L’organisation des élections en cours constitue la fin d’un «cycle», dont la suite présente une inconnue redoutée par tous les observateurs. Et voici que la «machine à voter» refait plus que jamais polémique suite à un reportage de nos confrères de TV5 Monde. Ses véritables fonctions, entre autres, de traiter les bulletins de vote et donc au besoin d’infléchir les résultats au profit du candidat de la coalition au pouvoir, ont été révélées par des agents et membres des bureaux de vote des élections du 30 décembre prochain. Démasqués, les responsables de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) ont essayé en vain de rattraper les choses en avançant que ce que l’opposition traite de «machine à voler» ne sera qu’une imprimante de bulletins et ne transmettra donc pas de résultats, le vote électronique étant officiellement interdit pour ces élections dont le report d’une semaine fait énormément jaser.
En tout cas, une grosse inconnue prenant les airs d’une guerre civile, avec pour conséquence la partition du pays, pourrait bien perturber les fêtes de Noël et de la Saint-Sylvestre en RDC. Cette affirmation découle d’une déduction assez simple, au regard de la réalité politique, délétère, sur le terrain. Fini donc la «guerre froide!» L’heure est à la «guerre de tranchées» entre le pouvoir, irréductible, et le peuple soupirant à une alternative démocratique.
De fait, installé au pouvoir, depuis 21 ans, le clan des Kabila (père et fils) ne lâchera rien. Le groupe s’y étant préparé, depuis belle lurette. Ainsi donc, tout ce qu’il pose comme acte, aujourd’hui, n’est pas un fruit du hasard. Ce sont des gestes pensés, chronométrés dans le temps et millimétrés dans l’espace.
Modification de la Constitution, en 2011, en supprimant les deux tours de la présidentielle; introduction de la «machine à voter», qualifiée par l’opposition de «machine à voler», non sans susciter le scepticisme de la communauté internationale; fichier électoral «corrompu» et, aujourd’hui, incendie du matériel de vote, dix jours avant le scrutin prévu le 23 décembre, reporté finalement pour le 30 de ce mois… font partie d’un plan bien ficelé. Il ne serait pas interdit d’y inclure les bisbilles tribales, à l’ouest, dans lesquelles on compte, déjà, plusieurs centaines de morts.
Pour l’illustration, l’incendie du matériel de vote, à Kinshasa, le 13 décembre en est une preuve. Il s’est produit, trois jours après un succès inattendu de l’opposant Martin Fayulu, à Lubumbashi et Kalemie. Où, par ailleurs, les forces de sécurité ont tiré à balle réelle, faisant au moins cinq morts. Mercredi, 19 décembre, l’opposant, qui électrise les foules, a été bloqué à l’entrée de la ville de Kinshasa, où l’attendaient ses militants. Acte suivi, le même jour, de la suspension de la campagne, à travers la capitale.
Etablir un lien entre l’incendie et le tour de force réalisé par Fayulu n’appelle pas l’interférence d’algorithmes. C’était programmé, tout comme l’a été le report du scrutin. Sans oublier l’instauration de l’Etat d’urgence et l’usage de la force, au cas où… et autres stratégies antidémocratiques, en réserve.
En face de cette forteresse de manigances, se dresse un peuple blessé. Traumatisé par 34 ans de dictature de Mobutu et flagellé par le régime de Kabila, il est, aujourd’hui, à bout de souffle. Il promet de ne rien lâcher. Prêt à en découdre.
Nous en sommes à ce branle-bas de combat, en attendant la date fatidique du 30 décembre. Reniflant le piège tendu par le pouvoir, à travers ce report, comme il en était question, à propos de l’incendie du matériel de vote, les deux principaux partis d’opposition n’ont pas appelé leurs militants à réagir. De peur que ne leur soit attribué, «à raison», le fait du désordre, et ses conséquences. Lesquelles ne seraient autre chose qu’un «report définitif» du processus.
A tout prendre, ce n’est là qu’un sursis de quelques jours, alors que le génie est déjà sorti de la bouteille. Car, élections ou pas élections, victoire de l’opposition ou celle du pouvoir, à travers le dauphin de Kabila, le chemin se termine inévitablement par un cul de sac sanglant.
Le médecin gynécologue congolais, corécipiendaire du prix Nobel de la paix 2018 et pasteur, Denis Mukwege l’a dit en parabole.
Par Jean-Jules Lema Landu, journaliste congolais, réfugié en France