L’Afrique est un continent qui depuis les temps de sa conquête est pillé. Le réflexe, qui repose sur une vérité, est d’accuser les Occidentaux, mais sont-ils les seuls responsables ? Dans son article publié en collaboration avec Libre Afrique Gloria DJIGUI, Institut Supérieur de Communication, d’Organisation et de Management, Bénin, explique les trois racines du pillage de l’Afrique. Certes les multinationales occidentales ont une part certaine de responsabilité mais il faut y rajouter la complicité coupable des dirigeants africains eux-mêmes avec le soutien des médias qui souffrent de manque d’indépendance.
Le pillage de l’Afrique consiste à dépouiller, de manière violente et destructive, le continent de ses biens, notamment de ses richesses du sous-sol, au détriment de la loi et des droits de propriété. Depuis la conquête de l’Afrique et durant la colonisation, beaucoup de richesses ont quitté le territoire africain. Depuis l’indépendance jusqu’à aujourd’hui ce fléau persiste. Pourquoi ?
Responsabilité des multinationales
L’Afrique est riche en ressources qui sont des éléments vitaux pour le développement de l’économie des pays sous-développés. Cependant, elle subit le pillage de certaines multinationales étrangères qui, en toute impunité, cherchent par tous les moyens à s’accaparer les terres, les gisements de minerais, les sources d’énergie et de matières premières, etc. Comme les Etats africains n’ont pas mis en place de politiques efficaces pour protéger le principe de concurrence saine, les multinationales, usent souvent de leur pouvoir et leurs connexions afin d’évincer leurs concurrents locaux. Ce copinage conduit souvent à des situations de monopole, ou du moins des positions dominantes sur les différents marchés africains. Les marchés non réglementés constituent le véhicule privilégié d’extorsions tant financières que sociales. Pour exemple, l’absence de lois antitrust conjuguée à une protection anémique des consommateurs des pays africains, il n’y a que deux ou trois grandes sociétés qui dominent les marchés de denrées comme le sel, le sucre le lait, la farine, l’huile et le thé.
De même, ces multinationales contrôlent des ressources naturelles précieuses, notamment dans les pays où il existe de graves conflits. Selon la commission d’enquête mandatée par les Nations Unies, les multinationales jouent un rôle dans les conflits armés en Afrique en général et en RDC en particulier: elles soutiennent des groupes armés et profitent de la situation de guerre pour accéder aux matières premières à vil prix par les contrats léonins par lesquels tous les avantages leur sont attribués et par l’exploitation de sol et du sous-sol près des belligérants. Dans un rapport publié par un panel d’experts de l’ONU le lundi 2 octobre 2002, il ressort que deux hommes ont été impliqués dans le pillage de la RDC : l’homme d’affaires belge Georges Forrest et l’entrepreneur John Bredenkamp. Ainsi, la course aux marchés et aux profits illicites pousse plusieurs multinationales à faire fi du respect des droits de propriété et de l’éthique du marché, qu’elles observent pourtant en dehors de l’Afrique. D’où la nécessité de comprendre pourquoi ?
Responsabilité des dirigeants africains
Quand on parle du pillage de l’Afrique, on pense immédiatement aux multinationales occidentales, mais il ne faut pas oublier que c’est fait avec la bénédiction et la complicité des dirigeants africains. Ce soutien explicite ou implicite prend plusieurs formes : violation des droits de propriété des communautés indigènes, non respect du principe de appels d’offre transparents et équitables, instrumentalisation de la justice pour évincer des concurrents, etc. Ces dirigeants qui sont censés défendre le peuple et protéger ses intérêts n’hésitent pas à détourner les fonds publics. C’est le cas du président angolais Jose Eduardo Santos, qui a été au pouvoir de 1979 à 2017. Il a été considéré en 2018, par le magazine Forbes, comme le chef d’état le plus riche du monde noir. Rajoutons qu’il est associé à la grande corruption et au détournement des fonds du pétrole provenant en grande partie de l’enclave du Cabinda. Durant toutes ses années au pouvoir, sa famille a accumulé un important patrimoine surtout immobilier dont des maisons dans les principales capitales européennes et des comptes bancaires en Suisse et dans des paradis fiscaux offshores.
Par ailleurs, les dirigeants africains sont de mèche avec les multinationales et signent des contrats aux conditionnalités douteuses en échange de soutiens politique, financier et militaire pour rester au pouvoir le plus longtemps possible. L’affaire Bolloré a permis de mettre en lumière un mécanisme dans lequel les chefs d’États guinéen et togolais auraient bénéficié de services sous facturés d’une filiale du groupe Bolloré dans leurs différentes campagnes présidentielles. Cela en échange de marchés très juteux dans les ports.
Responsabilité des médias
Quant aux médias, on observe un certain silence ou une certaine complicité via le verrouillage médiatique alors qu’ils ont le devoir de nous informer de la vérité et d’éveiller nos consciences. D’une part, les médias dépendent de l’appui financier des annonceurs constitués des hommes d’affaires, politique et des dirigeants africains qui influencent la presse avec le pouvoir financier du placement des annonces et qui bradent la suspension d’articles en guise de représailles contre la publicité négative. C’est le cas de la presse ougandaise qui, en 2012, a massivement couvert le cas de corruption au cabinet du Premier ministre concernant un détournement de financement des bailleurs. Mais le cabinet du premier ministre étant l’un des plus grands annonceurs en Ouganda et avec le gros budget des annonces publiées par ce dernier, peu de publications ont été faites sur le scandale. Comme l’a dit le directeur de publication du Daily Monitor, Don Wanyama, des investigations plus poussées auraient pu être faites mais la peur du manque à gagner des revenus publicitaires a imposé le silence à tout le monde.
D’autre part, les chaines d’information, les quotidiens, l’essentiel des hebdomadaires de référence appartiennent à 10 dirigeants de firmes internationales (Bouygues, Xavier Niel, Dassault, Bernard Arnault, Bolloré, etc.). Ils contrôlent les médias et les exploitent pour soigner leurs images et continuer à travailler sereinement en Afrique. C’est le cas du groupe Bolloré qui s’était entouré des services de l’ex-rédacteur en chef du journal camerounais « Le Messager ». Avec le contrôle direct de médias (Direct 8, Direct soir…), des structures qui les alimentent en informations (Institut de sondage CSA, Associated Press), du 6ème groupe mondial de publicité et de communication (Havas) et des contrats de publicité, le groupe Bolloré possède un puissant moyen d’influence sur les clients, les partenaires privés et les décisions étatiques.
Somme toute, l’on s’aperçoit que le pillage des ressources de l’Afrique est une responsabilité partagée entre des multinationales occidentales, des dirigeants et médias africains. Dès lors, afin de juguler ce phénomène il faudrait s’attaquer à tous les maillons de la chaîne pour espérer limiter les opportunités du pillage au détriment de l’intérêt des populations africaines.