Accueil Communiqué de presse Protection et défense des droits humains: encore des efforts à faire

Protection et défense des droits humains: encore des efforts à faire

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Le Centre d’information et de formation en matière de droits humains en Afrique (CIFDHA), dans cette déclaration, estime que « malgré ces acquis, force est de constater qu’il existe de nombreuses insuffisances, des développements inquiétants et des défis majeurs pour la promotion, la protection et la défense des droits humains au Burkina Faso, en Afrique et dans le monde ».

Au-delà des proclamations, œuvrons à l’effectivité des droits humains, 70 ans après l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme

Le Centre d’information et de formation en matière de droits humains en Afrique (CIFDHA) s’associe à la communauté nationale et internationale pour célébrer en ce 10 décembre 2018, le 70e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH).

Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, au regard des atrocités et de la barbarie innommables, le monde entendait, à travers l’adoption de la DUDH, traduire sa volonté de ne plus jamais voir se reproduire une telle catastrophe. Soixante-dix ans après, le CIFDHA note des acquis certains en matière de droits humains à travers le monde et au Burkina Faso, mais aussi des insuffisances, des préoccupations et des défis que nous impose le contexte national et international actuel.

Au titre des acquis, le CIFDHA note le renforcement du cadre normatif et institutionnel de protection des droits humains à tous les niveaux. Au niveau international, le renforcement du cadre normatif s’est traduit par l’adoption de nombreux traités, conventions et protocoles ainsi que des instruments non contraignants (déclarations, résolutions) en matière de droits humains ainsi que des mécanismes de surveillance. La création du Conseil des droits de l’homme sur les cendres de la Commission des droits l’homme, la mise en place de la Cour pénale internationale, le travail de surveillance des organes de traités et des procédures spéciales, les actions du Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme ainsi que des agences des Nations unies dans leurs domaines de compétences respectives ont énormément contribué à une relative stabilisation du monde et à la limitation des violations de droits humains.

Au niveau régional, l’adoption de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (1981) ainsi que de nombreux autres instruments (Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, Protocole de Maputo) la mise en place de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples ainsi que de la Cour africaine de justice et des droits de l’homme, de même que le rôle de la Cour de justice de la CEDEAO en matière de droits humains ont contribué à insuffler une culture de droits humains sur le continent et dans l’espace CEDEAO. Enfin au niveau national, la ratification de nombreuses conventions internationales et régionales par le Burkina Faso, l’adoption de nombreux textes législatifs et règlementaires ainsi que la création de nombreuses institutions dont la mission touche directement ou indirectement aux droits humains créent un cadre normatif et institutionnel favorable aux droits humains et protecteur pour toute personne vivant au Burkina Faso.

Malgré ces acquis, force est de constater qu’il existe de nombreuses insuffisances, des développements inquiétants et des défis majeurs pour la promotion, la protection et la défense des droits humains au Burkina Faso, en Afrique et dans le monde. Et comme le dit si bien Pr René Philippe Dégni-Ségui, les droits de l’homme en Afrique sont abondamment proclamés, insuffisamment protégés, constamment violés. Cette affirmation n’a jamais été aussi vraie pour le monde au moment où nous célébrons les 70 ans de la DUDH.

Au nombre des insuffisances et des défis aux niveaux mondial et régional nos préoccupations concernent :

  • La multiplication et la persistance des crises sociopolitiques et de gouvernance, les conflits internes et internationaux violentsavec des conséquences humaines déplorables en termes de morts, de blessés, de déplacés internes et de réfugiés. La situation en Birmanie, au Moyen-Orient particulièrement au Yémen et en Syrie, ou en Afrique notamment au Soudan du sud, en République centrafricaine, en République Démocratique du Congo ou en Lybie est assez indicative à cet égard ;
  • La crise de la gouvernance mondiale et du multilatéralisme préjudiciable aux droits humains : l’unilatéralisme ambiant de ces dernières années impacte la capacité de la communauté internationale à se porter garante de la protection des droits humains. Les grandes puissances semblent plus mues par leurs intérêts de court terme que par la défense des valeurs démocratiques et de protection des droits humains. En témoignent les multiples blocages du Conseil de sécurité où les enjeux géopolitiques prennent le pas sur l’évaluation objective des situations de crise et l’adoption de mesures conservatoires et protectrices des droits humains ;
  • Le développement des idéologies extrémistes, du racisme, de la xénophobie et de l’intolérance dans les pays occidentaux en lien avec la crise migratoire est aux antipodes de la philosophie des droits humains que transpire la DUDH. On assiste par ailleurs à la remise en cause du principe même de l’universalité des droits humains ;
  • La persistance de l’extrême pauvreté, l’accroissement des inégalités entre les Etats et à l’intérieur des Etats: l’affaiblissement des Etats favorisé par les politiques ultralibérales  a nui aux capacités de ceux-ci à œuvrer pour l’effectivité des droits en général, et des droits sociaux, économiques et culturels en particulier. L’égalité en droit et en dignité, l’interdépendance des droits semblent être des principes creux et sans réelle consistance aux yeux de ceux dont la dignité est bafouée et la survie menacée au quotidien par la famine et la maladie dans l’indifférence totale;
  • Le contexte sécuritaire préoccupant dû au terrorisme et à la criminalité organisée: les actions de développement sont reléguées au second plan et les ressources réorientées dans l’effort de guerre contre le terrorisme ;
  • Les menaces à l’encontre des défenseurs des droits humains: par leur engagement, leur travail, leur dévouement, les défenseurs des droits de l’homme qui sont en première ligne dans la défense des valeurs de la DUDH sont menacés et souvent contraints au sacrifice suprême, la mort. En République Démocratique du Congo, en Mauritanie, au Burundi, en Egypte, en Afrique du Sud, en Iran, en Chine, au Maroc, de nombreux défenseurs des droits humains mettent leur vie et leur liberté en jeu dans la défense des droits humains et de la justice sociale.

