L’adjudant-chef major, Issouf Pingdwendé Sawadogo, témoin oculaire dans l’Affaire Thomas Sankara et douze autres, a dit le mardi 7 décembre 2021, devant la barre du Tribunal militaire, que ce sont les gardes de la sécurité du capitaine Blaise Compaoré qui ont tiré à bout portant sur le père de la Révolution burkinabè le 15 octobre 1987. Au total, sept témoins ont fait leur déposition au cours de cette audience.
L’audience de ce jour a enregistré un nombre record de témoins qui sont passés à la barre. Le procès historique a débuté ce mardi par la poursuite du témoin François Claude Zidouemba qui, de « justesse » et par un « coup de chance », a eu la vie sauve pendant les évènements du 15 octobre 1987, à la base de la Révolution d’août 1983. Ce témoin comme deux autres de ses camarades, Laurent llboudo et Drissa So, tous des gardes de l’ex-président burkinabè, ont chargé l’accusé Bossobè Traoré de les avoir livrés au commando qui a mené l’action.
Me Maria Kanyili, avocat de l’accusé Bossobè Traoré, n’ayant pas eu satisfaction à ses questions, a fait observer que M. Zidouemba, Ilboudo Laurent et Drissa So, « n’ont pas déposé sincèrement » devant la barre du Tribunal militaire. Elle a relevé des contradictions avec certaines de leurs déclarations faites devant le juge d’instruction. En conséquence, elle a demandé que le président de la première Chambre de jugement du Tribunal militaire prenne les dispositions juridiques qui conviennent en la matière.
Après le témoin Zidouemba, c’est le sergent-chef Issouf Pingdwendé Sawadogo qui a été appelé à la barre. Ce militaire, élément du Centre national d’entraînement commando (CNEC), travaillait au Conseil de l’Entente, précisément, au secrétariat juxtaposé à la salle de réunion où il y a eu le carnage humain. Selon sa déposition, étant dans son bureau et s’apprêtant à décrocher le téléphone fixe qui sonnait, il a été empêché par des tirs de rafales qui ont visé les fenêtres de son bureau.
C’est ainsi qu’il est sorti les mains en l’air au même moment quand le président Thomas Sankara aussi sortait également les mains en l’air devant la salle de la réunion du Conseil de l’Entente. C’est en ce moment que deux éléments de la garde de Blaise Compaoré vont abattre froidement le père de la Révolution burkinabè. « Ce sont les éléments de Blaise qui ont tiré sur le président. Nabié Nsoni a tiré sur la tête du président et il est tombé. Maïga Amidou a tiré son (Thomas Sankara) thorax et emporté son arme », a précisé l’adjudant-chef major à la retraite.
Par la suite, les assaillants « m’ont conduit dans le bureau de Hyacinthe Kafando (chef de garde du capitaine Blaise Compaoré) où j’ai vu un vieux crâne humain déposé avec de la cendre et un oeuf qu’on a cassé là-dessus », a ajouté le témoin, pour qui, cela était un signe qu’il ont sacrifié l’âme de Sankara pour pouvoir le tuer.
Le troisième témoin du jour est le caporal à la retraite, Boubié Bamouni, un ex-agent de la garde présidentielle. Le soldat de première classe à l’époque, dit s’être rendu au Conseil de l’Entente le 15 octobre 1987 à la demande du président Sankara qui voulait le voir après qu’il a exécuté une mission. Il était au Conseil de l’Entente peu avant 16H, attendant en face de la salle de réunion, la fin de la rencontre pour se présenter au président.
Entre-temps, Hyacinthe Kafando a fait irruption avec un véhicule avec ses éléments et ils commencé à tirer sur les gardes postés devant la porte avant de rafaler le bâtiment. Peu après, quand le président Thomas Sankara est sorti les mains en l’air, il a été froidement abattu et il a profité dans la confusion pour se sauver.
L’adjudant-chef major, Sansan Hien dit Kodjo, est le quatrième témoin qui s’est présenté ce mardi à la barre dans l’affaire qui poursuit 14 personnes dont l’ex-président Blaise Compaoré et ses hommes de confiance, le général Gilbert Diendéré et l’adjudant-chef Hyacinthe Kafando, cités comme les présumés commanditaires du coup d’Etat du 15 octobre 1987.
Sansan Hien dit Kodjo dit être tombé sur l’événement du 15 octobre 1987 par hasard car il a quitté Pô ce jour pour venir déposer un courrier au Conseil de l’Entente. C’est étant sur les lieux qu’il a entendu les tirs. Par la suite, après avoir quitté un rassemblement où on avait informé les éléments militaires présents de ce qui s’était passé, il a été envoyé par le lieutenant Gilbert Diendéré à l’époque, d’aller alerter les autres camps et leur dire d’attendre d’éventuelles instructions de la hiérarchie militaire.
