La situation en République démocratique du Congo est, dans cet écrit, analysée par Jean-Jules Lema Landu, journaliste congolais, réfugié en France. Pour lui, « les élections n’auront pas lieu. Et, si, par extraordinaire, elles ont lieu, elles ne porteront pas une solution attendue, mais plutôt un « problème plus corsé ».
Jules César l’avait fait, en lançant son fameux « Alea jacta est », c’est-à-dire les « dés sont jetés ». Ou la « ligne rouge est franchie ». Il l’a fait contre son rival au pouvoir, Pompée. Kabila l’a fait à sa manière, jeudi 19 juillet, devant les deux chambres du Parlement réunies, à Kinshasa. Contre son rival, le peuple. Mais en usant d’une telle sournoiserie que son « intention de continuer à usurper le pouvoir » ne pouvait être lue qu’entre les lignes. Quoi qu’il en soit, il n’a pas moins franchi le Rubicon.
Qu’on y revienne, brièvement, pour essayer de débrouiller l’écheveau. Et y voir un peu plus clair. Propulsé au sommet de l’Etat, à la mort de son père Laurent Kabila, assassiné en 2001, le fils n’y comprend rien. Il tombe des nues, lui qui n’a aucun autre bout d’éducation que le maniement de la kalachnikov. Mais, en Afrique, on retient en référence – comme une bonne justification – l’exemple biblique de David qui, de petit berger, est devenu un grand roi historique.
Agé juste de 30 ans, le jeune homme Kabila y ajoute-t-il foi. Et se met à apprendre comment devenir, plutôt, un « prince machiavélique ». Et non un David, l’élu du Ciel. Sur la base, essentiellement, de cette leçon de Nicolas Machiavel : « Il y a plus de sécurité à être craint qu’à être aimé, si l’on doit renoncer à l’un des deux ». Et, comme tous les dictateurs africains (Sékou Touré, le Guinéen, Mengistu, l’Ethiopien, Mobutu, le Congolais, Idi Amin, l’Ougandais…). Il se complaît donc à tuer, sans état d’âme, ainsi qu’à siphonner les deniers publics afin de jouir de la toute-puissance de l’argent. Il fait effectivement peur au peuple autant qu’il assujettit son entourage. Des personnes bien instruites, réduites en valet, obéissant au doigt et à l’œil du maître. Le monde à l’envers !
Des évêques tournés en bourrique
Comme tous les dictateurs, il contracte, inconsciemment, la schizophrénie. En dehors des limites du « monde normal », il se crée un monde propre à lui, où la première réalité repose sur la confusion entre le droit positif (lois, coutumes, usages, etc.) et le droit naturel (le droit du plus fort ou la loi de la jungle, l’ordre établi par Dieu, etc.) Ainsi se croit-il revêtu des droits divins. De ce fait, il se dit, un jour : « La RD Congo c’est moi, et moi seul suis en capacité de la diriger…). D’où la conception de tous les tripatouillages et leur stricte application : amendement rétrograde de la Constitution (présidentielle à tour unique), mensonges éhontés, accompagnés de toutes sortes de tricheries, etc. Dans l‘unique dessein de se maintenir au pouvoir.
Il y va de l’ADN de tous les dictateurs. Les mensonges répétés constituent leur arme de prédilection, selon le principe de Joseph Goebbels, ministre de propagande d’Hitler, qui affirmait : « Un mensonge répété mille fois se transforme en vérité ». Partant, Kabila a réussi, par le mensonge, à mener tout le monde en bateau. Même les évêques de l’Eglise Catholique. Tournés en bourrique ! Et derrière eux, le pape François en personne. En témoignent tous les deals conclus pour une transition politique paisible, notamment le fameux Accord de la Saint-Sylvestre, signé le 31 décembre 2016, au soir. Sous l’égide de l’Eglise de Rome.
Que restait-il de ce dernier accord (sans compter élections truquées ; signatures, promesses et engagements non tenus) ? Un accord qui avait mobilisé toutes les ressources intellectuelles et spirituelles (à travers prières et jeûnes) des évêques, en vue de prendre le meilleur sur tous les arguments insidieux du camp présidentiel. Ce fut, en quelque sorte, « le Combat entre le Bien et le Mal ». Meurtris pendant plus d’un demi-siècle, et estimant qu’ils en étaient ainsi au bout du tunnel, les Congolais l’ont même appris par cœur. Espoirs douchés !
Commençons à compter à rebours
Car, depuis, aucun des points essentiels de son ossature n’a été effleurés. Annoncée avec roulement de tambour, l’adresse « présidentielle », du 19 juillet, à travers laquelle le peuple attendait un mot là-dessus, a été un joli coup d’enfumage. A quinze jours (du 25 juillet au 8 août prochain), période dédiée au dépôt des candidatures aux prochaines élections, le 23 décembre prochain, personne ne sait si le « président hors mandat » sera sur la ligne de départ. En dépit de la Constitution qui lui interdit l’exercice d’un troisième mandat. L’assainissement du climat politique, passant par la libération des prisonniers politiques, ainsi que par le retour au pays des exilés… ont été passés à la trappe. Avec soin.
En tout et pour tout, on se retrouve, aujourd’hui, à la case départ. Qui a pour nom « usine à gaz ». La dernière tuyauterie de celle-ci a été posée, jeudi 19 juillet, dans laquelle circule plutôt le sang bouillant du peuple. A bout de patience. Le sang de la révolte. Scène déjà démontrée à travers les marches des chrétiens réprimées dans le sang. « Sang des martyrs qui ne sèche point sans vengeance ». Le régime dictatorial de Mobutu l’a expérimenté. Sonnant le glas de sa propre existence, à travers le massacre d’étudiants, au campus de Lubumbashi (sud-est), en mai 1990.
Tous les signes, dans ce parallélisme, sont réunis. Bien visibles. Commençons donc à compter à rebours. Et à conclure avec Paul Valery dans cette réflexion interrogative : « L’expérience du passé sert-elle à vivre le présent et à construire l’avenir ? ». En franchissant le Rubicon contre le peuple, Kabila et ses affidés ont répondu, malheureusement, par la négative. Ouvrant la porte à toutes les contingences. Dans les circonstances présentes, on est en droit de penser que les élections n’auront pas lieu. Et, si, par extraordinaire, elles ont lieu, elles ne porteront pas une solution attendue, mais plutôt un « problème plus corsé ». Redouté.