Huit mois après le coup d’État de janvier 2022, le Burkina est de nouveau entré dans une zone de turbulence. Mais contrairement à ce qui s’était alors passé, cette fois le peuple Burkinabé est intervenu dans le rues, contribuant ainsi à la victoire des putschistes dirigés par le jeune capitaine Ibrahim Traoré.
LES DIFFÉRENTS PARAGRAPHES
Retour de tirs nourris à Ouagadougou
Tension extrême entre deux clans de l’armée au bord de l’affrontement
Un coup d’État doublé d’une insurrection
La crise sécuritaire s’est aggravée.
Des massacres récents de grande ampleur qui traumatisent la population
Une armée en crise
Restauration du CDP, réconciliation pour le retour de Blaise Compaoré et tentative de mise au pas des OSC
Des agissements du MPSR1 qui ont réveillé une opposition
Une recomposition politique amorcée sous le MPSR1 qui va sans doute continuer.
Une nouvelle génération d’associations de la société civile
Pourquoi la politique française était devenue si impopulaire ?
Qu’en est-il des questions militaires et des rapports entre l’armée française et l’armée burkinabè ?
Les choix internationaux du nouveau pouvoir. France ou Russie ?
Le Burkina fait de nouveau parler de lui. Un nouveau coup d’État militaire est intervenu à Ouagadougou, 8 mois après le précédent, mais cette fois la population a repris le chemin de la rue. Quelle analyse peut-on faire de la situation ?
Retour de tirs nourris à Ouagadougou
Le 30 septembre au matin, les Burkinabè se réveillent de nouveau au son de tirs nourris d’armes de guerre en provenance du camp Baba Sy, le quartier général des hommes du lieutenant-colonel Damiba qui dirige le pays. Nouveau putsch huit mois après le précédent coup d’État qui l’avait porté au pouvoir !
Un peu plus tard dans la journée, des militaires occupent la télévision, et se déploient sur de nombreux carrefours et axes de Ouagadougou. Ils prennent le contrôle du camp Nabaa Koom, situé à côté de la présidence.
La population reste alors dans l’expectative quelque peu lasse voire blasée. Questionnée, une connaissance en ville, ne parait pas alors trop inquiète, « nous sommes habitués » me confie-t-il. Pourtant la capitale va vivre une tension maximale, deux camps bien armés vont frôler l’affrontement.
Mes médias locaux évoquent alors une mutinerie. Comme en janvier. Les mutins demanderaient la libération du lieutenant-colonel Zoungrana, soupçonné d’avoir voulu fomenter un coup d’État, arrêté sous le régime de Roch Marc Christian Kaboré. Parmi les autres revendications, les médias rapportent un meilleur accompagnement des familles des militaires tués au front, et plus généralement une amélioration de leurs conditions en vue d’améliorer la qualité et l’efficacité opérationnelle de l’armée.
Les discussions s’ouvrent entre les mutins et des émissaires envoyés par Damiba, sous l’égide de quelques généraux selon ce qu’a écrit sur sa page Facebook le journaliste Inoussa Ouedrago[1].
