Le président du Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP, ex-majorité) Eddie Komboïgo a nié, ce vendredi 5 février 2019, à la barre du tribunal militaire qui l’entendait en qualité de témoin dans le cadre du putsch manqué de mi-septembre 2015, toute implication de son parti dans le coup de force qui a fait officiellement une quinzaine de morts. Pour le premier responsable du parti de l’ex-président Blaise Compaoré (15 octobre 1987 au 31 octobre 2014), l’actuelle deuxième force de l’opposition burkinabè «n’a pas été l’aile politique de qui que ce soit» pendant le coup d’Etat manqué perpétré par le Régiment de sécurité présidentielle (RSP) dissout fin septembre 2015.
Absent le vendredi alors qu’il a été appelé à comparaître, le parquet a demandé au tribunal de recourir à la force publique pour contraindre M. Komboïgo à venir à la barre. Le tribunal ayant écarté cette option a demandé au parquet de renouveler ses diligences pour que le témoin soit entendu ce jour même.
C’est ainsi qu’après les témoignages de Mohamed Rachid Ilboudo qui a eu maille à partir avec l’accusé Faïçal Nanéma, les deux s’accusant mutuellement, l’un de vouloir charger l’autre, les débats se sont focalisés sur une carte mémoire que l’accusé Nanéma dit détenir. Il a dit avoir été envoyé par le général Gilbert Diendéré pour la récupérer chez Rachid Ilboudo.
Le parquet et la partie civile qui ont trouvé un intérêt particulier dans cette déclaration de Faïçal Nanéma, ont invoqué le Code de justice militaire en sa disposition 118 qui stipule que le président du tribunal dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour la direction des débats. «Il peut, à tout moment, faire apporter toute pièce qui lui paraît utile à la manifestation de la vérité et décerner des mandats, de comparution ou d’amener contre toute personne dont l’audition lui semble nécessaire».
Mais la défense dont Me Dieudonné Boukoungou, conseil du général Djibrill Bassolé, a estimé que «c’est un débat qui ne fera pas avancer» le jugement puisque l’accusé a répondu au parquet que cette supposée carte mémoire qui serait destinée au général Diendéré ne contient que des «films et de la musique» et a eu à dire à l’ex-chef d’état-major particulier de la présidence que la pièce en question était perdue.
A la demande du tribunal si le général Diendéré a effectivement fait cette demande à M. Nanema, le général de brigade qui avait déjà rétorqué «c’est faux» depuis sa place assise quand l’accusé parlait, a réaffirmé devant la barre qu’il ne reconnait pas avoir fait une telle demande à M. Nanéma puisqu’il n’a connu M. Ilboudo qu’à la Maison d’arrêt et de correction des armées (MACA). «Libre à vous (Nanéma) si vous voulez produire cette pièce au tribunal, nous la recevrons, mais je ne pas vais user de mon pouvoir» dans ce sens, a dit le président, le juge civil, Seydou Ouédraogo, à l’accusé.
Ce chapitre clos, le juge ordonna qu’on fasse entrer le témoin Eddie Komboïgo. Après une minute, l’appariteur, un auxiliaire de justice, revient et annonce que le témoin cité n’est pas dans la salle d’attente. Le tribunal ayant constaté ces faits a donné la parole au parquet qui dit avoir eu du mal, de par son secrétariat, à joindre M. Komboïgo. Me Aziz Dabo de la défense a voulu que le tribunal vérifie si les diligences qu’il avait recommandées au parquet ont été faites à l’endroit du témoin. «Soyez rassuré que cela a été fait», a signifié le procureur, Alioun Zanré.
C’est sur ces débats que l’appariteur a informé le tribunal que Eddie Komboïgo était au parking et venait d’être conduit dans la salle d’attente des témoins. A la barre, après les présentations et ayant vérifié que le témoin n’a pas un lien direct ou de subordination avec l’un des accusés de ce dossier, il lui a été donné la parole. M. Komboïgo, pour expliquer son absence et son léger retard au procès du jour, a affirmé qu’il a reçu la convocation ce même jour à 9H26 minutes alors qu’il devait se présenter au jugement à 9H. Le parquet reprend la parole et tente de confirmer que les diligences ont été faites à temps au témoin qui a réagi quand la parole lui a été donnée: «Je suis ferme sur ce que j’ai dit», a-t-il affirmé, ajoutant même avoir avec lui les pièces qui attestent ses propos.
