Le 16 septembre 2015, vers 14h des militaires de l’ex-garde présidentielle ont fait irruption dans la salle du Conseil des ministres mettant aux arrêts le président de la transition Michel Kafando, le Premier ministre Isaac Zida, deux autres ministres et deux aides de camps. Le procès de ce dossier du coup d’Etat manqué débuté en février 2018 se poursuit. A l’audience de ce vendredi 20 juillet 2018, trois accusés convoqués à la barre ont chacun donné leur version des faits. Parmi ces inculpés, il y avait Mahamado Bouda, le geôlier des autorités arrêtées. Il est poursuivi pour complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat, meurtre, coups et blessures et dégradation aggravée de biens.
Dès l’entame de son interrogatoire, le sergent-chef Mahamado Bouda 38 ans, marié et père de trois enfants, a nié les faits à lui reprochés. Mais dans son récit devant le tribunal militaire, il est ressorti qu’il est celui-là qui a été désigné par l’adjudant-chef major Eloi Badiel pour garder les prisonniers du coup d’Etat manqué, au Palais (Résidence du président).
«Le 16 septembre 2015, j’étais dans mon chantier quand l’adjudant Jean Florent Nion m’a appelé pour me dire de venir au Palais. Arrivé, il m’a dit d’aller voir le major Badiel, que c’est lui qui m’appelait», a relaté le sergent-chef Bouda.
Selon cet ex-garde présidentiel, l’adjudant-chef major Badiel lui aurait dit de prendre des clés et de préparer un local au sein du palais car ils vont amener des prisonniers. Comme selon ses dires, il revenait de son chantier, qu’il était «très sale» et a dû demander la permission pour aller se changer le major aurait rétorqué au sergent-chef Bouda qu’il n’en n’était «pas question». Cette attitude du major Badiel l’aurait déboussolé. Il se rappelle alors qu’il a mis du temps pour pouvoir retrouver les clés des portes.
«Quelque temps après, il y a eu une voix qui a dit Bouda voilà. Quand je me suis retourné je n’ai pas su qui est celui qui a parlé, mais j’ai vu le président et les autres autorités et j’ai dit président venez». Déclarations de l’accusé Bouda qui a dit avoir installé les autorités dans une salle d’attente.
En ce qui concerne la restauration des autorités, le sergent-chef Bouda a affirmé qu’elles n’ont pas mangé dans la soirée du 16 septembre, le jour où elles ont été mises aux arrêts et que c’est le lendemain 17 septembre qu’elles ont pris quelque chose. Eux aussi (lui Bouda et ses hommes), qui n’avaient pas non plus mangé la veille, en ont profité pour boire du café.
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«Je n’étais pas pour (la mission) mais je ne pouvais pas fuir», a dit le sergent-chef Mahamado Bouda qui a affirmé avoir pris une tenue militaire au palais pour s’en vêtir. Vu la situation, il dit avoir eu peur raison pour laquelle il a «retiré» l’arme «d’un jeune» pour se protéger avec. Il a dit également avoir payé de sa poche du matériel de toilette pour les autorités, afin qu’elles puissent prendre une doucher.
Lors de leur incarcération, les autorités de la transition ont reçu la visite du capitaine Abdoulaye Dao et de l’ambassadeur des Etats Unis à l’époque, Tulinabo Mushingi, selon le sergent-chef Bouda. «Après on a amené le Premier ministre Zida dans un bureau au camp Naba Koom II où il a reçu deux fois la visite du général Gilbert Diendéré», a-t-il poursuivi, notant qu’à la deuxième visite le général Diendéré aurait apporté un téléphone portable à Zida.
En plus de la mission de geôlier, le sergent-chef Mahamado Bouda s’est vu confier, par ses supérieurs hiérarchiques, la mission de retrouver la radio qui émettait lors du putsch. C’est cette mission qui l’a amené sur le terrain à la recherche de technicien de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep). Il a confié que ce sont ses supérieurs qui communiquaient avec le directeur général de l’Arcep et le technicien. Lui, a-t-il dit, son rôle était d’aller les chercher pour qu’ensemble ils retrouvent la radio en question. «Nous nous sommes rendu compte que c’était à la Radio Savane FM. Nous y sommes allé débrancher les matériels et les jeunes les ont emportés pour amener au camp», a déclaré Mahamado Bouda qui a dit avoir empêché ces jeunes de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle (RSP) qui étaient venus avec le sergent-chef Roger Koussoubé, de tirer une roquette sur le local de la radio.
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Le parquet a félicité cet accusé pour son exposé qui «ne s’écarte pas de ce qu’il a dit devant le juge d’instruction». L’audience a été suspendue et son interrogatoire se poursuit demain samedi 21 juillet 2018.
Avant le sergent-chef Mahamado Bouda, étaient à la barre, l’adjudant Michel Birba et le caporal Pascal Moukoro. Aucun des deux n’a reconnu les faits à eux reprochés.
L’adjudant Birba qui était de la sécurité rapprochée du président de la transition, Michel Kafando dit avoir été désarmé devant la salle du Conseil des ministres par les ravisseurs et enfermé pendant quelque temps. Mais il s’est retrouvé, après sa libération, dans la sécurité du général Diendéré. Selon lui il a reçu l’ordre du major Badiel pour assurer la sécurité du général. «Les conditions dans lesquelles j’étais, je ne pouvais pas me soustraire. J’ai essayé mais je n’ai pas pu», a-t-il dit sans autres précision. Il est poursuivi pour complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat, meurtre, coups et blessures volontaires. Tout au long de son interrogatoire, il a affirmé qu’il ne se souvenait plus de certaines choses, mais il a noté qu’il n’a participé à aucune réunion.
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Quant au caporal Pascal Moukoro, poursuivi pour attentat à la sûreté de l’Etat, meurtre et coups et blessures, il a déclaré que c’est après avoir fait le sport et voulant aller laver sa moto au palais qu’on l’a interpellé de venir et d’aller s’asseoir dans une salle où il y avait «beaucoup de militaires qui conversaient, et le plus gradé était le major Badiel». «Comme j’étais en tenue de sport j’ai voulu aller me changer mais ils n’ont pas accepté. Ils m’ont donné une tenue que j’ai portée et m’ont doté d’une arme. Par la suite on m’a montré une faction à surveiller et c’est là que j’ai vu le président et les ministres qui sortaient des véhicules», a raconté le caporal Moukoro, ajoutant qu’après, sous l’ordre de Eloi Badiel, le sergent-chef Ali Sanou lui a dit de le suivre et ils sont allés désarmer les gardes des ministres. «Arrivé le sergent-chef Sanou m’a dit de rester auprès du véhicule et il est parti récupérer les armes».
Le caporal dit avoir su que c’était un coup d’Etat quand il a écouté la radio chez lui, au soir du 16 septembre. «Quand j’ai écouté et on a dit que c’était un coup d’Etat, je me suis dit, là c’est grave. Ce jour-là je n’ai même pas pu manger», a-t-il mentionné à la barre. Il a confié qu’en dehors du domicile du lieutenant-colonel Céleste Coulibaly où il a été au moment du putsch, il n’a pas été sur le terrain et il n’a «jamais fait usage» de l’arme qu’on lui avait donnée. «Je n’ai pas aussi été en contact avec les manifestants», a-t-il indiqué.
Par Daouda ZONGO