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Procès du putsch de septembre 2015: le juriste Amadou Traoré analyse la récusation du président du tribunal

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Le Général Gilbert Diendéré (Ph. d'archives)

Dans cet écrit, le juriste Amadou Traoré revient sur la récusation du président de la justice militaire par les avocats de la défense dans le cadre du procès du putsch de septembre 2015.

Ce mercredi 28 mars 2018, la Cour de cassation de Ouagadougou s’est déclarée incompétente pour se prononcer sur la récusation du Président de la Chambre de première instance du Tribunal militaire demandée par le avocats de la défense. Leur pourvoi devant la Cour de cassation faisait suite à la décision rendue le 26 mars 2018 aux termes de laquelle la Chambre de première instance se déclarait incompétente pour se prononcer sur la récusation de son Président. Le Président du Tribunal de la Chambre de première instance disait en cette occasion que : « Le Tribunal ne peut statuer que sur les demandes de récusation concernant les juges assesseurs et non les magistrats professionnels », tout en invitant les requérants « à saisir les juridictions compétentes ».

D’un point de vue purement juridique, les motifs de récusation du Président de la Chambre de première instance du Tribunal militaire Seydou OUEDRAOGO par les avocats de la défense paraissent fondés. Dans la réflexion qui suit, nous appliquerons le droit à récusation aux faits de l’affaire pour poser la problématique de la juridiction compétente et se prononcer sur la récusation du Président Seydou OUEDRAOGO. Le Code de justice militaire et le Code de Procédure pénale demeurent les repères à cet effet.

  1. LE DROIT A RECUSATION D’UN MAGISTRAT

La récusation est une défense contre le soupçon de partialité d’un magistrat siégeant dans une juridiction. L’article 27 du Code de Justice Militaire dispose que: « Tout inculpé, tout prévenu dispose du droit de récusation à l’égard des membres d’une juridiction militaire.

De même, tout membre de ladite juridiction qui a motif de récusation en sa personne, est tenu de le déclarer. Dans tous les cas le Tribunal statue par décision motivée.

Les causes de récusation sont celles prévues devant les tribunaux de droit commun en fonction de la qualification de l’infraction. »

Cet article répond à trois questions. La première est que l’inculpé dispose du droit de récuser les membres de la juridiction militaire. Le second est qu’il est aussi du devoir de tout magistrat d’une juridiction militaire de dévoiler les causes présumées de récusation attachées à sa personne afin que le Tribunal statue par décision motivée. Le troisième est que les causes de récusation sont identiques à celles des tribunaux de droit commun en fonction de la qualification de l’infraction.

  1. LES ACTES DONNANT LIEU A RECUSTION D’UN MAGISTRAT DE JURIDICTION MILITAIRE

L’article 26 du Code de Justice Militaire dispose que : « Ne peut, à peine de nullité, siéger comme président ou juge ou remplir les fonctions de juge d’instruction militaire dans une affaire soumise à une juridiction des forces armées :

…………..

S’il a précédemment connu de l’affaire comme administrateur ou comme président ou juge de la chambre de contrôle de l’instruction.

………….. »

Cet article est presque identique à l’article 648 du Code de procédure pénale qui dispose que « Tout juge ou conseiller peut-être récusé pour les causes ci-après :

……………………

5° Si le juge a connu le procès comme magistrat, arbitre ou conseil, ou s’il a déposé comme témoin sur les faits du procès ;

…………………….. »

En d’autres termes, un magistrat ne peut pas connaitre un même dossier à double titre. Or, les pièces de procédure du dossier du putsch manqué du 16 septembre 2015 révèlent que le Président de la Chambre de première instance Monsieur Seydou OUEDRAOGO y a déjà intervenu en sa qualité de magistrat en rendant l’ordonnance n°001/2016 du 27 mai 2016 aux fins de dessaisissement du cabinet d’instruction numéro 4 au profit du cabinet numéro 1.

Dès lors que la matérialité de cette ordonnance est fondée, le Président Seydou OUEDRAOGO doit être écarté par application de la loi, sans qu’il soit nécessaire de justifier un préjudice quelconque. Ce motif de récusation, parfaitement fondé, doit être ordonné par application de la loi.

Les éléments permettant de suspecter la partialité du juge peuvent avoir une origine subjective, tenant à ses relations personnelles avec l’une des parties, ou une origine objective ou fonctionnelle tenant au fait que le juge a déjà été amené à intervenir dans l’affaire de telle sorte qu’il a pu se faire une opinion sur celle-ci. Dans le cas présent, il est établi que le Président du Tribunal militaire a déjà émis des actes dans le dossier. C’est donc une question de partialité objective bien consistance qui se pose.

L’impartialité est un attribut du droit à un procès équitable et une obligation déontologique du juge.

III. LA PROCEDURE DE RECUSATION EN MATIERE DE DROIT COMMUN

Les procédures de récusation sont différentes selon qu’il s’agisse du Président de la juridiction, d’un juge ou d’un assesseur, ou selon qu’elles se posent devant une juridiction civile, pénale ou administrative. Dans le cas présent, c’est la procédure applicable devant une juridiction pénale qui nous intéresse.

En l’espèce, la procédure de récusation de droit commun en matière pénale est décrite aux articles 648 à 652 du Code de Procédure Pénale.

