etc. Elle l’est au sens de normes sociales, sociétales, environnementales, une amitié fraternelle sculptant la convivialité vécue. Nous savons d’expérience que le régime de normes sociales reste du ressort de la société civile. Cela impose que l’on dénie à la société politique (élites de la démocratie partisane) la possibilité de concocter des ingénieries bellicistes pour assouvir ses ambitions de pouvoir et ses abus. La tentative de coup d’Etat au Niger que je condamne fermement en est la preuve.
Ce retour des putschs en Afrique de l’Ouest comme dans les années 1970 est un drame épouvantable. Prendre en otage le Président de la République, Mohammed Bazoum pour valider la capture du pouvoir d’Etat en liant sa libération à l’acceptation de la forfaiture n’est pas acceptable. La liberté n’est jamais une rançon. Face à ce drame et ses développements, la paix et la justice imposent que nous sortions des logiques hégémoniques et d’extraversion de nos volontés et recourir à notre diplomatie africaine des mécanismes endogènes. Nos dirigeants ont fait ce choix responsable adossé sur un train de sanctions et de dissuasion opérationnelle en mettant en alerte, la force en attente.
«Nos anciens savent que la paix fraternelle n’est jamais refusée aux pacifiques»
En Afrique, nous disposons heureusement de mécanismes endogènes de prévention, d’écoute et de règlement de nos conflits. Nos anciens savent que la paix fraternelle n’est jamais refusée aux pacifiques. Mais les putschistes nigériens refusent de recevoir les émissaires désignés de la Cédéao. Oui, le pire malfaisant mérite qu’on l’écoute. Ces missions participent donc de ce principe d’écoute, de création continue du dialogue. Toute cause-perdue-me dira-t-on, mérite écoute et défense. Et les droits de la défense sont sacrés, principe indépassable en droit pénal. Mais nul ne peut accepter que le putsch soit le moyen de dévolution du pouvoir d’Etat contre l’urne. Nos constitutions endogènes africaines l’interdisent (Mandé Kalikan de 1236). Nos constitutions des républiques post-coloniales, éprises de l’ordre constitutionnel occidental, l’interdisent, elles aussi. La force comme principe de prise et d’exercice du pouvoir d’Etat? Non. Parce que la force sans la justice est tyrannique, disait Blaise Pascal. Et Inversement, la justice sans la force est impuissance.
La CEDEAO est fondée à montrer ses muscles au nom de la paix, de la stabilité, des libertés d’aller et venir et de travailler. Nos dirigeants tiennent ce serment en responsabilité: contraposer la logique institutionnelle à la logique kaki de capture des légitimités démocratiques. Et c’est une excellente chose au nom du leadership éclairé que nous sommes en droit d’exiger qu’ils incarnent. Cette menace d’intervention n’est donc pas la guerre des citoyens de la CEDEAO contre leurs frères du Niger, jouissant comme eux de l’égale protection de leurs droits démocratiques de choisir librement leurs dirigeants. Non à la rhétorique belliciste des putschistes (…), incapables de stabilisation sécuritaire en rajoutent à leur incurie. Une connivence stérile!
La diplomatie endogène concertée
Vociférer la déclaration de guerre dans un salon climatisé? Honte! Seule une junte captatrice de privilèges indus en est capable. La guerre pour le valeureux soldat républicain tient la victoire kaki en haute estime. Nos autorités élues tiennent la paix et la stabilité comme condition sine qua none du développement et du progrès social africain. Un choix rationnel! Activer la «force en attente» se situe entre le devoir de préparer l’opération militaire que nos protocoles, règlements et jurisprudence autorisent et la légalité républicaine de l’autorité élue dont la séquestration est intolérable. Le rétablissement de la légalité républicaine est notre contrainte institutionnelle au Niger. Il faut bien s’assumer à un moment où à un autre et administrer la preuve qu’on peut, nous CEDEAO, résoudre nos problèmes de sécurité. Le moment de la république constitutionnelle qui s’oppose à la république insurgée est arrivé avec la cas nigérien. Nos chefs de l’Etat avec sagesse, réaffirment, lieu de mémoire ancestrale oblige, la diplomatie endogène concertée, à effets cumulatifs en tandem avec celle de l’Institution: émissaire désigné Abdul Salami et dignitaires et Emirs de Sokoto, Kano, Parlementaires de la CEDEAO. C’est le socle du règlement pacifique séculaire pour préserver la paix et la stabilité. Cette diplomatie endogène CEDEAO à double tranchant, a le mérite de nous soustraire aux maladresses, interférences des non Africains et autres velléités extérieures. Oui à cette sagesse procédurale souveraine!
