Le temps n’est pas à la sérénité au lendemain du scrutin présidentiel de ce dimanche 7 octobre 2018. Le principal challenger du président camerounais qui a remis son siège en jeu, crie à la victoire. Maurice Kamto qui, tout en dénonçant avec d’autres opposants des fraudes massives de la part du pouvoir réclame la légitimité populaire et entend l’exercer tout simplement. Ce que rejette de go le système Biya qui demande à tout un chacun d’attendre les résultats des institutions habilitées à proclamer les chiffres sortis des ventres des urnes. Certes, le décompte a commencé, mais les résultats ne seront pas rendus publics avant 15 jours au moins. L’élection présidentielle s’est bien déroulée dans son ensemble. Selon la formule consacrée des observateurs étrangers qui n’«observent» que de leurs voitures climatisées, aucun incident grave de nature à entacher le scrutin n’est à…observer. Et pourtant, à Bamenda, trois hommes qui seraient en train de tirer sur des passants ont été abattus par les forces de l’ordre. En zone anglophone où les séparatistes qui craignaient la répression violente et disproportionnée ont presque boudé les urnes, les autorités pensent que tout s’est bien passé pendant que d’autres sources affirment que c’était une ville fantôme où ne circulaient en réalité que les forces de sécurité et de défense, la majeure partie des populations craignant des violences, s’étant terrées chez elles.
Du reste, peu ou prou de candidats ont poussé la témérité à se rendre dans ces zones anglophones qui dénoncent la mise en quarantaine en développement dont elles sont l’objet et réclament leur indépendance, réclamant ainsi leur autonomie sans autre forme de procès. De même, les menaces terroristes proférées par les adeptes de Boko Haram, la secte islamiste qui a essaimé au Cameroun, en provenance du Nigeria voisin n’ont pas fait de cette élection un long fleuve tranquille. Pourtant, malgré le faible taux d’abstention, ce scrutin, depuis 1992 fut l’un des plus «pimentés» comme on le dirait en Afrique.
L’élection présidentielle dont l’issue était sans suspense comme les précédentes qui ont permis au doyen de 85 ans-officiellement- de faire 35 ans au pouvoir et de ne jamais perdre l’appétit du trône, prend des allures inquiétantes. Pourtant, c’est réellement la première fois que les Camerounais rêvent vraiment du changement. N’est-ce d’ailleurs pas dans cette logique qu’un ami camerounais à moi a fêté la défaite de «Popol» dans son quartier? «Il a été battu dans mon coin», a crié l’homme, les yeux rivés sur son smartphone sur lequel il suivait les résultats. La plupart des Camerounais, y compris les plus de 20% des zones anglophones sont persuadées que l’heure du changement approche, et va peut-être sonner. Du reste, Paul Biya qui a longtemps manipulé, avec succès, l’appât financier est contraint de jouer aujourd’hui sur la fibre ethnico-tribale pour se donner les chances de ce 7è mandat qui pourrait bien être celui de trop pour lui. La source des espèces sonnantes et trébuchantes ayant tari, le ruissellement rendu impossible n’atteint plus tous ces courtisans et zélateurs qui s’enrichissaient grâce à la manne présidentielle. Malheureusement pour le Cameroun, s’appuyer sur les clivages ethniques et les pratiques divisionnistes ont toujours conduit à des dérives incontrôlables à vie, pour les pays. En attendant, c’est bien le challenger de Paul Biya challenger le plus sérieux, en l’occurrence l’opposant Maurice Kamto, qui souffrira de cette graine divisionniste.
Que va-t-il se passer désormais, l’opposition ayant déjà affiché clairement être vainqueur de cette élection? Le Cameroun s’accommodera-t-il, fait ubuesque, de deux présidents de la République? Ira-t-on vers le scénario malien où l’opposition et son leader charismatique, Soumaïla Cissé continue de contester l’élection de Ibrahim Boubacar Keïta, bien que celui-ci a été officiellement et pompeusement réinvesti dans ce qui reste son fauteuil pour un deuxième mandat de cinq ans? C’est certain, le ciel camerounais est plus que menaçant, la température post-électoral ayant grimpé de quelques degrés supplémentaires. Chacun saura-t-il raison garder afin que des violences inutiles dont le Cameroun n’a nullement besoin n’éclatent et ne confinent davantage les populations dans la précarité? La balle est dans le camp de la Commission électorale et de la Cour constitutionnelle qui, malheureusement sont qualifiées d’institutions aux ordres du pouvoir et vont rarement ou jamais contre les intérêts de leur patron. En tout cas, c’est la coutume en Afrique et l’on espère, certes sans conviction, que ces structurent dérogeront pour une fois à cette pratique qui porte un grand coup à la démocratie et rejette tout possibilité d’alternance aux calendes grecques. Mais en réalité, Paul Biya qui est plus résident de la Suisse où il séjourne fréquemment et durablement a-t-il encore quelque chose de nouveau à proposer à ce Cameroun qui malgré toutes ses richesses naturelles n’arrive pas à servir le minimum vital à nombre de ses fils et filles qui vivent dans une pauvreté inadmissible? Il est temps pour le président camerounais de passer la main pour s’éviter une sortie plus que calamiteuse à laquelle échappe rarement les candidats africains à la présidence à vie.
Par Wakat Séra