Une chercheuse en psychologie s’est penchée sur la génération Internet, née entre 1995 et 2012. Un constat frappant et quelques conseils indispensables…
Les études montrent que la génération Internet serait sujette à de graves problèmes de santé mentale qui s’expliquent par le temps passé devant des écrans, en particulier sur les réseaux sociaux.
Une analyse parue dans Phébé, la nouvelle veille d’idées internationale créée par « Le Point ».
Les premiers membres de la génération Internet (« iGen ») ont commencé à entrer sur le marché du travail. Un temps baptisée génération Z, elle est constituée de l’ensemble des personnes nées entre 1995 et 2012. Avant elle, on trouve la génération Y, la génération X et les baby-boomers. Représentant 20 % de la population en France et 24 % aux États-Unis, cette génération, qui arrive dans le monde dit « adulte », va nécessairement avoir un impact sur notre culture, nos institutions et nos habitudes. Comme pour les générations qui l’ont précédée, il sera nécessaire de s’adapter à son comportement et à ses attentes.
La chercheuse Jean M. Twenge a décortiqué pendant quatre ans de nombreuses données pour décrire cette nouvelle génération. Cette analyse aide à mieux la comprendre et pourrait nous permettre de mieux interagir avec elle. Elle nous alerte aussi sur le fait que cette cohorte de jeunes semble beaucoup plus vulnérable que les précédentes.
Pour étudier cette population, l’auteure s’est appuyée sur quatre bases de données, représentant un total impressionnant de 11 millions de participants. La première est une enquête de l’université du Michigan auprès d’élèves de quatrième, seconde et terminale. La deuxième est réalisée par les centres pour le contrôle et la prévention des maladies depuis 1991 auprès des lycéens. La troisième, sous l’égide de l’université de Californie à Los Angeles depuis 1966, est une enquête auprès des élèves entrant au lycée. Enfin, une enquête de l’université de Chicago, réalisée depuis 1972 auprès d’adultes de 18 ans, offre des éléments qui, ajoutés aux autres, permettent de comparer les générations entre elles au même âge. Grâce à ces données, il est possible de cerner ce que les jeunes pensent d’eux-mêmes – et certains résultats sont stupéfiants.
Tout d’abord, si la génération dont il est question a été baptisée génération Internet, c’est qu’elle est la première à n’avoir pas connu un monde… sans Internet. Ses membres les plus âgés étaient tout juste adolescents quand l’iPhone est sorti, en 2007. Les écrans sous toutes leurs formes semblent avoir un impact considérable sur leur comportement. Dans le domaine du militantisme politique, par exemple, cette génération qui montre à la fois peu d’intérêt pour le sujet et un faible niveau de confiance à l’égard du gouvernement préfère les hashtags ou les images sur Facebook pour faire pression sur la classe politique.
Les objets rectangulaires participent aussi de leur conception de l’agression. Passant beaucoup de temps en ligne, ils considèrent les discours et les idées comme au moins aussi dangereux que les menaces physiques, dont ils ont été protégés depuis l’enfance. Ils veulent en être préservés au sein de leur université et de la société. Quarante pour cent des jeunes des générations Internet et Y déclarent vouloir que le gouvernement empêche les gens d’exprimer des idées intolérantes à l’égard des minorités. Ils n’étaient que 24 % chez les baby-boomers et 27 % dans la génération X. Leur conception de la liberté d’expression est beaucoup plus restrictive que celle de leurs aînés.
Préférant souvent les échanges virtuels, ils se montrent très prudents dans leurs relations aux autres, en particulier dans leurs relations amoureuses. L’auteure indique que ces jeunes ont une vie sexuelle beaucoup moins active que leurs aînés au même âge. Par ailleurs, le mariage et la famille sont aujourd’hui classés en quatrième position de leurs aspirations, derrière « trouver un emploi stable », « réussir au travail », « donner à ses enfants de meilleures opportunités que les siennes ».
Contrairement à une idée fort répandue, mais conformément à son aversion pour le risque, la nouvelle génération n’indique pas d’appétence particulière pour l’entrepreneuriat, poursuivant ainsi une tendance lancée par la génération Y. Qu’en est-il de sa conception du travail ? Là encore, la génération Internet infirme le préjugé qui voudrait que les jeunes souhaitent avant tout un travail gratifiant et intéressant. En fait, ils voudraient surtout un travail qu’ils ne détestent pas et préfèrent nettement la sécurité matérielle et financière à la recherche d’un métier qui ait du sens.
Enfin, les données confirment, à l’instar d’autres études, que cette génération serait sujette à de graves problèmes de santé mentale. Ceux-ci s’expliqueraient justement en grande partie par le temps que passent ces jeunes devant des écrans, en particulier sur les réseaux sociaux. En effet, le temps ainsi passé – environ six heures par jour – a remplacé une bonne part des heures partagées avec des amis et contribue à expliquer les cas de dépression, fréquents dans cette génération.
Jean Twenge en conclut que la génération Internet est sans doute la génération la plus sécurisée sur le plan physique, mais aussi la plus fragile sur le plan mental. Son besoin de sécurité émotionnelle traduit sa grande vulnérabilité. Cela pourrait s’expliquer par le fait qu’elle mûrit beaucoup plus lentement que les générations précédentes et que les écrans, en envahissant sa vie, exacerbent le processus. Si tel est le cas, les universités et les entreprises vont devoir s’adapter à cette nouvelle donne. Il leur faudra peut-être prolonger le cocon familial de sorte que ces jeunes, prêts à travailler et désireux de réussir, puissent à terme développer la résilience et la maturité nécessaires à une réelle prise de responsabilité dans la société.
* Fondatrice et directrice de l’institut économique Molinari, docteure en économie
L’auteure
Jean M. Twenge est professeure de psychologie à l’université d’Etat de San Diego, en Californie. Elle est l’auteure de plus de 120 publications scientifiques. Spécialiste de la question du narcissisme, elle s’est fait connaître pour son travail sur les plus jeunes générations, avec notamment la publication en 2007 de « Generation Me : Why Today’s Young Americans Are More Confident, Assertive, Entitled – and More Miserable Than Ever Before ».
Par Cécile Philippe