Quiconque observe, en ce moment, la scène politique congolaise, ne peut ne pas conclure à l’extravagance, comparable à la cour du roi Pétaud. Autrement dit une pétaudière. Une cour où «tout» est permis. Où n’existe la notion la plus élémentaire d’une certaine noblesse dans le geste politique. Devant un roi sans autorité. Ainsi en est-on arrivé à l’idée même de ce «coup d’Etat», habillé d’un mensonge ridicule, avec pour objectif de chercher à humilier. Et, en retour, à donner au régime en lambeaux un semblant de vie.
Pour autant, au-delà de cette description calamiteuse de la cour de notre roi Pétaud, c’est le rythme avec lequel les scandales murissent, qui commence à plus inquiéter. De fait, depuis le mois de décembre dernier, chaque jour qui passe, ou presque, apporte son lot de nouvelles anxiogènes. Au point de penser qu’on marche sur la tête, en RD Congo. C’est un rythme infernal. A l’exception de la mort de 26 personnes électrocutées, par la chute d’un câble haute tension tombé dans un caniveau traversant un marché, à Kinshasa, le reste est tricoté au niveau du cabinet présidentiel. Ou «affaire» du régime en place.
On se comporte sans complexe, comme si la République était devenue la propriété des uns, qui agissent à leur guise, à côté d’autres, qui doivent subir, désarmés. Pour le besoin d’énumération et d’éclairage de cet article, nous revenons très brièvement sur le cas du prisonnier Vital Kamerhe. Jugé pour détournement et corruption, condamné à 13 ans de prison, l’ancien directeur de cabinet de Félix Tschisekedi est, depuis début décembre 2021, non seulement libre, mais autorisé à fuir, un mois après, par jet privé. Là, le régime est passé maître en dramaturgie. Mais quel choc pour le peuple? A l’international, quel est le regard qu’on pose sur le pays de Lumumba?
Le communiqué explicatif «bégaie»
Le mois de janvier 2022 ne sera pas vierge. Il est entaché par «l’Affaire Kabund», ex-président intérimaire de l’UDPS, parti présidentiel. Une affaire qui, à cause de ses ramifications, tient en haleine l’opinion nationale. La garde présidentielle y est associée, puisqu’elle viole le domicile de l’intéressé. Ce dernier s’en offusque jusqu’à parler «démission», et de la tête du parti, et de l’Assemblée nationale, où il est premier vice-président. La cacophonie est à son comble. A l’examen, la situation était voulue en haut lieu, certes pour se débarrasser de Kabund, mais dans le même temps pour continuer d’alimenter le suspense et la diversion du peuple.
Enfin, l’arrestation, samedi 5 février, de François Beya, conseiller spécial en matière de sécurité du président de la République. Arrestation spectaculaire s’il en est, puisqu’elle se passe chez lui, devant sa famille. L’épisode se referme, avec une forte dose de stupéfaction, en ceci que ce plus proche collaborateur de Tshisekedi, chef de l’Etat, est transféré manu militari à l’ANR, siège des services de sécurité nationale. Dans d’autres latitudes, c’est un personnage important à qui on attribue «officieusement» le titre de vice-président. Motif d’arrestation et de cette humiliation publique: le communiqué explicatif de la présidence de la République, l’unique à cet effet, à ce jour, «bégaie», sur le préparatif par François Beya d’un coup d’Etat. Rien de précis.
Coup d’Etat? Avant toute autre considération, il faut dire qu’il y a dichotomie, par principe. Autrement dit, François Beya, protecteur du chef de l’Etat, s’autocondamne, en s’attaquant à la personne de celui qu’il est appelé à protéger. L’Histoire ne documente pas un seul cas, où un responsable de ce rang se soit rendu coupable d’un tel manquement. Du moins, de la manière dont les choses sont présentées en RD Congo. Par essence, un coup d’Etat est «pensé» et réalisé par un groupe de gens qui dispose de la «force des armes». Leur but étant d’arracher le pouvoir, pour des raisons valables ou non, avec l’intention ou non de le conserver. Nous avons sous les yeux l’exemple des coups d’Etat récents successifs au Mali, en Guinée et au Burkina Faso. C’est clair.
