Le fonctionnaire de Police à la retraite, Yaya Dramé, agent de renseignement à la Division de la surveillance du territoire (DST) au moment des événements du 15 octobre 1987, cité comme témoin dans le dossier de l’assassinat du président Thomas Sankara, a déclaré, le vendredi 17 décembre 2021, devant les juges, que le service de renseignement a déjoué, sous la Révolution, trois coups d’Etat qui se projetaient depuis la Côte d’Ivoire.
A la reprise de l’audience le vendredi 17 décembre 2021, la Chambre de jugement du Tribunal militaire de Ouagadougou a auditionné quatre témoins, dont un cadre de banque à la retraite, un sous-officier Tirs, armement et munitions (TAM) en poste à l’Escadron de transport et d’intervention rapide (ETIR) et deux fonctionnaires de Police qui officiaient dans les renseignements.
Depuis le début du procès, il ressort qu’il y a eu plusieurs tentatives pour renverser le leader de la Révolution, Thomas Sankara. A l’audience de ce jour, également, l’agent de renseignement Yaya Dramé a fait cas d’au moins trois coups d’Etat qu’ils ont pu déjouer.
Selon lui, ces coups d’Etat étaient projetés depuis la Côte d’Ivoire par Jean Claude Kamboulé. «On a mis aux arrêts beaucoup d’officiers de l’Armée, de la Gendarmerie et des policiers», a dit M. Dramé.
Sankara en larmes
Le cadre de banque à la retraite Yacouba Traoré, directeur général de la Société nationale d’exploitation cinématographique du Burkina (SONACIB) au moment des faits, a aussi signifié que le 13 octobre 1987 il a reçu la visite d’un militaire qui lui a dit que «l’heure est grave» et lui a dit «ce qui se tramait» contre Thomas Sankara. «Après son départ je suis allé directement à la présidence pour voir Sankara. On a discuté près d’une heure. Je lui ai demandé qu’est-ce qu’il ne va pas ? Il m’a expliqué. Il a dit qu’il a tout fait pour qu’ils s’entendent (avec Blaise Compaoré) mais sans succès. Il a pris une enveloppe kaki et a dessiné un arbre avec des branches pour dire que la Révolution, on commence ensemble et après, il y a des branches qui poussent. Je lui ai dit que je n’étais pas là pour ça», a relaté M. Traoré qui a confié qu’ils ont fondu en larmes ce jour. «Je lui ai dit que j’irai voir Blaise pour l’écouter aussi. Il m’a accompagné et à la porte m’a dit : «Mon frère, tu ne veux pas que je fuie, non ?» On s’est regardés et on s’est quittés en larmes», dit-il.
Il affirme avoir tout fait pour voir Blaise Compaoré le même jour et le lendemain 14 octobre 1987, en vain. «Quand j’ai quitté la présidence, j’ai continué chez Blaise. Arrivé, on m’a annoncé et Hyacinthe est sorti dire qu’il a dit qu’il est en réunion. Le lendemain j’y suis reparti et on m’a dit qu’il est en voyage. Le 15 octobre 1987 vers 12h30 Blaise m’a appelé pour s’excuser et dire qu’il viendra chez moi après le sport, mais il n’est jamais venu», s’est-il rappelé.
Selon lui, on pouvait trouver une solution aux contradictions qui existaient entre Blaise Compaoré et Thomas Sankara, se demandant «pourquoi utiliser des armes ?». «La mort de Thomas Sankara et de ses compagnons a fait de moi, pratiquement, un homme vide», a-t-il soutenu demandant les uns et les autres de reconnaitre ce qu’ils ont fait.
«Jean Pierre Palm jubilait»
Concernant la «prise» de la Force d’intervention du ministère de l’Administration territoriale et de la sécurité (FIMATS), les témoins Yaya Dramé et Ambroise Stanislas Amadou Diarra, commissaire divisionnaire à la retraite qui officiait au sein de cette force comme le second de Vincent Sigué au moment des faits, ont fait savoir dans leur déposition que la FIMATS n’a été prise. Par contre ils reconnaissent que des éléments du Centre national d’entrainement commando conduits par Tibo Ouédraogo y sont venus et ont passé toute la nuit là-bas. «Tibo a demandé après Vincent Sigué. Quand on a dit qu’il n’est pas là, il a dit que «comme ça il est en train de s’éloigner» et que «c’est mieux pour lui (Sigué) de partir», a fait savoir Yaya Dramé.
Le lendemain 16 octobre 1987, l’accusé Tibo aurait amené M. Diarra dans une villa à la cité An 3 et c’est à ce niveau que le lieutenant Tibo Ouédraogo lui aurait dit qu’ils ont eu Vincent Sigué vers Ziou (à la frontière avec le Ghana).
Selon, l’agent de renseignement Dramé, le 16 octobre dans la matinée, le colonel Jean Pierre Palm est venu à la FIMATS et «jubilait», exprimant sa joie concernant le coup d’Etat qui a eu lieu. Egalement le 17 septembre, le général Gilbert Diendéré s’y est rendu où il leur aurait dit que «Sigué avait un plan machiavélique et qu’il préparait un coup», a dit le témoin qui informe que le général Diendéré a ajouté que le premier responsable de la FIMATS voulait aussi changer le nom du pays qui deviendrait «République du mandingue».
Selon ces deux agents de renseignement, «les gens avait peur de Sigué et le nom même de la FIMATS faisait peur».
Il a été aussi entendu le sous-officier Tirs, armement et munitions (TAM) à l’ETIR au moment des faits, Amidou Ouattara. Il est l’un de ceux qui s’occupaient du magasin d’armement à Kamboinsin. Avec lui, la Chambre de jugement a cherché à savoir si Sigué a pris des armes avec eux à l’ETIR. Une inquiétude à laquelle le témoin n’a pas pu donner une réponse. Il affirme qu’il a vu Vincent Sigué à l’ETIR mais il ne peut pas dire qu’il est parti avec des armes car il ne sait pas, ajoutant que Sigué et leur chef de corps avaient de bon rapport.
M. Ouattara fait partie de ceux qui ont aidé à enterrer le chef de corps de l’ETIR, Michel Kouama dont le corps était en putréfaction. Il dit ne pas savoir qui l’a tué mais les rumeurs disaient que c’est «Gaspard Somé» l’auteur de cet acte.
L’audience a été suspendue et elle reprendra avec la poursuite de l’audition de Ambroise Stanislas Amadou Diarra, commissaire divisionnaire à la retraite qui officiait au sein de cette force comme le second de Vincent Sigué au moment des faits.
Par Daouda ZONGO