Accueil Editorial RD Congo: la «dépouille mortuaire-épouvantail»

RD Congo: la «dépouille mortuaire-épouvantail»

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La dépouille de Etienne Tshisekedi (Ph. RFI)

Le faux départ d’hier consommé, le sphinx de Limete est bel et bien revenu en terre congolaise. Certes les pieds devant, mais revenu dans la liesse d’une foule qui a chanté les mérites d’un grand homme qui a disparu à un moment difficile de l’histoire de son pays. Etienne Tshisekedi dont le cadavre a séjourné deux ans durant dans un funérarium belge, garde donc son aura intacte. Même si malheureusement, il aura à se retourner plusieurs fois dans sa tombe, lui le rassembleur, dont plusieurs personnes pourraient être interdites d’assister aux funérailles nationales prévues pour se tenir sur trois jours. Date historique pour les Congolais, qui, à l’instar des Africains sont très attachés à leurs morts, ce jeudi ne sera certainement pas comme les autres, l’ancien opposant historique pouvant enfin revenir sur la terre de ses ancêtres pour y être inhumé. Et avec les honneurs dus à son rang. Car si lui n’a pu s’asseoir dans le fauteuil présidentiel dont il s’est toujours approcher sans jamais l’atteindre, son fils lui y est installé et avait fait du retour de sa dépouille, un point important de son programme électoral.

«Charogne de serpent fait toujours peur», dit un adage bantou. Si Etienne Tshisekedi, cet homme de conviction, a fait peur à ses adversaires politiques, de son vivant, fait extraordinaire, même sa dépouille continue de faire peur, deux ans après sa mort. Non seulement à la «kabilie», mais autant  au camp de son propre fils, Félix, l’actuel chef de l’Etat de la République démocratique Congo.

La démonstration de cette thèse n’appelle pas forcément une longue rhétorique, rompue aux règles de la dialectique. Elle est simple.

Le premier élément est lié à sa mort, à Bruxelles, le 1er février 2017. On attendait beaucoup de lui pour le dénouement du dialogue politique, parrainé par l’Eglise catholique. Raison pour laquelle on ne s’était pas attristé de ce décès dans le camp de Kabila. Dans une guerre, la mort du principal chef militaire induisant souvent la débandade de ses troupes. Première force de l’opposition (à l’époque) au régime dictatorial de Kabila, celui-ci s’est mis à cœur joie à le détricoter, jusqu’à «apprivoiser» Félix Tshisekedi. L’UDPS est aujourd’hui en lambeaux. L’attitude des militants déboussolés, dans lesquels réside encore l’âme du parti, en dit long.

Ironie de l’Histoire

Cette paralysie de toute l’opposition, qui traduit la victoire du satrape, après ce qu’il est convenu d’appeler l’«Accord de la St-Sylvestre», est la raison pour laquelle le corps d’Etienne Tshisekedi est «resté orphelin» pendant deux ans à la morgue à Bruxelles. La «kabilie» en avait effroyablement peur. Dans son fantasme de voir des millions des Congolais sortir, à Kinshasa, pour honorer la dépouille, et transformer vite la circonstance en révolte populaire, le pouvoir déchu s’est chaque fois arrangé pour repousser le rapatriement du corps aux calendes grecques.

Ironie de l’histoire, depuis janvier, c’est son fils qui est devenu président de la République. Les Congolais se sont mis illico à espérer, car pour la plupart d’entre eux, feu Tshisekedi était un véritable combattant de la démocratie, un «bwana mukubwa» (un grand, en kiswahili), après Lumumba. Son corps devait vite être rapatrié vers sol qui l’a vu naître, et y être enterré avec des honneurs dus au rang des «Grands». En France, il aurait été conduit, sans nuance, au Panthéon.

Qu’a-t-il fait, Félix, à ce propos? Rien d’ordonné. Les premiers signes partent d’un document confectionné et signé par son chef de cabinet, Vital Kamehre. Un document vague, qui évoque surtout des chiffres, gastronomiques, sur la dépense liée à l’enterrement. Or, la stature du défunt devait appeler, pour ce faire, la décision du Parlement congolais. Un acte qui devait être gravé dans les annales de la République. Y avait-il une autre raison, pour cette précipitation, que celle fondée sur la recherche des «effets de la communication»?

L’actuel chef de l’Etat et son «emblématique» chef de cabinet ont, en quatre mois de gouvernance, commis davantage d’erreurs du genre: «M’as-tu vu». Pour des actes sans importance, au regard des défis à relever que pose le pays. Que penser, par exemple, de l’image médiatisée de Félix Tshisekedi inaugurant la construction d’un pont vicinal, sinon associer celle-ci à un chef d’Etat protocolaire, assigné uniquement à « inaugurer les chrysanthèmes?»

Tout peut arriver

Cette parenthèse fermée, revenons à la dépouille mortuaire qui fait peur à tout le monde. Hier, à la «kabilie», et aujourd’hui, au camp de Félix.  Que s’était-il passé, à Bruxelles, mardi 28, à propos de l’avion? L’imbroglio est total. On parle de plusieurs choses, à la fois: c’est un gros appareil qui devait transporter plus de cent personnes; la facture du propriétaire de cet avion n’aurait pas été honorée; finalement, c’est un avion plus petit, dont on ne connait pas le propriétaire, qui a solutionné la question. Certaines informations citent le Togo ou le Gabon comme pays amis bienfaiteurs. L’avion a décollé de Bruxelles, jeudi à 11 h 25. Pour atterrir à Kinshasa au début de la nuit. Interrogés, au sujet du retard, les responsables politiques belges déclinent toute responsabilité.

Un véritable nœud gordien! Y avait-il intention, pour les autorités en place à Kinshasa, que certaines étapes du programme tracé constituant la haie d’honneur soient «brûlées», puisqu’elles étaient potentiellement périlleuses? Imaginez une foule de centaines de milliers de gens, agglutinés sous le soleil équatorial, criant et courant tout autour du cortège funèbre! Tout dans pareil cas peut arriver. Une déferlante emportant tout sur son passage: la «kabilie» et tous ses alliés, c’est-à-dire Félix Tshisekedi, Kamerhe et consorts. Une «dépouille mortuaire-épouvantail»!

Mais, heureusement, tout est bien qui finit bien, dit-on. En attendant.

Par Jean-Jules Lema Landu, journaliste congolais, réfugié en France