«La diplomatie de l’arbre à palabres reste efficace, constructif…»
Le test de crédibilité de notre bel instrument d’intégration est arrivé. Inacceptable de laisser les putschistes qui n’ont aucune vision centrale du développement, détruire l’outil de construction de paix et de stabilité. Rendre justice aux victimes, en l’espèce, la République, le Président Bazoum, la volonté générale librement exprimée en 2021 avec plus de 2 millions de votes, la stabilité sous-régionale et les libertés publiques menacées, il sied que le droit s’appuie aussi sur la menace de l’usage de la force massive imminente en plus de sa force morale. Tous ces enjeux de paix, de justice et de force maitrisée versus la prédation putschiste, imposent fermeté et doigté virtuose. Allier ces deux moyens fait honneur à nos dirigeants. De l’Afrique politique précoloniale à nos républiques constitutionnelles, la diplomatie de l’arbre à palabres reste efficace, constructif et endogène. Elle nous fait signe. Suivons-la!
Les médiations des dignitaires et légitimités africaines souveraines, voilà, une voie d’écoute et de construction de paix pour échapper à tous ces soupçons de manipulation des puissances hégémoniques, étrangères déstabilisantes pour la CEDEAO. Nos enjeux de paix, de justice, d’ordre et de progrès social sont à nous. Nos dirigeants ont donc de la mémoire. Laissons ce processus diplomatique endogène africain continuer. L’Afrique est une très longue mémoire ancestrale, la plus vieille du monde, disait l’historien Ki-Zerbo. Engagés par nos alliances nouées, bien sûr, par nos ascendants, singulièrement, Haoussa qu’ils soient du Niger ou du Nigeria. Tenons ce sacerdoce comme le Sénoufo du grand Mandé (de Sikasso, de Banfora ou de Korhogo). Nous sommes liés par nos mécanismes endogènes de règlement de nos conflits. Les interdits et les tabous (pactes de sang, sinangoya, animaux sacrés, les rituels pour la chasse, etc.) sont, de ce point de vue, descriptifs de notre architecture séculaire d’ordre et de progrès social. Des alliances multimillénaires entre peuples sont ainsi à l’œuvre dans la médiation des dignitaires haoussa, ce grand groupe social africain. Les alliés de Kano, Sokoto etc., demeurent ainsi engagés pour la paix ouverte, ce produit de la convivialité et tolérance fraternelle. L’ex Gouverneur et figure tutélaire de l’Islam Tidjaniya Haoussa, El Hadj Sanusi Lamido Sanusi entama le mercredi 9 aout 2023, auréolé de ses atouts civilisationnels et fraternels, une médiation. Diplomatique et mémorielle.
La recette de conciliation avec la réconciliation
Oui, nos légitimités ancestrales chevronnées et nos diplomates trouveront la recette de conciliation avec la réconciliation, le vrai enjeu. Restaurer notre émancipation des tentations hégémoniques, d’où qu’elles viennent. Cet idéal ne trahit pas l’idéal républicain de paix. Des jeunes manipulés ou conscients dénoncent l’hubris d’hégemon des puissances étrangères. Cette perception doit nous interpeller. Elle est en partie le produit souvent d’une entreprise en dissimulation (diversion et manipulation). Mais il se peut aussi qu’elle nous révèle- vu les vécus sociaux des peuples et les attentes légitimes- la némésis du nexus crime de lèse-majesté/réveil d’émancipation partagée. N’est-ce pas un appel au leadership éclairé semblable à celui que le Président Alassane Ouattara incarne? Refaire le modèle stratégique standard devenu obsolète, travailler, structurer nos efforts, discipliner nos jeunes pour biffer notre retard mesurable en termes de développementisme endogène, alors nous réussirons là où les puissances étrangères rament contre notre mémoire et émancipation. Rouvrir notre avenir de paix, souverainement, c’est un appel au leadership responsable, autocentré sur nos attentes, bref, suivre notre armature dogmatique tissée de singularité universelle comme toute autre.
