Ce premier jour du mois d’août n’a pas été de tout repos au Nigeria, où les populations ont pris d’assaut la rue, sans leaders connus comme à l’accoutumée, pour exprimer leur ire contre les mesures économiques du président Bola Tinubu. La vague des manifestants a déferlé dans toutes les régions et ils étaient davantage en nombre dans les grandes villes dont celle de Lagos. Le slogan tout trouvé était «Stop à la mauvaise gouvernance au Nigeria». Mais il aurait pu être «Stop à la faim», car ce sont des dizaines de millions de Nigérians qui sont pris dans l’étau infernal de la faim. Le panier de la ménagère continue de maigrir, tant les difficultés pour le citoyen lambda nigérian pour joindre les deux bouts et surtout trouver la pitance quotidienne, se corsent. Le Nigeria, bien que grand producteur de pétrole, ne cesse de plonger dans les abymes d’une crise inflationniste sans mesure, en partie, par la faute de gouvernants aux politiques hasardeuses et davantage préoccupés par la santé de leurs propres comptes bancaires et l’accumulation de résidences et de voitures luxueuses.
L’insécurité désormais endémique, alimentée par les attaques meurtrières de la nébuleuse «Boko Haram», le chômage et le manque d’emploi pour la jeunesse, la cherté vertigineuse des produits de première nécessité, sont, entre autres, les causes du mal-vivre des Nigérians. Et l’incertitude a viré au cauchemar, par la suppression, en mai 2023, des subventions sur les carburants, par Bola Tinubu, aussitôt qu’il est venu aux affaires. Conséquence de ce coup de massue sur les populations, la hausse de tous les prix, notamment ceux des transports. Tout a donc augmenté, sauf le salaire des fonctionnaires, ce qui a fait chuter, drastiquement, le pouvoir d’achat des Nigérians, à qui le coup de grâce a été porté par le pouvoir d’Abuja qui n’a pas pu arrêter la chute de la monnaie nationale, le naïra, qui s’est retrouvé très bas par rapport au dollar. Comme le médecin après la mort, les mesures de sauvetage prises par les autorités nigérianes n’ont pu redonner du souffle aux Nigérians. Ceux-ci ont, alors, décidé de se faire entendre, pacifiquement, mais bruyamment. Résultat des courses, hommes et femmes, et surtout des jeunes de la vingtaine, ont commencé à crier leur ras-le-bol ce jeudi. Et jusqu’à quand?
Malgré les interventions des forces de l’ordre qui ont dû faire usage de grenades lacrymogènes, la fin du mouvement des «crève-la-faim» est difficile à situer. La manifestation pourrait même prendre une autre tournure, si elle ne se structure pas autour d’interlocuteurs, c’est-à-dire les syndicats ou les leaders de la société civile connus et reconnus. C’est dire combien les nuits blanches pourraient s’amonceler pour l’ancien gouverneur de l’Etat de Lagos, devenu président de la République. Car, Bola Tinubu doit, en même temps, gérer la crise avec le voisin nigérien contre qui, la CEDEAO, dont il était le président, avait pris des sanctions énergiques, allant de mesures financières à la fermeture des frontières et menaces d’intervention par la force, contre le coup de force du général Abderahamane Tiani, le 26 juillet 2023. Depuis lors, beaucoup d’eau a coulé sous le pont, mais le feu pourrait toujours couver entre les deux voisins, dont l’un, suivez mon regard, ne verrait pas d’un mauvais œil les turbulences que traverse l’autre.
Le Nigeria n’est-il pas entrain d’entamer un cycle de crises économiques? En tout cas, c’est un pouvoir en délicatesse avec le peuple et un pays bien fragilisé par le plongeon du naïra, qui devront faire face, désormais, aux attaques meurtrières de «Boko Haram», à l’avènement toujours attendu de la monnaie commune à l’Afrique de l’ouest, de la nouvelle configuration de la sous-région avec la formation de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), créée par le Mali, le Burkina Faso et le Niger, qui ont claqué la porte de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest, la CEDEAO, au sein de laquelle le Nigeria fait figure de géant politique, économique et militaire.
Par Wakat Séra