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Politique : du vice à la vertu ou esquisse d’un aggiornamento du CDP

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Dans ce écrit, Jacques Batiéno, conseiller spécial CDP-France, retrace le parcours du Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP) qui s’était pris les pris dans les mailles d’un « cercle vicieux ».

Sun Tzu, sans doute n’est-il pas le seul, a fait de la guerre un art. On peut en faire autant de la politique. Ce rapport entre la guerre et la politique est aussi celui que dévoile le Général Prussien Carl Von Clausewitz dans son livre De la guerre où il établit un lien curieux entre la guerre et la diplomatie, pour affirmer que la première est le prolongement de la seconde avec des moyens différents. On peut en conclure que la guerre et la politique se rejoindraient alors sur le concept de stratégie. En effet, de même que le Général doit user de stratégie pour gagner la bataille ou la guerre, c’est ce que met en relief Sun Tsu dans son livre L’art de la guerre, de même l’homme politique doit user de stratégie pour gagner la bataille politique, et c’est, à certains égards, ce que nous présente Machiavel dans son livre Le Prince. Aussi, le champ politique est-il bien un champ de bataille, la seule différence avec la guerre est qu’en politique les mots et les idées remplacent les armes. Or, à l’évidence, il y a stratégie et stratégie, c’est-à-dire qu’il y a des stratégies qui payent, de bonnes stratégies, et des stratégies qui desservent, de mauvaises stratégies. Il faut donc arriver à réaliser les premières, et c’est en cela que la politique est un art. Ce dualisme de la stratégie me conduit, par analogie, à penser que tout parti politique, d’un point de vue éthique, en Afrique surtout, est confronté à deux impératifs : un impératif lié à un cercle vicieux, et un autre lié à un cercle vertueux.

Du vice

J’entends par cercle vicieux toute attitude pour un parti politique d’accéder ou de conserver le pouvoir par la fraude électorale ou par la force. Cherchant à se pérenniser au pouvoir, lequel est devenu pour lui une obsession, il n’envisage à aucun moment la possibilité de perdre les élections. L’exercice et la conservation du pouvoir passe alors par le musellement de l’opposition politique dont les membres subissent une oppression impitoyable, la mise aux arrêts de tout individu pouvant constituer un frein pour le pouvoir, la mise en place de lois iniques, d’exclusion pour la conquête du pouvoir, ce qui peut aller jusqu’à la « domestication » de l’institution judiciaire. Ce cercle vicieux se manifeste aussi par un refus (interne et externe) du débat démocratique, favorisant ainsi la pensée unique. Un tel parti politique est fermé et fonctionne comme une société tribale ou magique. Il ne repose que sur un individu, se présentant alors comme un club d’amis ou une association de soutien à cet individu. Le risque est qu’un tel parti ne survive pas à la disparition de ce dernier.

Le Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP) s’est, malheureusement, laissé succomber au cercle vicieux. Non tant parce qu’il a satisfait toutes les exigences relatives à celui-ci (exigences énumérées plus haut sans prétention à l’exhaustivité), mais parce qu’il s’est laissé prendre à ce piège qui, sans doute, a atteint son paroxysme dans l’acharnement aveugle avec lequel l’on a voulu procéder à la modification de l’article 37 de la constitution. A défaut de dire que l’on a manqué de stratégie, disons que l’on a adopté la mauvaise stratégie qui, manifestement, entrainait la rupture du contrat moral que le Président Blaise Compaoré avait scellé avec le peuple burkinabè quelques années auparavant, et que la constitution avait inscrit dans le marbre, tout en instaurant une situation sociopolitique délétère. Un tel acharnement signifiait de facto que le parti était incapable de désigner un autre candidat. Ce qui amplifiait encore la mauvaise stratégie et le vice.