Le chemin vers le règne absolu
A partir de là, penser qu’un civil se réveille un matin – quel que soit son rang – et se mette en tête de comploter pour réaliser un coup d’Etat, est absurde. Si François Beya avait l’intention de ruiner le régime de Tshisekedi, il aurait eu à le faire à un autre niveau. En exploitant son carnet d’adresses. C’est quelqu’un qui avait des entrées dans le domaine de la haute diplomatie. Qui a donc écrit que la «diplomatie est une arme de destruction massive?» L’ancien conseiller spécial pouvait en user. Il en connaissait tous les codes.
Donc, l’arrestation brutale, suivi du limogeage immédiat de François Beya, n’a rien à voir avec un coup d’Etat. Qui a tout d’imaginaire. Il relève simplement du complotisme. Ce dernier, d’ailleurs, émaille toute la gouvernance de Tshisekedi. Selon des sources concordantes, il s’agit d’un vaste plan de «nettoyage» de la cour, mis sur pied depuis longtemps, dans le but d’écarter tout obstacle sur le chemin vers le règne absolu du régime en place. Thèse concoctée par le professeur Mbata et relayée par les médias à la solde de l’UDPS. Or, dans le cabinet présidentiel, seul François Beya était à craindre, dans l’éventualité où il ne souscrirait pas à une telle démarche. Commençait-il à en subodorer quelque chose, en exprimant sa désapprobation? Ou y a-t-il eu quelques questions liées aux conflits d’intérêt, le cabinet présidentiel étant devenu une sorte d’officine pour affaires louches? Rien n’est moins sûr.
Mais toujours est-il que la brutalité avec laquelle on a procédé à l’arrestation de l’ex-conseiller présidentiel laissait pantois. Et poussait à tout imaginer. Même à mettre en évidence l’hypothèse qui plonge dans le mystère du deal entre Kabila et Tshisekedi. Dont François Beya aurait été l’unique témoin. La colonne vertébrale de cet accord serait que Tshisekedi, en 2023, puisse «remettre» le pouvoir à son allié, l’ayant-droit. Résistance de ce dernier, qui se serait alors tourné vers le témoin Beya pour lui demander de commettre la «subornation», c’est-à-dire une «déposition mensongère». Refus de Beya, d’où la source de ses misères.
Des Rachidi partout dans le peuple
Mis bout à bout, ces trois événements, en l’espace légèrement de plus d’un mois, avec tout ce qu’ils peuvent comporter de sous-jacent, donnent assurément le vertige. Mais chacun d’eux aurait un sens spécifique, par rapport à la situation globale: le «balayage de la cour». Pour Kamerhe, c’est fini. C’est le début d’un exil doré, en Occident. Tant mieux s’il l’a compris, puisque Tshisekedi ne lui permettra plus de remettre les pieds au Congo. Quoi qu’il en soit, Kabund sera dans les tourments pour longtemps, alors que sa ruine financière est une chronique annoncée. La seule inconnue, pour le futur proche et lointain, repose sur François Beya. Aura-t-il la force de rebondir? Peu importe, c’est tout simplement partie remise, dont le jeu et les participants pourraient changer, mais au nom de ceux qui s’affrontent aujourd’hui.
Si Max Weber, sociologue et économiste allemand, jugeait, non sans raison, que la «politique est, par essence, conflit entre les nations, entre les partis, entre les individus», il a fait cependant l’impasse sur les conséquences liées aux conflits. Un conflit politique portant sur la mauvaise foi produit rarement le contraire de la haine et de la récrimination. L’Occident «civilisé» n’y échappe pas. En Afrique, les gens s’entretuent par centaines de milliers, comme c’est le cas au Soudan du Sud pour la haine, ouverte, que s’expriment de manière inexpiable les deux leaders du pays, Salva Kiir et Riek Machar.
Qu’on ne s’y méprenne point. Les actes clivants, conduisant aux situations déplorables et autres faits répréhensibles, posés aujourd’hui par le régime de Tshisekedi, auront des répercussions demain. Dans les mois ou les années à venir. A titre d’exemple, l’assassinat de Masusu par M’Zee Kabila (président congolais assassiné, à son tour) a sonné la révolte des «Kadogo» (enfants soldats) dont l’un d’entre eux, Rachidi, a pris la décision de le liquider. Attention au retour de manivelle! Il y a sans doute des Rachidi partout dans le petit peuple, qui peuvent se charger de se venger sur François Beya. Le scénario catastrophe pourrait revêtir une autre forme. On ne sait jamais! A bon entendeur, salut!
Par Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France