Ce témoin a été confronté à l’accusé Diendéré Gilbert qui a reconnu ses déclarations non pas sans préciser toutefois aux avocats de la partie civile que « l’alerte n’est pas une mission offensive » mais, « une mise en éveil » des éléments en termes militaires. Aussi, a en croire le général Diendéré, le choix porté sur Kodjo, un élément du CNEC, serait le fait d’un pur hasard.
Le quatrième témoin du jour mais le 30e sur une liste de 113 témoins programmés pour le moment, est l’adjudant-chef major Clément Roger Alexis Zongo. Ce témoin dit n’avoir pas été témoin oculaire des faits qui se sont passés le 15 octobre 1987 mais en tant qu’élément du Conseil de l’Entente, il s’y est rendu pour chercher à comprendre. Arrivé sur les lieux, il a vu le lieutenant Gilbert Diendéré qui lui aurait dit en lui tendant la main vers les treize victimes que « voilà, c’est arrivé ». Alors, il s’est approché pour voir les corps notamment celui du président Thomas Sankara, son premier chef dans l’Armée.
Sur ce, il a demandé au lieutenant Gilbert Diendéré ce qu’il fallait faire. Il lui a dit de prendre les blindés aller barrer les carrefours d’entrée à la capitale et il a appelé son adjoint qui s’occupait des blindés pour lui donner la même instruction avant de s’éloigner du QG de la Révolution où rien n’était rassurant. Alors, il est allé sur le pont du barrage de Tanghin menant à l’hôpital Schiphra pour aller renforcer des éléments qui avaient déjà positionné une arme lourde pour contrer toute velléité de rébellion. Et pour ne pas avoir à penser à ce qui était arrivé, il s’est mis à réviser ses cours.
A sa suite, c’est l’adjudant-chef major Jean-Dakuyo Bakyono, cinquième témoin qui a été appelé à la barre pour sa déposition. Ce témoin, infirmier militaire, dit avoir avoir accompagné un officier pour aller remettre à la sortie Sud de Ouagadougou, deux talkie-walkie à des éléments du renfort qui avait quitté le CNEC à Pô, pour venir appuyer les unités du Conseil de l’Entente. Il a dit aussi avoir refusé, à la demande d’un de ses chefs, alors qu’il était à la permanence du QG de la Révolution d’août 1983, d’aller identifier les corps des personnes tuées lors de la fusillade.
L’adjudant-chef major Wendyélé Sawadogo, sixième témoin du jour, était un élément de la Bataillon Inter Armes (BIA) qui était détachée au Conseil de l’Entente. L’adjudant-chef au moment des faits dit avoir appelé le lieutenant Gilbert Diendéré, quand il a entendu les tirs alors qu’il était au génie militaire, pour savoir ce qui se passait. Gilbert Diendéré lui aurait dit qu' »on tire sur nous » avant de lui dire d’aller avec ses hommes sécuriser les entrées de leur enceinte, précisément côté Est et Nord-est.
Il a de ce fait replié rapidement pour aller renforcer ses éléments et ils ont pris position sur les axes indiqués par le chef de sécurité du Conseil de l’Entente, Diendéré. Il a également déposé devant la barre qu’il a d’initiative demandé à Gilbert Diendéré s’il pouvait envoyer un élément à Koudougou pour dissuader Boukari Kaboré dit le lion qui voulait faire une descente musclée à Ouagadougou, car s’opposant fermement au putsch qui venait d’être perpétré. Décision que Gilbert Diendéré a approuvé et lui a donné l’autorisation.
Le septième et dernier témoin qui a comparu à l’audience de ce mardi 7 décembre, est le cuisinier militaire, Moumouni Koïba. Ce témoin a affirmé que pendant les tirs il se trouvait au Conseil de l’Entente où il était venu livrer de la nourriture. Quand les tirs ont commencé, il s’est plaqué au sol jusqu’à ce que les tirs finissent avant de chercher à quitter les lieux. Il a été aperçu par le lieutenant Gilbert Diendéré qui lui a demandé de venir « servir du café noir » à ses hommes « pour qu’ils ne dorment pas la nuit ».
Le procès reprendra demain à 9H dans la salle des banquets de Ouaga 2000 avec la comparution d’autres témoins du dossier qui fait 2000 pages.
Par Bernard BOUGOUM