En ce qui concerne notre pays, le troisième cycle de l’examen périodique universel et les récentes évaluations par les organes de traités à l’occasion desquels nous avons produit des rapports alternatifs établissent un diagnostic qui relève la persistance des pratiques traditionnelles néfastes et préjudiciables aux femmes et aux filles, ainsi que des violences basées sur le genre, le taux encore élevé de la mortalité maternelle et infantile, la crise sécuritaire avec la multiplication des attaques terroristes, l’impunité des crimes de sang, notamment des dossiers les plus emblématiques à celles plus récentes consécutives à l’insurrection populaire, les actes de vindicte populaire et les exactions des groupes d’autodéfense, les conflits communautaires, les conditions exécrables de détention, l’impunité de certaines allégations de corruption et de dissipation des deniers publics, la pauvreté et le renchérissement de la vie, etc.

Au regard de ce tableau peu reluisant des préoccupations et défis aux niveaux international, régional et national, le CIFDHA saisit l’occasion de cette célébration pour lancer un appel aux autorités burkinabè et à la communauté internationale à aller au-delà des proclamations de foi pour investir dans la réalisation effective des droits humains conformément à l’esprit et à la lettre de la DUDH. Nous accueillons avec satisfaction la perspective de l’extradition de M. François COMPAORE pour répondre des faits en lien avec l’affaire Norbert ZONGO après 20 ans d’impunité et de déni de justice.

Dans la dynamique de cette célébration, le CIFDHA entend développer avec ses partenaires une multitude d’activités visant à faire connaitre davantage la DUDH et les droits humains aux populations. Il est ainsi prévu dans le premier trimestre de 2019 :

  • Des activités de communication publique, notamment des émissions radiophoniques et télévisuelles autour de la DUDH ;
  • Une conférence publique sous forme de panel contradictoire autour du thème « DUDH 70 ans après: entre affirmation et remise en cause du principe de l’universalité des droits humains» ;
  • Des conférences publiques dans les établissements secondaires de Ouagadougou et d’autres localités autour du thème : « DUDH et droits de l’enfant face aux contingences socioculturelles et économiques du Burkina Faso» ;
  • Une conférence publique à l’université de Ouagadougou autour du thème « Jeunesse et droits humains » pour évoquer l’engagement et l’intérêt des jeunes pour les droits humains, identifier les obstacles à leur engagement et explorer les stratégies innovantes d’implication des jeunes ;
  • Une table-ronde sur la contribution des acteurs de la justice pour une meilleure garantie des droits humains au Burkina Faso au cours de laquelle les questions suivantes seront débattus : l’application des conventions internationales et régionales de protection des droits humains par les juridictions burkinabè, la lutte contre l’impunité des crimes économiques et de sang, la justiciabilité des droits économiques sociaux et culturels, la répression pénale des actes de terrorisme ;
  • Une table-ronde sur la lutte contre l’insécurité et le terrorisme et les défis en matière de respect des droit humains au cours de laquelle les questions suivantes seront traitées : les exigences de respect des droits humains dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, l’approche basée sur les droits humains dans la réforme du secteur de la sécurité, la stratégie de collaboration entre les forces de défense et de sécurité et la population (dialogue civilo-militaire) dans un contexte de lutte contre le terrorisme.

Nous invitons les populations, et en particulier les jeunes et les acteurs concernés à se mobiliser dans le cadre de ces activités et à en tirer le meilleur profit. Œuvrons ensemble à la construction d’un monde de justice et de paix, d’un Etat de droit, d’une démocratie apaisée et d’une plus grande effectivité des droits humains au Burkina Faso.

Fait à Ouagadougou le 10 Décembre 2018

Maître Stéphane Marie Ibrahim OUEDRAOGO

Avocat à la Cour, Président du CIFDHA