De la vertu

A contrario, j’entends par cercle vertueux toute attitude pour un parti politique d’accéder et de se maintenir au pouvoir selon le principe légitime du suffrage universel et, partant, par le droit. Sachant que le pouvoir est éphémère, ce parti a conscience qu’il doit accepter de le perdre le jour où cela arrive selon les règles de la démocratie. Aussi, n’en fait-il pas une obsession, car il sait que le pouvoir politique ne doit pas être une fin en soi, mais un moyen ; il sait également tout le respect qu’il doit au peuple qui n’est pas un moyen, mais une fin. Par conséquent, il a conscience de ne pas se servir du peuple pour accéder au pouvoir et encore moins de se servir, mais qu’il est au pouvoir par le consentement du peuple afin de servir ce peuple. Le cercle vertueux réclame aussi que tout parti politique au pouvoir accorde une place de choix à l’opposition, lui donne toute latitude pour s’exprimer, favorisant alors le débat politique national. Au-delàs de l’opposition politique, il doit favoriser la liberté d’expression, gage d’une véritable démocratie, tout en faisant du débat en interne, de la discussion critique un principe nodal de son fonctionnement. Lorsqu’une décision est prise en interne selon les règles de la majorité, parler ensuite d’une seule voix, jouer collectif. Ce qui signifie que les divergences doivent reposer essentiellement sur des questions idéologiques et non sur des questions de personnes qui doivent trouver les moyens d’être réglées avant qu’elles ne portent préjudice au parti. Un tel parti politique répond à l’exigence de posséder une ligne idéologique cohérente et rigoureuse, ainsi qu’un projet de société claire.

Le CDP, il faut le reconnaître, avait remplis certaines des ces obligations liées au cercle vertueux tout en dérogeant sans doute à d’autres. Nul n’est parfait. Mais la vertu consiste aussi à tirer les enseignements du passé, ce que le CDP a bien compris. Ce parti qui incontestablement n’est plus le même aujourd’hui, sort en effet grandi des évènements de 2014 avec une grande humilité. Cette bonne stratégie du cercle vertueux dans lequel le CDP s’est désormais engagé n’a pas définitivement bouclé sa boucle, il est encore en construction, car il reste au parti à faire complètement sa mue avec le prochain congrès que nous attendons tous avec impatience. Toutes les forces du parti, quelles qu’elles soient, doivent apporter leur contribution.

C’est pourquoi Il ne faut pas, pour je ne sais quelle stratégie politique absurde, aligner l’agenda du parti, ni sur celui du pouvoir en place, ni sur celui de la justice, car il n’est exclue ni toute connivence, ni toute relation incestueuse entre le pouvoir et l’institution judiciaire au moins sur les dossiers dans lesquels nos camarades sont cités. La meilleure façon de soutenir nos camarades c’est de leur permettre de s’appuyer sur un parti solide, structuré et en ordre de bataille. Il ne faut surtout pas se laisser intimider par une certaine opinion publique qui cherche à faire taire les membres influents du parti, tout en aspirant à la répétition des méthodes d’exclusion auxquelles nous avons assistées, et dont nous avons été victimes, lors des dernières présidentielles et législatives. Dans cette perspective, 2020 étant déjà demain, il ne faut pas se laisser divertir par la stratégie d’en face consistant à laisser les choses trainer en longueur, dans l’optique d’une disqualification pure et simple de nos candidats. Aussi, faut-il convoquer sans trop tarder le prochain congrès qui remettra définitivement le parti sur les bons rails, et commencer à préparer les prochaines élections.

A cet égard, il ne faut surtout pas se tromper sur le choix du prochain président du parti qui doit être un homme ou une femme de consensus, irréprochable et surtout de confiance. Ce futur président du parti ne doit pas forcément avoir le statut de candidat naturel à la présidentielle (lequel devra être désigné selon des modalités bien définies). Il ou elle doit s’entourer de bons conseillers, c’est-à-dire des gens qui ont le courage de rentrer dans la contradiction directe afin de lui donner le change et lui proposer un avis sincère et objectif d’une situation précise. Un conseiller qui dit à celui qu’il conseille uniquement ce que celui-ci veut entendre n’est pas un bon conseiller. Il est nécessaire de comprendre que les décisions prises par l’instance dirigeante d’un parti engagent de nombreuses autres personnes, les militants et sympathisants, ce qui exige de faire preuve de bon sens.

