«Que le meilleur perde !» est le titre de l’ouvrage de Frédéric Bon et Michel-Antoine Burnier, publié en 1986. Ils professent la fatuité de la victoire politique pour accéder au pouvoir et chercher, par la suite, à s’y accrocher. «On n’y gagne que d’ennuis», assurent-ils. Est-ce parce que le pouvoir corrompt, et que le pouvoir absolu corrompt absolument, comme on dit ? Pourtant, la formule ne fait pas moins florès. Les cercles politiques africains, surtout, en raffolent !
Elle plaît d’autant plus qu’en RD Congo, voilà, les prochaines élections prévues fin décembre 2023 (hypothétiques ?), sont déjà piégées. Déjà biaisées. Et de manière ostensible, pour «que le médiocre puisse l’emporter». Haut la main. Tout y est fin prêt. En fait, la Commission électorale nationale indépendante (CENI), l’institution appelée à gérer cette question, a été constituée et mise en place à la six-quatre-deux, avec un vice majeur : le triomphe du tribalisme, méprisant, sans tenir compte de qu’en dira-t-on. Y compris l’achat de 500 jeeps, au top de la corruption, avec l’argent du Trésor public. Au profit des députés. Sans la moindre enquête judiciaire. Alors qu’en France, François Fillion, ancien Premier ministre et candidat à la présidentielle, a été disgracié pour la course, tout en restant à ce jour à la disposition de la justice, uniquement pour de «soupçons» de détournements.
En effet, la direction de la CENI, à trois échelons, a été confiée aux personnalités de la même tribu, à laquelle appartient le président de la République. On y dénombre Denis Kadima, à la présidence, Ilunga Lembow Bienvenu, à la vice-présidence et Mme Mulela Patricia, en qualité de rapporteur. Une machinerie appropriée, en amont, c’est-à-dire au niveau de la publication des résultats, pour que «le meilleur perde» et que le «médiocre gagne». Les Congolais gardent encore fraîche en mémoire la passe d’armes occasionnée par ces nominations anticonstitutionnelles, entre les Eglises Catholique et Protestante, ainsi que l’opposition, d’une part, et le pouvoir, de l’autre. Mais, ce dernier est resté de marbre, rejetant toute négociations à ce sujet.
Vouloir fabriquer un troisième monstre
En aval, il y va du même couplet, au niveau de la Cour Constitutionnelle, appelée à valider les résultats. La présidence est occupée par le juge Kalubwa Dibwa Dieudonné, non seulement de la même tribu que le chef de l’Etat, mais proche de celui-ci par des liens consanguins, selon plusieurs sources. Or, la dernière décision en la matière lui appartient, avec ses collègues sur lesquels il a l’ascendant. La suite est à deviner, sans commentaires, quand on sait que dans les règles de la «morale politique congolaise», la frontière entre la vertu et le vice est ténue. Tshisekedi l’a d’ailleurs ouvertement démontré en visite dans le Kasaï, sa province natale. En meeting, il a lâché en tshiluba, sa langue : «Mashi ma mumenu». Explication approximative : «Nous avons le même sang, ne l’oubliez pas». Or, il s’est déjà déclaré candidat, et donc en campagne, de manière indirecte.
Si un «président peut dire ça», publiquement, sans répercussions ni au sein de la classe politique, ni parmi les citoyens lambda, qu’en serait-il lorsque le président de la Cour Constitutionnelle dirait le droit, avec complaisance ? En authentifiant, sans état d’âme, des faux résultats électoraux ? Cela s’est fait hier, cela se fera demain, en 2023. Si on n’y prend garde.
Il y a un autre aspect, par extrapolation, qui appuie la thèse de la préparation sur la fraude électorale. Tshisekedi se voit déjà en « digne successeur » à lui-même quand son entourage parle – princes-sans-rire -, du changement de la Constitution. Avant 2023. Et ce, pour deux objectifs majeurs : 1- renforcer le pouvoir du chef de l’Etat ; 2 – étendre la durée du mandat présidentiel de cinq à sept ans. Quoi de plus normal donc que de projeter un règne en grand manitou et en termes de durée étirée ? Les promoteurs de ce dangereux projet, avec à leur tête le fameux professeur Mbata, ont-ils conscience du fait qu’ils veulent «fabriquer» un troisième monstre – si ce n’est plus déjà le cas – à l’instar des dictateurs Mobutu et les deux Kabila ? L’on sait que les dictateurs sont créés par des lèche-bottes, qui les entourent ; les dictateurs ne se créent pas eux-mêmes. Ils ne le peuvent. Quant à la durée du mandat, elle va de pair avec la notion de grandeur. C’est l’un de ses principaux appendices.