Un vrai chemin d’opportunités pour l’auto-référencement de nos décisions. Au lieu de jouer la victimisation et l’agrippement au complotisme comme nos jeunes le font, il importe qu’ils soutiennent nos autorités élues en charge de la CEDEAO et nos légitimités ancestrales attachées à la règle de droit, la loi au nom de leurs serments pour l’honneur et le respect de l’Afrique. La loi, toute loi ne vaut norme parce que vécue socialement, renforçant l’affectio societatis comme honneur et dignité personnels protégés. La paix est donc la fin essentielle de la Raison humaine. La construction de la paix passe par le maintien légal de l’ordre public comme soupape de sécurité individuelle et collective républicaine. Emmanuel Kant n’aurait pas dit non au Mandé Kalikan par exemple ou à la diplomatie ancestrale à laquelle la CEDEAO recourt en ceci que c’est la même doctrine de la téléologie poursuivie par les Humains, ces êtres doués de raison. Cette fin, nommée Paix, est un bien commun en Europe, en Afrique, partout. Faire entendre raison aux juntes car on ne répudie la diplomatie qu’à ses dépens tandis que le soupçon détruit notre cohésion. Soustraire nos jeunes gens dont les esprits mal préparés à l’esprit critique, deviennent des proies faciles des populistes hors sol, forts en provocations.
Deux constats
Nos rues de Bamako, Niamey, Ouaga, témoignent de cette urgence de réenchantement pragmatique, de reconnexion lucide aux faits que Max Weber nous prescrirait. La paix, c’est la décision par la sentence d’une Institution qui consacre la justice, la paix et la liberté. La CEDEAO l’incarne dans notre espace. Ses décisions valident sa cohérence systémique et les citoyens recourent à la Cour de Justice éponyme d’Abuja avec confiance. Il n’y a donc pas de discontinuité surtout que le régime de normes sociales reste du ressort de la société civile en Afrique pour ne pas offrir à la puissance armée, la possibilité de façonner des ingénieries putschistes, encore et encore. Assez! Les putschs sont donc des fabriques de crises. Notre armature dogmatique ancestrale ne tolère point la force brutale. De là deux constats:
La vérité que la tentative de coup d’Etat du Niger contient, c’est la vérité de la théorie du cygne noir de Nassim Taleb. Celle-là concerne la France. Ses administrations n’ont rien vu venir au Sahel avec ces républiques insurgées depuis la chute du Président Blaise Compaoré en 2014. Le G5 Sahel n’y peut rien. Tout refaire dans l’écoute des Africains, refonder le lien au nom de l’émancipation partagée.
Le deuxième constat pour la démocratie libérale électorale représentative et la CEDEAO, c’est la promesse de la république: égalité, équité et les services de base par un Etat démocratique, solidaire, efficace et exemplaire. La Revitalisation républicaine est un concept qui a un contenu contextualisé. Loin de relativiser la démocratie, il lui donne le cachet de singularité universelle en acte: le respect des droits humains, de l’Etat de droit démocratique et le renvoi de chaque citoyen à la poursuite libre de son bonheur par un Etat impartial.
Il appert donc que dans les moments émotionnellement surchargés et politiquement telluriques, peu importent les récriminations, il sied entre Africains et Européens, nos voisins immédiats, un aggiornamento pour assainir voire refonder le lien stratégique ante. Oui, l’amour couronne pour mieux crucifier dit Khalil Gibran. Surtout lorsque les pannes de lucidité sculptent la haine. La violence françafricaine médiatique actuelle nous prescrit, l’indépassable désagrippement réciproque. L’agrippement des uns à l’un ou de l’un aux autres. D’Artagnan n’est pas africain. La parenté plaisante n’est pas occidentale (ni russe, ni française, ni américaine, ni chinoise). S’agripper à … c’est assez dépressif pour inoculer dans nos corps, nos esprits et nos institutions, la dépendance politico-émotionnelle. Les micro-émeutes urbaines orchestrées en disent quelque chose. Leur orchestration réussie interroge chaque leader pragmatique africain. La fin de cette déraison, comme toutes les autres, reste cependant dolorique. Mais nos chemins d’émancipation se croisent. Ils doivent donc se rencontrer, se concerter dans le respect de la différence des choix. Que d’asymétries du quotidien dans les rues africaines et les salons parisiens! L’évidence, pourtant, énonce qu’elles ne sont ni anti-partenariats fructueux, ni de l’imprévu africain! C’est le retour de l’histoire. Avec fracas. Dont acte!»
Mamadou Djibo Baanè-Badikiranè
Philosophe