Peu d’informations vont circuler jusqu’au soir. Au journal de la Télévision nationale burkinabè de 20h, des soldats apparaissent armés et cagoulés à la télévision. Un officier lit une déclaration, le contenu du communiqué n°3, au nom du capitaine Ibrahim Traoré, assis à côté de lui. Il annonce la dissolution de la constitution et des institutions mis en place pour gérer la transition par le régime de Damiba, la fermeture des frontières, l’instauration d’un couvre-feu de 21h à 5h du matin, la suspension des activités politiques et celles des OSC (organisation de la société civile) et la convocation prochaine des « forces vives de la nation .. afin d’adopter une nouvelle charte de la Transition et de désigner un nouveau président civil ou militaire ». Un classique pour les Burkinabè…
Dans le communiqué n° 2, ils se disent « animés d’un seul idéal, la restauration de la sécurité et de l’intégrité territoriale ». Se réclamant aussi du MPSR (Mouvement populaire pour la sauvegarde et la restauration) qui a pris le pouvoir en janvier, ils se disent avoir été trahis par le lieutenant-colonel Paul Damiba, qui a relégué au second plan la situation sécuritaire au profit « d’aventures politiques malheureuses ». Ils affirment avoir vainement tenté de discuter avec Damiba d’un « programme de réorganisation de l’armée » mais celui-ci a rejeté leur. Ils ont plutôt « assisté à une restauration au forceps d’un ordre ancien par des actes de nature à remettre en cause l’indépendance de la justice », dénonçant par ailleurs l’aggravation des « lourdeurs administratives qui caractérisaient le régime déchu ». Ils s’engagent donc à se « recentrer sur les questions sécuritaire », et affirment « leur volonté d’une inclusion de toutes les couches sociales du Faso sans distinction aucune dans la suite de la Transition ».
Le nouvel homme fort comme on dit dans la presse, le capitaine, Ibrahim Traoré, qui fut aussi un des principaux acteurs du coup d’État précédent, est aussi le chef de corps de l’artillerie basée à Kaya une ville située à une centaine de km de la capitale. Cette région a subi de nombreuses attaques et sa population a doublé depuis le conflit par la présence de très nombreux réfugiés.
Tension extrême entre deux clans de l’armée au bord de l’affrontement
Le 1er octobre, la situation se tend. De nombreuses nouvelles, vraies ou fausses, circulent sur les réseaux sociaux ou dans les groupes WhatsApp, faisant état de mouvements de troupes vers la capitale. Dans une nouvelle vidéo des militaires déclarent « Le lieutenant-colonel Damiba se serait réfugié au sein de la base militaire française à Kamboinsé (banlieue nord de Ouagadougou), en mesure de planifier une contre-offensive afin de semer le trouble au sein de nos forces de défense et de sécurité ». Cette information déjà diffusée la veille sur les réseaux sociaux puis momentanément disparue revient en force.
Dans une interview à la très populaire radio Omega, le capitaine Ibrahim Traoré explique que Damiba est en train de préparer une contre-offensive mais que lui refuse d’engager le combat. Il faut éviter de se battre entre militaires déclare-t-il, ajoutant que le matériel est précieux pour les combats contre les terroristes et qu’il a donc refusé de tirer sur un hélicoptère. Il se lance alors dans un long développement où il exprimera une forte empathie avec les populations qui subissent les agressions de HANI (hommes armés non identifiés) sous la coupe d’Al Qaïda ou de l’État islamique.
Si au début des attaques terroristes, ceux-ci provenaient pour la plupart de l’étranger, l’essentiel aujourd’hui de ces assaillants sont Burkinabé comme ne cessent de le répéter les observateurs burkinabè lors des débats dans les médias locaux.
Ibrahim Traoré affirme que ses hommes se sont mobilisés pour des problèmes relevant du respect des hommes, mais aussi de « petits problèmes logistiques ». Il n’est pas là pour prendre le pouvoir. Il affirme même à la fin de l’interview son souhait que les civils choisissent leur président. Lui veut retourner au combat. Selon lui la CEDEAO n’a pas à s’inquiéter, les délais promis pour mettre fin à la transition seront respectés et précisant que selon lui elle n’a pas besoin de durer si longtemps. (Voir https://www.youtube.com/watch?v=jZw0QAJRkE0 ).
Le lieutenant-colonel Damiba va publier à son tour un communiqué sur la page Facebook de la présidence où dans lequel il s’insurge contre la « diffusion d’informations mensongères dans le but de manipuler les populations et le instrumentalisant pour des causes étrangères »… et « dément formellement être réfugié dans la base française de Kamboinsé ». Il appelle la population au calme et le « Capitaine Traoré et compagnie à revenir à la raison pour éviter une guerre fratricide ».