L’article 649 dispose en son premier paragraphe que « L’inculpé, le prévenu, l’accusé ou toute partie à l’instance qui veut récuser un magistrat du siège, dans les cas autres que ceux visés à l’article 653 ci-dessous doit, à peine de nullité, présenter requête au Président de la Cour d’appel.

L’article 650 dispose que « Le Président de la Cour d’appel notifie en la forme administrative la requête dont il a été saisi au Président de la juridiction à laquelle appartient le magistrat récusé.

La requête en récusation ne dessaisit pas le magistrat dont la récusation est proposée. Toutefois, le Président de la Cour d’appel peut, après avis du Procureur général, ordonner qu’il sera sursis soit à la continuation de l’information ou des débats, soit au prononcé du jugement. »

L’article 651 dispose en substance que le Président de la Cour d’appel statue sur la récusation par une ordonnance qui n’est pas susceptible de recours.

Enfin, et cela est intéressant, l’article 652 dispose que « Aucun juge ou conseiller visé à l’article 648 ne peut se récuser d’office sans l’autorisation du Président de la Cour d’appel dont la décision, rendue après avis du procureur général, n’est susceptible d’aucune voie de recours. »

Cette procédure est celle qui s’applique devant une juridiction pénale de droit commun. Or ici, nous sommes face à une juridiction pénale spéciale. Peut-on l’appliquer ?

  1. LA PROBLEMATIQUE DE LA RECUSATION DEVANT LA JURIDICTION MILITAIRE

La procédure décrite ci-haut concerne celle de droit commun qui s’applique dans le cas de récusation des magistrats d’une juridiction de l’ordre judiciaire. En revanche, la Chambre de Première Instance du Tribunal militaire en cause ici est une juridiction mixte avec des magistrats civils et militaires. D’un côté il y a les magistrats civils dont la nomination est du ressort du Conseil supérieur de la magistrature en application de l’article 134 de la Constitution qui dispose que « Le Conseil supérieur de la magistrature décide des nominations et des affectations des magistrats », et de l’autre il y a les magistrats nommés par l’exécutif en application des dispositions du Code de justice militaire. L’article 23 paragraphe 1er nouveau du Code de Justice Militaire dispose que « Les magistrats militaires constituent un corps autonome à hiérarchie propre, dont les effectifs, le recrutement et la formation font l’objet d’un statut particulier fixé par la loi. »

La possibilité de soumettre à la Cour d’appel du système judiciaire la demande de récusation des magistrats d’une juridiction à composition mixte me parait difficile au prime abord, à moins de procéder à la relecture du Code de Justice Militaire, et même de la loi portant organisation judiciaire, pour insérer cette compétence.

En revanche, si l’on suit la logique de la juridiction judiciaire, l’idéal serait que la Chambre d’appel du Tribunal militaire statue sur les récusations de la Chambre de Première Instance. L’article 4 nouveau du Code de Justice Militaire institue en effet une Chambre d’appel du Tribunal militaire. Mais il y a un hic : cette Chambre d’appel, conçue à la hâte pour sauver les apparences de double degré de juridiction, n’est pas opérationnelle. Il y’a manifestement un vide juridique à combler rapidement pour que le procès du putsch manqué puisse continuer. La problématique de la juridiction compétente pour statuer sur la récusation du Président de la Chambre de première instance demeure donc entière. Il est évident à ce propos que le Tribunal militaire est une juridiction spéciale dont l’organisation doit être complète et autonome de celle des juridictions de droit commun.

Cette spécificité de la juridiction militaire a du reste été confirmée par le Conseil constitutionnel à travers sa décision n°2018-006/CC du 21 mars 2018 qui a rejeté la requête des avocats de la défense demandant la déclaration d’inconstitutionnalité de la nomination des juges du Tribunal militaire par décret du Président du Faso. Le Conseil constitutionnel expliquait que « le Tribunal militaire est une juridiction spécifique et que les nomination et les affectations dans cette juridiction dérogent aux règles de droit commun… » et que par voie de conséquence, « les nomination et les affectations ne sont pas du ressort de compétence du Conseil supérieur de la magistrature ».

En tout état de cause, il doit être statué forcément sur la récusation du Président de la Chambre de première instance du Tribunal militaire parce que l’impartialité et l’indépendance du président sont essentielles dans la manifestation de la vérité. Son remplacement est la meilleure décision que la justice puisse prendre, au risque de rendre une décision douteuse et contestable. Il ne serait pas excessif de saisir le Conseil constitutionnel en dernier ressort pour examiner la question.

CONCLUSION

La faculté pour les parties de récuser un juge fait incontestablement partie des garanties d’impartialité. Lorsque les avocats de la partie civile rétorquent que toute suspicion ne donne pas lieu à récusation, ce n’est qu’un langage de diversion. Ils en auraient fait autant en respect du principe du droit de la défense de leurs clients. Du reste, l’impartialité est une exigence universellement partagée qui est déterminante dans le respect du droit de la défense et du procès équitable. Tout doute de partialité doit être écarté, surtout pour des accusés qui risquent leur vie. La question de la compétence de récusation des magistrats de la Chambre de première instance du Tribunal militaire doit être examinée sans passion dans l’intérêt de tous, et les vides juridiques doivent être rapidement comblés.

Amadou TRAORE

Juriste