L’audience entrant dans le cadre du procès de l’affaire de l’assassinat du président Thomas Sankara et douze de ses compagnons a repris Le lundi 29 novembre 2021, avec la poursuit de l’audition des témoins. A la barre, Philippe Ouédraogo, le premier témoin de la journée, soutient qu’il « ne croyait pas tout ce que Blaise Compaoré (lui) disait », au cours d’un tête-à-tête, pour expliquer les événements du 15 octobre 1987.
« Celui qui parle pense que celui qui l’écoute n’a pas l’intelligence d’analyser ce qu’il dit », a fait savoir l’ingénieur des mines à la retraite, Philippe Ouédraogo, membre du Parti africain de l’indépendance (PAI) au moment des faits, qui a affirmé qu’il « ne croyait pas tout ce que Blaise Compaoré lui disait », le 19 octobre 1987 au Conseil de l’Entente.
Selon sa déposition, le 19 octobre 1987, il s’est rendu au Conseil de l’Entente à l’invitation du capitaine Blaise Compaoré. « Arrivé, il a dit qu’il y avait des problèmes entre Thomas Sankara, lui, Lingani et Henry. Il a parlé de divergences à propos de la création d’un parti unique et que Sankara demandait la dissolution des autres partis, mais eux ils n’étaient pas d’accord », a relaté M. Ouédraogo.
Les 10 millions de Houphouët-Boigny
Au nombre des problèmes que le capitaine Compaoré aurait évoqués avec lui, il y a l’affaire de « 10 millions que Houphouët-Boigny a donné à Blaise Compaoré lors de leur mariage ». « Il a dit que Sankara lui a demandé de verser l’argent dans la caisse mais lui il a fait savoir que son épouse ne comprendra pas pourquoi il fallait le faire », a déclaré le témoin.
Concernant la journée du 15 octobre 1987, selon la déposition de Philippe Ouédraogo, Blaise Compaoré lui aurait dit qu’il était couché chez lui quand il a entendu les coups de feu. « Il a dit qu’il pensait que c’était sa maison qui était visée et il est sorti armé pour voir mais ce n’était pas le cas », a déclaré M. Ouédraogo. « Il m’a dit qu’il s’est rendu au Conseil de l’Entente après avoir tenté d’appeler la présidence et le Conseil en vain », a poursuivi le témoin.
« Je suis arrivé au Conseil vers 18h en même temps que Henry et Lingani. On était désemparé mais vu la situation nous avons décidé d’assumer », ce qu’aurait dit M. Compaoré à Philippe Ouédraogo.
« Je lui ai fait des remarques sur les injures proférées à l’endroit de Sankara dans le communiqué et de la façon dont l’enterrement a été fait », a déclaré Philippe Ouédraogo, qui a souligné que Blaise Compaoré lui a fait savoir que les événements du 15 octobre 1987 n’étaient pas de son initiative. « L’enterrement était de l’initiative des soldats », m’a-t-il dit.
Selon le témoin, le capitaine Compaoré dans ses explications, « s’est absout de toute responsabilité dans cette affaires, mais ce qu’il dit n’est pas vrai ».
Pour Philippe Ouédraogo « le 15 octobre a été une catastrophe » car il a joué négativement sur la progression du pays. « Le dynamisme du président (Thomas Sankara) a fait grandir le pays. La Haute-Volta n’était pas connue, mais Sankara a fait connaître le Burkina partout », a affirmé M. Ouédraogo qui cite Thomas Sankara comme étant un homme qui « analysait vite les choses, décidait vite et mettait en oeuvre vite les choses ».
Au moment des faits, le PAI ne faisait plus partie du CNR
Philippe Ouédraogo était ministre de l’Equipements et des Communications dans le premier gouvernement du Conseil national de la révolution (CNR). Au moment des faits sa formation politique ne faisait plus partie du CNR.
Le 15 octobre 1987, il était à la Chambre de commerce où il devrait prendre part à une cérémonie de clôture d’une activité à 16h. C’est en étant là-bas qu’il a vu des véhicules militaires qui se dirigeaient vers la Place de la nation. Pour s’informer sur ce qui se passait, il serait rendu chez Arba Diallo qui était conseiller à la présidence. « Il m’a dit qu’ils étaient à la présidence et des militaires sont venus leur intimer l’ordre de quitter les lieux et qu’il n’a pas plus d’information », a narré M. Ouédraogo. C’est en étant chez M. Diallo qu’ils ont écouté le premier communiqué du Front populaire.
A la suite de Philippe Ouédraogo, ce fut le tour de Ernest Nongma Ouédraogo, ex-ministre de l’Administration territoriale et de la sécurité intérieure de septembre 1983 au 15 octobre 1987. Il affirme que les événements du 15 octobre ont été une surprise pour lui. «La surprise était totale», s’est-il exprimé.
Il a confié qu’il était au sport quand il a entendu les tirs. «J’ai demandé à rejoindre mon bureau et à chercher à savoir ce qui se passe», a-t-il confié déclarant que c’est le commandant de la gendarmerie, Ousseni Compaoré qui l’a appelé pour lui dire qu’il a vu le véhicule du président Thomas Sankara qui était conduit pas le chauffeur du capitaine Blaise Compaoré et «qu’il pense que c’est fini pour le président».
Ernest Nongma Ouédraogo passe près d’une année en détention
M. Ouédraogo a été par la suite mis aux arrêts et détenu d’abord à la gendarmerie puis transféré après au Conseil de l’Entente. Il dit avoir passé près d’une année en détention. Contrairement aux autres, l’ex-ministre Ernest Nongma Ouédraogo a déclaré avoir été auditionné au cours de sa détention, sans plus de précision.
Malgré les questions des parties au procès, la Chambre de jugement n’a pas eu plus d’information avec le premier responsable de la sécurité sous la révolution, comme elle le souhaitait.
«En tant que ministre de l’Administration territoriale et de la Sécurité intérieure, l’un des ministres qui a fait les quatre ans dans le gouvernement sous la révolution, on pensait avoir plus d’informations avec vous malheureusement vous n’en avez pas. Qu’à cela ne tienne, nous allons nous contenter de ce que vous nous avez fourni comme informations», a soutenu le président de la Chambre de jugement.
Par Daouda ZONGO