Substituer l’incompétence par la compétence
La manœuvre est simple. La Côte d’Ivoire de Ouattara et la Guinée d’Alpha Condé l’ont fait, la subtilité dans ce jeu de poker menteur étant d’imposer le changement de la Constitution afin de rendre nulle et sans effets la valeur juridique des mandats déjà exercés. Ce qui permet de se prévaloir d’un troisième ou quatrième mandat. C’est en quelque sorte déjà quasi classique, puisque à deux reprises, l’essai a atteint son but. Mais, il faut penser que cette expérience n’est pas un modèle à dupliquer. Pas plus qu’en RD Congo où, en un mot, il y a actuellement une «crise de compétence». Par conséquent, la priorité, pour l’instant, n’est pas de changer la Constitution ou d’étirer la durée du mandat présidentiel, mais de substituer l’incompétence par la compétence. Ce ne sont ni le plein pouvoir pour le chef de l’Etat, ni la durée du mandat qui confèrent une valeur ajoutée à l’action gouvernementale, mais plutôt la valeur de se animateurs.
Pour Michel Serres, philosophe français, compétence et autorité sont par ailleurs consubstantielles, au point qu’il déclare que « désormais, la seule autorité qui peut s’imposer est fondée sur la compétence ». D’où sans doute cette pratique en France, devenue une norme, de confronter devant les Français les candidats à la présidentielle. On y cherche de la compétence, qui, mine de rien, devrait se targuer d’être la première légitimité. Compétence et non diplôme. C’est même ainsi coulé dans la Constitution. Mais aucun Français normal, sans un diplôme «potable», ne peut s’aligner à la présidentielle pour éviter le ridicule. En pays développés, le «ridicule tue».
Ainsi donc, en revenant à nos moutons, on peut se poser la question sur le silence du professeur Mbata et son équipée, à propos de cette séquence dans l’ordre des priorités constitutionnelles. Voilà, du moins, ce qui constitue une valeur vitale pour la marche de la démocratie que la préoccupation d’étirer la durée du mandat présidentiel. Est-ce par omission, parce qu’on ne peut parler d’ignorance dans le chef de cet éminent constitutionnaliste autoproclamé ? En fait, selon des mauvaises langues, il semble qu’on n’a jamais trouvé, nulle part, le moindre ouvrage scientifique de référence, écrit par ce professeur congolais. En tout état de cause, Max Weber, sociologue de renom, dans «Le savant et le politique», conseille que les savants enseignent à l’université et que la politique reste le domaine exclusif des professionnels de la politique. Mbata le sait.
Les ors du pouvoir, coûte que coûte…
Voilà, en grands traits, le croquis d’un régime et d’un homme, qui le «dirige». Le régime, lui, est aux abois. Comme un bateau ivre, il vogue à l’aventure sans cap. L’homme, Félix Tshisekedi, est atypique. Un adepte invétéré d’hédonisme, sans instruction ni expérience quelconque, qui ne pense qu’aux ors du pouvoir et à la manière dont il faut s’y maintenir, coûte que coûte. Et vaille que vaille. Peu importe. A la différence de Kabila, intelligent, qui a fait de sa cour une sorte de paillasson pour ses pieds, le fils de Tshisekedi, c’est plutôt sa cour qui fait de lui un paillasson. Celle-ci le trimbale par les quatre vents.
Ce qui est des plus navrants dans l’ensemble de cette imagerie, c’est le fait que Félix, le propre fils de l’opposant historique, Etienne Tshisekedi wa Mulumba, soit ainsi négativement décrit. Crachant de ce fait sur la mémoire de son illustre père. Car, quoi qu’en disent aujourd’hui les détracteurs de ce dernier, Tshisekedi père ne reflète pas moins le visage auréolé d’un héros. L’homme qui a dit «non» au dictateur Mobutu, choisissant d’être du côté du peuple, le côté noble de la politique.
Alors, père, démocrate, fils aux allures d’un dangereux dictateur ! Tout le contraire de la véracité du proverbe qui proclame «tel père, tel fils». Haro donc sur cet homme désinvolte, car tout est fait pour qu’il gagne les prochaines élections par la fraude, en 2023. Dans ce cas, ce sera un bis repetita de 2019, où c’était «le meilleur qui a perdu». Franchement, en RD Congo, c’est la «folie qui commande les hommes». Puisqu’on y célèbre «L’éloge de la Folie» d’Erasme, à observer ce qui se passe sur sa scène politique. Vive Erasme !
Par Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais réfugié en France