Le procès de l’assassinat de l’ex-président burkinabè, Thomas Sankara et 12 autres personnes a repris le mercredi 2 février après la levée de la suspension de la Constitution qui avait été proclamée par le leader du Mouvement patriotique pour la Sauvegarde et la Restauration (MPSR) qui a renversé le pouvoir de Roch Kaboré le 24 janvier dernier. Un premier groupe des avocats de la partie civile a plaidé sur le contexte et le cadre juridique de cette affaire qui dure 34 ans.
Le jugement du dossier du père de la Révolution burkinabè et de 12 de ses camarades tués le 15 octobre 1987 au Conseil de l’Entente, base du Conseil national de la Révolution (CNR) d’août 1983, est rentré dans une autre phase ce jour. Les accusés ont été positionnés face aux avocats de la partie civile qui ont commencé les plaidoiries devant un parloir dressé devant eux pour l’occasion. Ce sont quatre Conseils des proches des victimes que sont Me Ferdinand Nzepa, Me Anta Guissé, Me Ambroise Farama et Me Olivier Badolo qui ont plaidé.
Me Zepa a d’abord situé le contexte de cette affaire qui juge 14 accusés principalement pour « attentat ou complicité d’attentat à la sureté de l’Etat, assassinat ou complicité d’assassinat, faux en écriture de faux, recel de cadavres et subornation de témoins ». Prenant la parole en premier, Me Ferdinand Nzepa a salué les actions de ceux qui ont oeuvré à la tenue effective de ce procès emblématique.
« Ce procès a pu se tenir grâce au courage » de Mariam Sankara qui contre vents et marées a eu la lucidité d’aller vers Me Dieudonné Nkoukou pour demander conseil afin d’aller porter plainte sur cette affaire. Il a souligné de même l’implication de toutes les familles des victimes pour la manifestation de la vérité sur le drame du 15 octobre 1987. Il n’a pas manqué de saluer les leaders d’opinion, les responsables politiques, les hommes de droit et les organisations de la société civile qui de part le monde ont travaillé à ce que ce dossier ne soit pas enterré définitivement sans qu’il n’y ait jugement. Dans ce sens, Me Ferdinand Nzepa dit être reconnaissant aux acteurs de premiers plans que sont Me Nkoukou, Bruno Jaffré et surtout « le courage » de Me Bénéwendé Stanislas Sankara qui était l’avocat qui suivait le dossier brûlant au plan national avec « tous les risques » dont il a fait face.
Il également noté le « grand apport et le rôle » qu’ont joué les autorités de la Transition de 2015, notamment le président Michel Kafando et le Premier ministre, Yacouba Isaac Zida, par ailleurs, ministre de la Défense qui ont permis la réouverture du dossier qui était bloqué sous le régime de Blaise Compaoré, cité comme le présumé commanditaire de l’affaire. Il n’a oublié le juge d’instruction François Yaméogo qui a établi un dossier de près de 20.000 pages. Il a regretté que la demande de la partie civile quand la diffusion du procès n’a pas eu échos favorable auprès du Tribunal militaire.
« C’est le moment du Tribunal qui est arrivé maintenant », a-t-il affirmé avant de saluer la bonne conduite du procès qui a commencé le 11 octobre 2021. « A aucun moment, le président ne s’est laissé déborder », a-t-il fait remarquer tout en appelant les membres de la Chambre de jugement à « rendre un verdict en leurs âmes et consciences ». Le père de la Révolution burkinabè, le capitaine Noël Isidore Thomas Sankara est « symbole de la lutte contre le colonialisme et l’impérialisme », a soutenu Me Nzepa qui a invité le Tribunal militaire à tenir compte surtout des faits, du contexte, du fond du dossier, des contours juridiques du dossier et de l’application des droits aux faits.
Selon les faits qu’il a exposés qui résultent de la synthèse du dossier, « personne n’a la version complète de cette affaire » puisque « la plupart des accusés font preuve d’une amnésie incroyable ». Il a indiqué qu’il s’est appuyé sur des déclarations des témoins Alpina Traoré, Ilboudo Laurent et Issouf Sawadogo et des accusés Elysée Yamba Ilboudo, Idrissa Sawadogo et Bossobè Traoré, entre autres, pour constituer le puzzle du coup d’Etat du 15 octobre 1987. C’est pourquoi il a invité les membres du Tribunal militaire à tenir compte de « la commission des faits, des tentatives de justifications du coup de force par le Front populaire ou des tentatives de salissement de la mémoire de Thomas Sankara, écarter le complot de 20H qui est non seulement invraisemblable mais une histoire à dormir debout car dans plusieurs témoignages, il est ressorti que Sankara mettait en garde quiconque voulait s’en prendre à Blaise Compaoré » à cause de leur différend.
« J’aurais aimé voir le capitaine Blaise Compaoré à cette barre pour la manifestation de la vérité », a regretté Me Ferdinand Nzepa qui a insisté que le ministre de la Justice au moment des faits, « a liquidé son frère et ami Thomas Sankara pour s’emparer du pouvoir ». Pourquoi on a tué Thomas Sankara ? A qui a profité le crime de Thomas Sankara ? Pour lui, sans nul doute l’assassin de l’ex-président burkinabè, c’est bel et bien Blaise Compaoré qui « s’est assuré d’avoir le soutien et l’accompagnement des puissances occidentales en son temps, avant de passer en action ». Il a rappelé des faits qui montrent que Thomas Sankara n’étaient pas en odeur de sainteté avec François Mitterrand de la France, le président Félix Houphouët Boigny de la Côte d’Ivoire, le président togolais Gnassingbé Eyadema et le guide libyen, Mouammar Kadhafi qui n’a pas aimé qu’il aie refusé qu’il (Kadhafi) s’appuie sur le Burkina Faso comme base arrière pour déstabiliser d’autres pays où le refus du père de la Révolution que la Libye construise un centre islamique à Pô.
Me Ferdinand Nzepa a terminé par la galère que la partie a eu avec la procédure. Il déploré le fait que les parents des victimes aient été malmenées à plusieurs niveaux dans cette affaire très attendue par l’opinion nationale et internationale.
Me Anta Guissé, elle, a abordé les aspects techniques de la problématique des qualifications juridiques. Comme elle, Me Ambroise Farama et Olivier, ont aussi parlé purement de droit à savoir une explication des différents chefs d’accusations et des articles qui soutiennent leurs arguments développés lors des débats contradictoires.
Ainsi, ils ont invité les membres de la Chambre de jugement du Tribunal militaire à rechercher, entre autres, l’élément moral et matériel de l’attentat, la preuve, l’acte d’homicide, l’intention coupable. Me Olivier Badolo a précisé que « nous recherchons la vérité judiciaire ». Il a précisé qu’on peut en avoir trois types que sont la vérité matérielle, la vérité formelle et celle consensuelle.
Le procès reprend demain jeudi à 9H à la salle des Banquets de Ouaga 2000.
Par Bernard BOUGOUM