Deuxième semaine de campagne pour les élections plurielles en République Démocratique du Congo. Ce qui devait arriver arriva, l’union de l’opposition a volé en éclats.
Qu’aujourd’hui, Martin Fayulu et le Dr Denis Mukwege soient isolés, voire bloqués, pour privilégier la candidature de Moïse Katumbi, quoi d’étonnant? Avec, en arrière-plan, un Kabila triomphant. C’est là tout un système mis en place, reposant sur mille et une astuces. Des digues pour la protection de l’ex-raïs du Congo. Un système à déconstruire.
A partir de là, tout effort entrepris par l’opposition – la vraie -, pour s’unir et gagner les élections ne peut aller qu’à vau-l’eau. Car, une telle éventualité équivaudrait à un suicide annoncé pour le camp au pouvoir. En dehors des figures emblématiques de cette coalition obscure que sont le Rwandais Paul Kagame, l’opposant Moïse Katumbi, le chef de l’Etat congolais candidat à sa propre succession, Felix Tshisekedi et son vice-Premier ministre Vital Kamerhe, il faut compter aujourd’hui la présence de Matata Ponyo.
Quid? Kabila, qui, depuis son coup de poker en 2018, dormant sur ses lauriers, a été brusquement bousculé par l’entrée en jeu du Dr Mukwege. L’alliance, supposée, de ce dernier avec un Fayulu frustré et revanchard, selon qui sa victoire lui a été confisquée lors de la dernière présidentielle, constituerait une déferlante. Et, par ricochet, précipiterait la fin de la vielle classe politique vermoulue, et accusée de tous les crimes.
Il fallait donc écarter le danger, en procédant par le «diviser pour régner», ce vieux dicton toujours d’actualité. Dès l’idée émise par l’opposition de mettre en œuvre une coalition, en vue de la désignation d’un candidat commun, le camp adverse était déjà à la manœuvre pour casser la dynamique. Aussi, l’échange à ce sujet entamé, en Afrique du Sud, par les délégués de quatre principaux partis de l’opposition en Afrique s’était-il terminé en queue de poisson.
Résultat: Matata Ponyo, candidat-président, se désiste en faveur de Katumbi, laissant le Dr Mukwege et Fayulu au bord de la route. Dans son discours de désistement, se prenant très au sérieux, Matata invite le prix Nobel et Fayulu à rejoindre son allié électoral Katumbi. Pour la «victoire de la démocratie et du peuple», a-t-il dit. Il convient de signaler que les deux leaders, de par l’importance démographique de leurs provinces respectives, celles du Maniema et du Katanga, ne peuvent l’emporter à eux seuls. Ils ne pourront atteindre, au mieux, que la barre de quelque 10 millions de votants sur un total de 44 millions d’électeurs.
Mais, à quelque chose malheur est bon, dit-on. Cet épisode a permis de mettre à nu la coalition cachée, existant de tous les temps entre Kagame, Kabila, Katumbi, Tshisekedi et consort. L’intrigue est sans mystère: la non poursuite judiciaire contre Matata, accusé d’avoir détourné plusieurs centaines de millions de dollars dans le projet agricole de Bukanga Lonzo, présageait d’une suite semblable à celle de la libération de Kamerhe. En d’autres termes, une faveur, en contrepartie du service à offrir pour la campagne de Tshisekedi. Et au-delà du maître des horloges, Kagame.
Plusieurs observateurs congolais pointus, notamment Fabien Kusuanika, journaliste exerçant à Bruxelles, en Belgique, ont pointé ce fait, précisant que les relations entre les deux présidents congolais et rwandais étaient au beau fixe. Que le reste relevait purement du cinéma.
L’entreprise d’un candidat commun de l’opposition s’étant révélée infructueuse, que reste-t-il à faire par le DR Mukwege et Fayulu, communément désigné sous le vocable du «soldat du peuple»? Certes, l’équation est difficile. Pourtant, les deux leaders présentent des atouts pouvant leur permettre de rafler la mise, s’ils exposent bien leur projet de société: Fayulu a une stature nationale, acquise en présidentielle de 2018, alors que le Nobel de la paix est revêtu d’une auréole internationale.
A eux deux, ils se partagent avantageusement les provinces des deux Kivu et de Bandundu, avec un bon grignotage sur l’ensemble du territoire. A vue de nez, faute de sondages fiables, ils peuvent espérer engranger quelque 15 millions de voix, soit près de 37 %. C’est visiblement un ticket gagnant. Reste à savoir qui de Fayulu ou du Dr Mukwege céderait devant son ego. L’opinion pense qu’il serait bon, pour la cause du peuple, que le prix Nobel s’abaisse pour être plus élevé encore. Et puis, lui n’a pas sans doute vocation à devenir politicien de carrière. Il a d’autres chats à fouetter dans ses hôpitaux. Ce qui est autrement grandiose.
En attendant, les 26 candidats qui se disputent la magistrature suprême sont entrés en campagne. Le peuple congolais sur lequel s’est abattue une chape de plomb depuis plusieurs décennies, saura-t-il faire le choix entre l’ivraie et le bon grain? La responsabilité lui incombe, puisqu’il est supposé mûr. C’est en cela que justice lui sera rendue, s’il opte pour sa direction des dirigeants vertueux, qui feront de l’instauration d’une vraie démocratie leur premier devoir.
Jean-Jules Lema Landu, journaliste congolais, réfugié en France