Alors que les élections générales approchent au Nigeria, le débat idéologique est vide et peu de politiciens ont une idée claire du courant idéologique qui les habite ou devrait les habiter. Dans son article publié en collaboration avec Libre Afrique, Feyisade Adeyemi doctorant à l’Université d’Ibadan, directeur académique des Students For Liberty ainsi que fondateur de l’Institut de Chale, dénonce le manque d’idéologie en Afrique et singulièrement au Nigeria. Aux indépendances, les courants nationalistes ont embrassé une sorte de communisme ayant conduit à la pauvreté des populations et à l’enrichissement des dirigeants et leurs amis. L’auteur s’inquiète parce que les mauvaises politiques tuent plus que les guerres. Les politiciens doivent donc se mettre réellement au travail !
Les élections générales au Nigeria sont prévues dans moins de deux mois. Normalement, après soixante ans d’indépendance politique, on aurait pu s’attendre à ce que la politique du pays s’appuie sur des idéologies claires, mais ce n’est pas le cas. Presque chaque fois que des observateurs tentent d’étudier la politique du pays, ils se heurtent à un système politique embarrassant, divisé entre plusieurs ethnies et religions, sans idéologies spécifiques.
Absence d’une conscience idéologique
Quiconque fera un sondage auprès d’un politicien local sur son idéologie politique, se heurtera à un mur vide et silencieux. Et celui qui aura la chance d’obtenir une réponse aura du mal à décrypter un message presque dénué de sens. Le problème n’est peut-être pas une absence d’idéologie, mais une méconnaissance du rôle que peut jouer l’idéologie et la philosophie politique dans le développement. On peut faire preuve d’un peu d’indulgence vis-à-vis des politiciens, car généralement les Nigérians ne souscrivent pas consciemment à des courants idéologiques. Toutefois, si vous avez une opinion sur un sujet, politique ou non, votre position appartiendra toujours à une certaine idéologie. C’est ainsi que ça fonctionne dans le monde des idées.
Puisque l’idéologie est un système de pensée fondé sur des principes bien établis, toute personne qui gère une politique publique ou qui influence l’opinion publique devrait y adhérer ouvertement ; au moins pour donner à ses adeptes une idée sur la ligne principale de sa pensée, d’où le concept de modèle de politique. En principe, un dirigeant a également besoin de cette boussole intérieure, qui est l’idéologie, pour rester cohérent aussi bien dans ses paroles que dans ses actes.
Des idéologies locales ou juste des variantes du marxisme ?
Les décennies qui ont suivi la vague d’indépendance en Afrique ont été nourries par les idées de nationalistes africains, notamment Kwame Nkrumah (nkrumahisme ou consciencisme) et Obafemi Awolowo (awoisime). Ces idéologies ne sont en fait issues du marxisme.
De cette idée, visant à suivre la voie d’un nationaliste vivant, découle le suivisme actuel de nombreux politiciens nigérians membres du parti au pouvoir qui s’identifieront, par exemple, au buharisme, à la suite du président Muhammadu Buhari. Mais quel a été l’apport de ces philosophies au leadership et à la politique du pays? En un mot : rien.
Les politiciens nigérians sont majoritairement socialistes, qu’ils s’identifient ou non à ces « ismes » marxistes. En effet, ils promettent généralement de mettre en place un gouvernement central puissant qui commande et contrôle l’ordre social. Ils fixent les prix des biens et des services et utilisent les fonds publics pour des prestations sociales sans prendre en compte des solutions alternatives aux interventions de l’Etat providence.
Ce socialisme débouche ultimement sur le communisme, qui se traduit par le contrôle par l’État de tous les moyens de production, l’abolition des droits de propriété individuels et la promesse d’une société égalitaire. L’histoire montre que les expériences communistes se terminent toujours dans le chaos : la famine et les administrations tyranniques qui ne promettent la richesse pour tous que pour engendrer la pauvreté pour tous.
Plutôt que d’adhérer aux idéologies communistes qui ont été essayées ailleurs et dont on connaît les impacts ravageurs, le Nigéria, et d’autres pays africains à faible revenu, devraient se tourner vers la liberté économique mieux à même de conduire à la prospérité. Une liberté économique signifie : liberté de choisir, droit à un système juridique équitable et impartial, libre échange et libre concurrence, indépendance financière, et droit de rechercher le bonheur.
Doit-on réinventer la roue?
Les politiciens et les intellectuels nigérians doivent comprendre que, si l’on peut adopter la roue, elle ne peut être réinventée. Les idéologies africaines soi-disant originales des dirigeants nationalistes sont principalement des formes de socialisme ou même de fascisme promues par Karl Marx en son temps. Les Africains sont souvent exhortés à être anti-capitalistes au motif qu’il s’agit d’une idéologie occidentale. Rien ne peut être plus éloigné de la vérité. Les Africains ne sont pas seulement capitalistes, mais nos ancêtres ont pu prospérer grâce au capitalisme.
Des valeurs de liberté perdues?
Les sociétés nigérianes traditionnelles utilisaient principalement des systèmes de marché libre à frontières ouvertes, fondés sur la coopération volontaire de commerçants appuyés par le communalisme, qui servait de filet de sécurité sociale. Suite au regroupement forcé de différentes communautés, à l’imposition de frontières artificielles et au colonialisme, ce mode de vie a été compromis. Une fois les colonies devenues indépendantes, les nationalistes ont pris le contrôle des ressources sous le couvert d’un État, en promettant des formes de redistribution des richesses pour parvenir à l’égalité. Ils se sont enrichis et ont enrichi leurs copains, mais pas le reste du peuple.
Ainsi, on peut constater que les idéologies ont un impact sur le quotidien des populations. Les mauvaises politiques sont plus meurtrières que les guerres tout en étant plus silencieuses. On ne peut donc pas ignorer les idées quand on embrasse une carrière politique.