Des avocats de la défense et de la partie civile ont argumenté ce jeudi 22 mars 2018, devant la presse, dans le but de faire comprendre leur prise de position quant aux éléments de droit évoqués au cours des débats, après la suspension de l’audience de ce matin qui a duré seulement au moins deux heures d’horloge. Le président de la Chambre de première instance du tribunal militaire Seydou Ouédraogo a suspendu le procès en vue de statuer sur les requêtes des avocats de la défense.
Les avocats de la défense dans le procès du coup d’Etat manqué du 16 septembre 2015, exigeant que le tribunal statue sur leur requête de récusation des magistrats, ont adopté la stratégie du silence, c’est-à-dire qu’ils sont présents dans la salle d’audience, mais ils ne prennent pas part aux débats, a-t-on constaté. Ils affirment que le jugement à ce stade violerait « gravement les lois ». Ce que leurs confrères de la partie civile réfutent en bloc. Ils ont au contraire demandé avec le soutien du parquet, que le tribunal militaire rejette les requêtes et autres exceptions formulées par la défense qui n’est qu’une « fuite en avant pour ne pas aller dans le fonds » du jugement.
Le tribunal devra pendant le temps de la suspension statuer sur la demande de récusation du président du tribunal, Seydou Ouédraogo, et de son juge conseiller, Emmanuel Konané. Seydou Ouédraogo et ses conseillers auront aussi à trancher sur les requêtes dont les nullités, les sursis à statuer et les renvois.
Des avocats s’expriment sur la question…
Me Sayouba Neya, avocat de la partie civile: « Le tribunal militaire est indépendante et n’a pas à subir la pression »
« Nous ne sommes pas du tout surpris par cette attitude de la défense parce que depuis le début, ils utilisent des techniques pour ne pas aller dans le fond du débat. La loi nous aide parce que l’article 117 du code de justice militaire dit que le président du tribunal ne peut pas statuer sur les exceptions indépendamment. Cet article dit qu’on doit statuer en une seule décision sur tous les incidents et exceptions présentés. Donc vouloir imposer à la juridiction de statuer seulement sur une récusation, c’est vouloir violer la loi. Et vouloir utiliser leur capacité de ne pas participer (aux débats) ou de se taire, c’est vouloir faire pression sur la juridiction. Mais la juridiction est indépendante et n’a pas à subir la pression ni des parties prenantes au procès, ni de quiconque. »
Me Mathieu Somé, avocat de la défense: « On a voulu que le tribunal soit régulier pour qu’on puisse avancer »
« Depuis le début, nous avons posé un certain nombre de problèmes, lesquels n’ont pas eu de réponse. On a d’abord insisté sur le fait que le tribunal était irrégulièrement constitué, et on a voulu que la situation puisse quand même être régularisée pour qu’on puisse avancer. Selon eux (avocats de la partie civile) on aurait dû ne pas venir mais pourquoi on est venu, nous sommes venus pour qu’on ne dise pas qu’on a fui le débat. Ensuite on a posé le problème de la composition même du tribunal, mais ils sont passés outre. Et là même le président du tribunal (Seydou Ouédraogo) nous avait dit: « laisser moi composer le tribunal et après on va discuter ». Il vient de nous dire que cette question sera tranchée le lundi 26 mars. »
Me Prosper Farama, avocat de la partie civile : « C’est plutôt nous qui avons accepté des choses »
« Nous n’apprécions pas l’attitude de la défense relativement à la défense de leur intérêt. S’ils estiment qu’ayant déposé des requêtes, ils n’ont pas à les développer oralement, c’est leur droit, c’est leur stratégie. Cette stratégie à notre avis est préférable à celle de quitter la salle. Le débat que nous avons avec la défense, moi j’ai tout le respect que je dois à des confrères vis-à-vis de leur attitude dans un procès. Si jusque-là, contrairement à la défense qui dit avoir accepté des choses, mais je dis plutôt que c’est nous (avocats de la partie civile) qui avons accepté des choses. Moi je viens tous les jours ici, après les audiences, mes clients, notamment les analphabètes qui ont perdu des enfants et des maris, me demandent qu’est-ce qui s’est passé. Ils pensaient qu’à quelques jours du procès, on allait leur dire ce qui s’est passé. Mais on n’en ait pas là.
Donc c’est nous qui avons accepté des choses. Mais nous avons accepté ce jeu qui est propre à l’Etat de droit, à une justice indépendante. Mais ce que nous refusons, c’est que des personnes qui sont présumés innocents, accusés d’acte très grave, estiment être en position de force de prendre des juridictions en otage, par des attitudes tendant à dire, si nous développons un argument de droit, allant dans un sens ou dans l’autre, si le tribunal n’est pas avec nous, c’est que c’est un crime contre la légalité et là nous ne pouvons pas l’accepter et nous quittons la salle. Alors nous considérons cela comme une insulte à l’endroit de la partie civile que nous sommes. Moi je suis contre le principe qui dit que la forme tient le fonds en l’état, je dis toujours que la forme doit servir le fonds. »
Me Edasso Rodrigue Bayala, avocat de la défense: « Nous voulons que le dossier avance car le peuple attend beaucoup »
« Il était très difficile pour nous de pouvoir plaider devant (certains) membres du tribunal que nous récusons. Donc on n’a pas voulu faire croire que nous sommes venus à ce procès pour jouer au blocage ou au sabotage parce que nous voulons que le dossier avance car le peuple burkinabè attend beaucoup de ce jugement pour savoir réellement ce qui s’est passé. Mais nous avons dit que ça concerne des questions de droit. La loi dit que dès que le juge a connaissance de sa récusation, il doit s’abstenir de poser tout acte (conformément) à l’article 344 du code de procédure civile. Et c’est en vertu de cela que nous avions dit que nous ne pouvons pas continuer à plaider. Nous attendons qu’il (président du tribunal) rende une décision sur sa récusation, nous allons aviser, avant de continuer le procès.
Par Bernard BOUGOUM