«L’essentiel est que vous soyez», a noté le président du tribunal. Il a alors poursuivi avec les questions à l’endroit du président du CDP à savoir, ce qu’il savait des évènements du 16 septembre et jours suivants. «Je m’en tiens à mes déclarations (faites) devant le juge d’instruction» en tant qu’accusé, a répondu le témoin. «Vous êtes tenus de faire ces déclarations devant cette barre, pas textuellement puisse qu’en tant que témoin vous n’avez pas le droit de mentir», a relancé le magistrat Seydou Ouédraogo.
Alors, M. Komboïgo commence sa narration et en arrive au points saillants dont, entre autres, la tenue d’une réunion au siège du CDP le 16 septembre. Le témoin confirme que ce jour, une réunion qu’il a lui-même présidée a eu lieu entre 9h et 14h tout au plus. Cette rencontre du secrétariat permanent, à le croire, a porté sur la validation des candidatures puisse que la loi dite «Chériff» ou loi taxée d’exclusion, selon certains sous la Transition, venait d’être mise en application et viserait des caciques du CDP.
Après ladite rencontre, il serait revenu quelques temps plus tard pour donner une somme de 15 millions FCFA à son vice-président Achille Marie Joseph Tapsoba qui lui a remis une décharge. Cette somme devait servir pour le financement des activités entrant dans le cadre du lancement de la campagne du CDP au niveau du Kadiogo. En rentrant à la maison, il est passé devant le siège du parti où il a fait seulement quelques minutes et c’est en ce moment qu’il a appris avec certains camarades, l’arrestation des autorités de la Transition. «N’avez-vous pas assisté à une rencontre dans la soirée vers 18h», lui a demandé le parquet. «Non», a répondu le témoin.
«Avez-vous instruit de tenir une rencontre le 17 septembre au rond-point des Martyrs», a encore demandé le parquet qui se verra opposer la même réponse négative ferme du témoin, tout comme à la question sur ce que le témoin savait sur les manifestations devant l’hôtel Laïco. Selon Eddie Komboïgo, c’est à la MACA qu’il a été au courant de beaucoup de choses, lors des auditions.
Après plusieurs questions, le parquet a marqué son étonnement sur le fait que M. Komboïgo soit le président du parti et ne sois pas au courant de toutes les actions menées au moment des faits et au nom du CDP. A la question du parquet de savoir combien de francs M. Komboïgo a remis après la réunion du 16 septembre au siège du parti pour la campagne, le témoin a réitéré que c’est 15 millions FCFA. Cette somme n’était-elle pas destinée à financer des manifestations en soutien au RSP aux moments des faits? «Non», a encore rétorqué le témoin, qui, sur l’insistance du parquet a déclaré que durant les évènements du coup de force, à aucun moment il n’a donné une instruction pour faire quoi que ce soit tendant soutenir le coup de force ni ses commanditaires.
Concernant une déclaration de soutien au Conseil national de la Démocratie (CND) que le CDP aurait fait, Eddie Komboïgo a répondu par la négative en faisant observer qu’étant hors du pays, il a appris que l’un des responsables de son parti, en l’occurrence Moïse Nignan Traoré après avoir présidé une rencontre, a même condamné le putsch. «Personne n’a été instruite ou reçu mon mandat» pour soutenir les putschistes, a-t-il poursuivi en clamant que son parti le CDP, «n’a jamais été l’aile politique de qui que ce soit».
L’audience a été suspendue sur ces propos après que le juge a informé le public dans la salle qu’un des juges assesseurs a perdu son frère. Le jugement reprendra demain mercredi 6 février à partir de 9h GMT.
Par Bernard BOUGOUM