Six mois après avoir vécu sans gouvernement, les Togolais ont découvert, ce mardi, les 35 ministres de la nouvelle équipe de Victoire Sidemeho Tomegah-Dogbe, à qui le chef de l’Etat a réitéré sa confiance, après son départ, le 21 mai 2024. En effet, le Premier ministre, conformément aux usages républicains, avait présenté sa démission et celle de son gouvernement, à Faure Gnassingbé, suite au législatives du 29 avril et dont les résultats définitifs ont été proclamés le 13 mai dernier. Et depuis lors, les ministres qui avaient tous perdu, systématiquement, leurs portefeuilles, n’étaient plus chargés que d’évacuer les affaires courantes. Visiblement, ils le faisaient tellement bien que le Togo a passé deux bons trimestres sans gouvernement! Maintenant, que les anciens et reconduits récupèrent leurs maroquins, et que les nouveaux vont découvrir leurs fauteuils moelleux, les ministres auront pour mission de conduire une transition de six à huit mois, le temps pour les nouvelles institutions de se mettre en place pour faire tourner à plein régime la machine de la Ve république, née de la nouvelle constitution contre laquelle l’opposition est toujours vent debout.
Pourquoi Faure Gnassingbé a-t-il accepté d’ouvrir ce gouvernement tant attendu, à l’opposition? Pourtant, son parti, l’Union pour la renaissance (UNIR), ayant dominé de la tête et des épaules les dernières élections, qui ouvrent l’ère nouvelle du régime parlementaire, en lieu et place de celui présidentiel, lui a offert la majorité absolue à l’Assemblée nationale. Du coup, selon les dispositions de la nouvelle constitution en vigueur, Faure Gnassingbé est certain de devenir le président du Conseil de ministres qui détient la réalité du pouvoir politique. Comment donc comprendre les entrées au gouvernement, de trois représentants de partis de l’opposition, en l’occurrence, Joseph Koamy Gloékpe Gomado de l’ANC, Isaac Tchiakpe de l’Union des forces du changement (UFC) et Kossivi Hounake de BATIR? L’acte posé par Faure Gnassingbé est donc loin d’être fortuit. Cela répond, sans doute, à la volonté du président togolais de réaliser sa politique de «cohésion et d’inclusions nationales» qui a servi de voute à la campagne électorale de son parti, pour les dernières législatives et régionales couplées. Mais c’est aussi l’occasion rêvée pour Faure Gnassingbé de montrer aux leaders de l’opposition, la plupart en perte de vitesse, que son programme rencontre également l’adhésion de certains de leurs cadres et de leurs militants, qui ont rangé dans les placards, les querelles politiciennes et d’individus.
Certains verront dans ces nominations, la pratique de la célèbre formule du diviser pour régner. Jean-Pierre Fabre, à la tête d’une Alliance nationale pour le changement (ANC) affaiblie depuis lors, ne dira pas le contraire, lui qui vient de suspendre le nouveau ministre en charge de l’Aménagement et du développement du territoire, Joseph Koamy Gloékpe Gomado, un cadre influent de son parti. Ce dernier, membre du bureau national de l’ANC au titre de laquelle il est maire de la commune de Golfe 1, ne s’est pas embarrassé de fioritures pour répondre à l’appel du Premier ministre Victoire Tomegah-Dogbe. Ce qui a attiré immédiatement sur lui, les foudres de Jean-Pierre Fabre qui, l’a accusé d’avoir commis «une faute lourde, passible de sanctions». Comme quoi, la suspension de l’ANC, de Joseph Koamy Gomado, n’est qu’une première étape des mesures punitives à l’encontre du désormais ministre en charge de l’Aménagement et du développement du territoire. L’histoire nous réserve sans doute encore une suite bien cocasse, car le leader de l’ANC, Jean-Pierre Fabre, est également le maire de la commune de Golfe 4, et de ce fait, sa route pourrait croiser celle du ministre chargé du développement du territoire, son «ancien» camarade de parti!
En tout cas, alors que Faure Gnassingbé ouvre la porte de son gouvernement d’«inclusion», Jean-Pierre Fabre, l’inamovible patron de l’ANC, lui, ferme celle de son parti à ceux qui sont tentés par «les sirènes du pouvoir».
Par Wakat Séra