Tel doit être, par ailleurs, l’attitude vertueuse à adopter par nos responsables politiques en général, qui doivent être ouverts d’esprit et prêts à écouter et entendre des conseils remettant en cause leur propre conviction. Nelson Mandela ne croyait pas si bien dire lorsqu’il affirmait avoir compris la nécessité de consulter très largement et très diversement avant de prendre une décision. Il y a en effet dans les avis et positions contraires quelque chose de plus enrichissant qui doit donner à réfléchir sur sa propre position.

De la CODER

La participation du CDP à la Coalition pour la Démocratie et la Réconciliation nationale (CODER) fait partie de cette bonne stratégie liée à ce cercle vertueux en construction, car le principe même d’une coalition est un gage de réussite en politique. Ne dit-on pas que l’union fait la force ? Néanmoins le CDP, en tant que parti ayant des sections à l’étranger, doit recommander à la CODER la nécessité de tenir compte de la diaspora dans ce projet politique. On note en effet, ce qui est bien regrettable, qu’aucune des commissions et coordinations mises en place par la CODER au mois de juillet dernier n’inclus pas les burkinabè de l’étranger. S’il faut rester prudent sur l’engagement du régime actuel de faire voter les burkinabè de l’extérieur en 2020, ce n’est pas une raison pour une organisation politique comme la CODER d’ignorer cette frange importante des citoyens burkinabè qui a sa partition à jouer (et qui la joue bien) dans l’espace public burkinabè.

Par ailleurs, il serait souhaitable que la CODER aille jusqu’au bout de sa logique de coalition politique en envisageant une candidature unique pour la présidentielle de 2020. Si ce n’est pas encore fait, il faut commencer à y songer très sérieusement. Une coalition politique comme la CODER, qui est en elle-même une excellente stratégie politique de conquête du pouvoir, a, en effet, plus de chance de l’emporter avec un candidat unique qu’une multitude de candidats ayant pour inconvénient la dispersion des voix et des forces. Il faut donc travailler à la consolider dans le sens d’une bonne entente et d’une bonne association politique. C’est dire la nécessité d’éviter les guerres de personnes pour le choix d’un candidat unique. Si une candidature se dégage naturellement, il faut savoir et avoir l’honnêteté de la reconnaître. En tout état de cause, il faudra mettre en place les modalités de désignation de ce candidat. Ce qui suppose, en dépit des divergences idéologiques qui pourraient exister, non seulement un projet commun de société, mais aussi un programme commun de gouvernement auxquels il faut déjà s’atteler. L’intérêt supérieur de la nation burkinabè doit pouvoir transcender les divergences idéologiques, car je pense qu’il est toujours possible de rassembler pour gouverner dans une perspective social-libérale.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la marque des grands partis politiques c’est d’avoir un jour perdu le pouvoir, de l’accepter et de savoir pourquoi on l’a perdu. Ces partis gagnent alors en expérience et en humilité, tout en sachant que l’exercice du pouvoir est soumis au temps, qu’il est éphémère et cyclique. Les grands partis politiques connaissent bien cette intermittence du pouvoir pour l’avoir un jour exercé et perdu. Cette loi de nature propre à la politique, le CDP l’a désormais bien comprise dans sa marche inéluctable vers la vertu. Il y a trois ans, nul n’aurait parié sur la survie de ce parti que d’aucuns jugeaient moribond. Trois ans après, en dépit de péripéties, crises et soubresauts ce parti est encore debout tel « le lion d’Ethiopie ». Pour ma part, c’est toute la fierté que je peux en tirer aujourd’hui. Mais le CDP a encore besoin de se battre contre lui-même, car cette résistance à toute épreuve ne doit pas être sacrifiée sur l’autel des querelles intestines et des ambitions personnelles. Nos responsables, s’ils veulent être dignes de notre confiance, doivent faire en sorte que la sortie du vice pour entrer dans la vertu repose sur des bases solides. Il faut sortir de l’aléatoire et du subjectivisme pour, encore une foi, penser et jouer collectif à l’aune du peuple lui-même.

Enfin, puisqu’il faut sacrifier à la tradition, tous mes vœux de réussite pour le parti, et tous mes vœux de paix, de sécurité, d’harmonie et de justice pour ce Faso qui nous est cher.

Paris le 29 décembre 2017