On apprend plus tard que des négociations ont commencé entre Paul Damiba et Ibrahim Traoré sous l’égide des « des faîtières des communautés religieuses et coutumières ». Elles publient en effet un communiqué dans le courant de l’après-midi du 2 octobre, annonçant que Paul Henri Damiba a proposé sa démission sous réserve que les 7 conditions suivantes soient acceptées:
- La poursuite des activités opérationnelles sur le terrain
- La garantie de la sécurité et de la non-poursuite des FDS engagés à ses côtés
- La poursuite du renforcement de la cohésion au sein des FDS
- La poursuite de la réconciliation nationale
- Le respect des engagements pris avec la CEDEAO
- La poursuite de la réforme de l’État
- La garantie de sa sécurité et de ses droits, ainsi que ceux de ses collaborateurs
Conditions que le capitaine Ibrahim Traoré a acceptées sans délai. Un règlement des hostilités salué par la CEDEAO qui réitère sa volonté de ne pas voir remis en cause l’accord signé avec le précédent gouvernement à savoir la fin de la transition et le retour à l’ordre constitutionnel au plus tard le 1er juillet 2024.
Le soir le capitaine Ibrahim Traoré apparait à la télévision entouré des principaux chefs militaires qu’il va remercier pour déclarer : « Le commandement militaire des forces armées nationales composé du chef d’état-major des armées et des chefs d’état-major d’armée, à l’issue d’une réunion ce dimanche 2 octobre, a décidé à l’unanimité de soutenir le MPSR dans la poursuite de sa vision concernant la défense de la sécurité de la population » et il invite « les soldats combattants du front, à redoubler d’efforts, de reprendre du courage et que nous puissions redynamiser cette lutte et pouvoir redonner la paix à nos populations et apporter plus de sérénité dans nos campagnes. »
Après deux jours, durant lesquels l’affrontement semblait imminent, tout rentre dans l’ordre rapidement. Paul Damiba va quitter le pays avec quelques-uns de ses proches dans un hélicoptère de l’armée burkinabé vers le Togo.
Le lundi 4 octobre, jour de rentrée scolaire, le capitaine Traoré rencontre les secrétaires généraux des ministères pour les inciter à accélérer le traitement des dossiers. « « Il faut vraiment changer le rythme, faut changer le rythme, il faut aller vite. Tout le pays, c’est de l’urgence ». Il leur demande de faire l’inventaire des pickups dans les ministères avec qu’ils soient réquisitionnés par l’armée pour les combats.
Le 4 octobre, une délégation de la CEDEAO se rend au Burkina. Des manifestants tentent sans succès d’empêcher la rencontre le capitaine Ibrahim Traoré. Elle est dirigée par l’ancien président nigérien Mahamadou ISSOUFOU qui déclare, à l’issue de la rencontre : « Je suis totalement satisfait de l’entretien que j’ai eu avec le Capitaine TRAORÉ. Nous repartons confiants… », tout en rassurant que la CEDEAO va continuer à accompagner le peuple burkinabè dans cette période difficile.
Le 5 octobre est publié l’acte fondamental où l’on peut lire « en attendant l’adoption d’une charte de transition, des dispositions du présent acte fondamental fonde l’exercice du pouvoir d’État ». Plus loin « la suspension de la constitution du 02 juin 1991 est levée. Celle-ci s’applique à l’exception de ses dispositions non contraires au présent acte fondamental ». Ibrahim Kaboré, chef de l’État, en exerce les prérogatives. Il rappelle un certain nombre de principes, notamment celui de l’indépendance de la justice.
Les assises nationales pour mettre en place la Transition sont convoquées pour les 14 et 15 octobre.
Les Burkinabè s’attendaient à un nouveau coup de force. La crise politique et sécuritaire s’était considérablement aggravée et les maladresses du pouvoir avaient fini par exacerber monter le mécontentement.
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