A l’occasion du 15 septembre 2022, Journée internationale de la Démocratie, l’analyste politique et géostratégique, Madina Tall et l’enseignant-chercheur, Youba Nimaga ont produit cette réflexion.
L’intervalle 1990 – 2022 représente les 32 années de la démocratie en Afrique entre succès de la démocratie procédurale et illusion de la démocratisation à l’épreuve d’un lifting démocratique en quête de repères entre coups d’États militaires, coups d’États constitutionnels, processus électoraux contestés et désordre international.
L’on se rappelle les promesses du discours de la Baule en 1990 où François Mitterand caricaturait l’instauration de la démocratie en Afrique: «Lorsque je dis démocratie {…}, j’ai naturellement un schéma tout prêt: système représentatif, élections libres, multipartisme, liberté de presse, indépendance de la magistrature, refus de la censure: voilà le schéma dont nous disposons» à la condition de l’aide et au soutien des pays du Nord.
Depuis lors, l’état de la démocratie en Afrique semble n’évoluer que sur 3 piliers: l’acceptation solennelle de l’universalité des principes et règles démocratiques, l’édification de l’État de droit ainsi que l’organisation des élections.
En effet, les résultats de la démocratisation effective sur le continent sont véritablement hypothéqués, réversibles voire même régressifs étant en omission, compromission et insoumission avec l’État de droit. A telle enseigne qu’on se pose la question de savoir si en Afrique, la démocratie est vécue ou subie par les Peuples. Ces derniers, qui ne se reconnaissent pas très souvent en ce modèle et demeurent confrontés à une démocratisation à géométrie variable selon les circonstances politiques et les intérêts stratégiques.
S’il est vrai que certains résument la démocratisation aux processus électoraux, il convient de rappeler que l’organisation des quelque 630 élections présidentielles et législatives sur le continent depuis 1990 n’ont pas été sous silence de contestations, de manipulations et de tensions sociales. Il s’en suit des gestions de pouvoirs autocratiques avec une gouvernance approximative et des gouvernants dont la personnalité est souvent en concurrence avec l’État. Alors que la démocratisation n’est pas seulement politique, elle est aussi et surtout économique, sociale, culturelle, morale.
De plus en plus, dans certains pays, la démocratie est étrangère au quotidien des peuples du fait de la perversion de sa mise en oeuvre et de la bonne gouvernance. De ce constat, on assiste à la naissance de deux tendances: la normalisation de l’anti-démocratie et la répulsion du concept de démocratie.
Un «y’en a marre» qui pourrait du moins se justifier, car en dépit de l’instauration de la démocratie en Afrique de l’Ouest, ni paix durable, ni stabilité politique encore moins sécurité n’ont été au rendez-vous.
On ne saurait faire fi des efforts considérables de certains États pour sauvegarder les acquis et oeuvrer pour une meilleure démocratie dans leurs États tant ceux – ci se démarquent par la stabilité économique, politique, la justice forte, la réduction du taux de pauvreté, la liberté d’expression, de presse, etc.
Toutefois, des régressions voire des ralentissements sont observables dans certains pays en matière de développement ou encore de gouvernance.
Alors que Roland Dumas affirmait que: «{…} Il n’y a pas de développement sans démocratie et il n’y a pas de démocratie sans développement», ce qui résume l’esprit du discours de la Baule, plusieurs questions jalonnent autour de la démocratie en Afrique.
La négation de la démocratie suppose-t-elle le sous-développement? A contrario, son application est-elle un critère de développement?
Les États africains sont certes modernes mais souffrent de nombreux écueils internes et externes, qui fragilisent la démocratie ou font fi de certains de ces principes.
Il est irréfutable que les valeurs de la démocratie soient universelles dans les États ayant adopté cette forme de gouvernement, d’ailleurs, elle est la plus épousée à travers le monde.
Néanmoins, la cohabitation État-Démocratie n’est pas sans reproche car elle devra s’adapter et se réinventer en tenant compte de la diversité.
Comme l’a rappelé Shimon Peres: «La démocratie ne consiste plus à s’engager à ce que tous soient égaux, mais à ce que chacun puisse être différent, tout en étant traité également. Elle n’est plus la revendication de la libre expression, mais de l’auto-expression pour ne pas sombrer dans le trou noir de la globalité».
Les auteurs
Madina Tall, Analyste politique et géostratégique, diplômée en Études Stratégiques, Sécurité et Politique de Défense. Chercheuse sur les questions de terrorisme dans la zone sahélo-saharienne, éditorialiste et écrivaine, Porte – Parole du Parlement Francophone des Jeunes (PFJ) Facebook: Tall Madina Officiel / Tall Madina
Youba Nimaga, Enseignant – Chercheur à la Faculté de Droit public de l’Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako ainsi que Chargé de dossiers au Secrétariat technique du Comité national des actions du G5 Sahel au Mali. Facebook: Youba Nimaga