Le procès du dossier de l’ex-président burkinabè, le capitaine Noël Isidore Thomas Sankara, a débuté ce lundi 11 octobre 2021 à Ouagadougou, 34 ans après son assassinat et de douze de ses compagnons. Les actes à savoir l’appel nominal des accusés, la constitution du tribunal militaire, les requêtes de la partie civile, soutenue par le procureur militaire, pour l’enregistrement et/ou la diffusion du jugement, et, la demande de renvoi de l’affaire par certains avocats de la défense qui disent n’avoir pas pris connaissance du dossier, ont été les temps forts du jugement. A la suite de l’exposé des arguments des différentes parties qui a été houleux, le président du tribunal militaire a renvoyé le procès pour le 25 octobre prochain, soit dans deux semaines.
Des débats houleux déjà au premier jour du procès
Le procès s’est ouvert à 9H10. Le juge avait du mal à avoir des assesseurs pour constituer son tribunal. Si certains des officiers supérieurs convoqués par la commission de désignation avancent avoir des liens d’amitié avec certains accusés, d’autres évoquent des raisons de calendrier, de santé et de travail, qui les empêcheraient de siéger à la chambre. Les deux généraux, notamment, Brice Bayala et Nazinigouba Ouédraogo, se sont auto-recusé. M. Bayala dit avoir des contraintes sanitaires qui l’obligent à souvent quitter la salle tandis que M. Ouédraogo, a signifié, qu’il entretient des liens d’amitié avec certains accusés dont le général Gilbert Diendéré, l’un des principaux accusés du dossier.
Le tribunal a été «constitué avec un peu de difficulté», a reconnu son président, Urbain Méda, après la prestation de serment des juges assesseurs militaires et leurs suppléants. Ils sont six officiers à être tirés au sort. Il s’agit du colonel-major Boureima Ouédraogo, de l’intendant colonel-major Alfred K. Somda, du colonel Saturnin Poda, du commandant Christine Sougé, du commandant Abdoul Karim Ky et du capitaine Hyguia Carpus Bazié.
Après les tractations ayant précédé la désignation des juges assesseurs, Me Bénéwendé Sankara dont le cabinet gère la défense de la famille du défunt Thomas Sankara, présent dans la salle, a estimé que cela est la preuve de la «sérénité» du tribunal militaire et la preuve que «les droits de la défense sont garantis».
Parmi les quatorze accusés, douze étaient présents dans la salle. Le tribunal a donné dix jours aux deux absents que sont Blaise Compaoré et Hyacinthe Kafando. S’ils ne répondent pas cette injonction du tribunal, ils seront jugés à défaut, c’est-à-dire par contumace, a laissé entendre le tribunal après l’appel nominal des présumés innocents du dossier Sankara qui fait près de 20 000 pages.
Les proches et admirateurs du capitaine Thomas Sankara mobilisés pour suivre le procès
Dès 8h00 (Gmt), les invités au procès comme le public, commençaient à prendre place dans la salle des banquets de Ouaga 2000 non sans au préalable obéis aux conditions d’accessibilité du site où les forces de l’ordre procèdent aux fouilles corporelles et des sacs. Seuls le port de badges, une invitation spéciale, la présentation de la pièce d’identification nationale ou tout autre document valable, donne droit à l’entrée de la salle. L’ambiance était timide aux alentours de la salle des banquets. Cela pourrait se justifier par la disposition légale qui interdit les clubs de soutiens de toutes les parties prenantes à ce dossier, de toute forme que ce soit, aux alentours du site quadrillé par les militaires et des gendarmes.
Plusieurs personnes ont manifesté leur intérêt pour ce procès en marquant leur présence au premier jour du jugement du dossier Thomas Sankara. Parmi elles, on note la veuve Mariam Sankara, l’épouse du président Sankara, l’ex-compagnon du président Sankara, Boukary Kaboré dit le Lion, des défenseurs de l’idéal Sankara comme Sams’K Le Jah de son vrai nom Karim Sama et le syndicaliste Bassolma Bazié.
Les avocats se prononcent sur la décision portant sur la demande de l’enregistrement et/ou la diffusion du procès
Cette décision vise à permettre aux avocats de la défense, surtout, ceux commis d’office, qui demandent du temps pour bien prendre connaissance du dossier volumineux afin de mieux préparer la défense de leurs clients.
Les avocats de la partie civile ayant vu sa demande rejetée, jugent «regrettable» le fait que ce procès ne sera ni enregistré, ni diffusé, sous quelque forme que ce soit. Pour Me Prosper Farama, cela est une «déception» parce que lui et ses confrères l’avaient espéré que pour un intérêt d’archivage. «Pour l’histoire du Burkina, on aurait dû enregistrer ce procès afin qu’il serve aux générations futures», a-t-il soutenu.
«Ce procès, on l’attendait depuis 34 ans. Aujourd’hui, dire de ne pas l’enregistrer, c’est comme si finalement on veut qu’il tombe dans l’oubli. C’est vraiment regrettable. On a vu ça de par le passé à l’occasion du procès du putsch de septembre 2015, à la date d’aujourd’hui, aucun document, aucune vidéo, aucun audio qui matérialise ce qui s’est passé», a appuyé Me Séraphin Somé qui pensait alors qu’à l’occasion de ce jugement, «le tribunal militaire allait se rattraper pour permettre au Burkina d’avoir des archives pour constater ce qui serait dit dans cette affaire» qui se veut pédagogique.
Quant à Me Moumini Kopiho, avocat de la défense, «même s’il s’agit du procès Thomas Sankara, ce n’est pas une raison pour que la justice vienne extrapoler le dossier». Me Kopiho a rappelé que la plupart des décisions de justice du Tribunal Public Révolutionnaire (TPR) tenu sous Thomas Sankara, on avait révisé à l’époque les dispositons légales à cause justement de l’enregistrement. «Mais on a trouvé que ces jugements n’avaient pas respecté les normes», a-t-il affirmé.
«Donc restons sereins. Je crois que les accusés ont besoin d’en finir avec ce procès. Vous pensez que la préoccupation de la veuve Sankara, ce sont des enregistrements ? Elle veut savoir qu’est-ce qui s’est passé ? Pourquoi son mari a été tué ?», a poursuivi l’avocat du colonel-major Jean-Pierre Palm. Me Moumini Kopiho a, donc, «félicité le juge pour sa clairvoyance» parce que si décision allait dans le sens de la demande de la partie civile, les clients de la défense «n’allaient pas parler si on devait enregistrer».
Par Bernard BOUGOUM