Faut-il encore en dire autant sur la «flânerie politique» du régime en place? Tout au long de son chemin rocailleux, depuis qu’il a pris les rênes du pays, début 2019, on a assisté plus à des scènes de théâtre qu’aux actes d’Etat. De fait, on ne l’a vu à l’œuvre qu’à travers les mensonges infantiles ou l’incurie pavée d’incompétence notoire. Les nominations récentes de Vital Kamerhe et Jean-Pierre Bemba à la tête des ministères régaliens entre dans ce registre. Le premier comme vice-Premier ministre, ministre de l’Economie; le second comme vice-Premier ministre, ministre de la Défense.
C’est la dernière erreur, fatale, que Félix Tshisekedi aurait pu éviter, avant de sombrer autrement. Erreur qu’il vient de commettre à son désavantage exclusif. Car, les véritables bénéficiaires de celle-ci sont, à court terme, Kamerhe et Bemba. En croyant les «neutraliser», à travers ces nominations flamboyantes, pour éviter que ces deux concurrents de taille ne dérangent sa route à la présidentielle, il s’est plutôt tiré une balle dans le pied.
En fait, Bemba et Kamerhe – surtout ce dernier -, ne peuvent jamais être alliés électoraux pour le bénéfice de Tshisekedi. Et ce, pour des raisons que voici: au premier abord, pour Kamerhe, à qui il a fait subir une humiliation publique, en le lâchant dans «l’Affaire de 100 jours». Kamerhe, son directeur de cabinet brillant, est allé jusqu’à côtoyer l’opprobre indélébile de prison. Pour «vol», qu’il aurait commis – selon un faisceau de présomptions -, avec la complicité ou, alors, le regard bienveillant de son chef direct. Qui n’est autre que Tshisekedi, chef de l’Etat. On finira un jour par connaître la vérité. Qui plus est, les deux personnes ont en mains «l’Accord de Nairobi», conclu au Kenya. Aux termes de celui-ci, c’est à Kamerhe qu’il appartient, pour le moment, de briguer la présidentielle, Tshisekedi devant lui apporter tout son soutien. Si Tshisekedi l’a oublié, son «allié» ne l’a pas perdu de vue. On connait les ambitions obsessionnelles de ce dernier, visant à se régaler des ors de la présidence de la République.
Maintenant, le peuple «sait»
Les deux hommes sont donc en situation de conflit profonde, plutôt qu’alliés. Cela étant, il est clair que Kamerhe ne peut faire pour Tshisekedi autre chose qu’un travail de sape, silencieux, ou, alors, se lever un jour par une action d’éclat, désavouant publiquement Tshisekedi. En fin de cycle d’un régime, tous les coups sont permis.
Quant à Bemba, le registre s’exprime en termes «d’obstruction». Ancien chef rebelle, condamné par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, il a été acquitté, en 2018, faute de preuves qualifiées de «responsabilité hiérarchique»; restait toutefois une affaire pendante, relative à la «subornation de témoins», que le camp de Tshisekedi a exploité sans convaincre, mais ayant fermé la porte à Bemba de concourir à la présidentielle, au cours de la même année.
Là, également, Tshisekedi et Bemba sont en situation de conflit latente. Tshisekedi l’a-t-il oublié? Pour Bemba, ce n’est certainement pas le cas. La présidence de la République est le paradis auquel tous les politiciens africains rêvent avec une hantise infernale. Et quiconque crée d’embûches à un aspirant en course – ils vivent dans l’extravagance, tous ces gens-là -, l’inimitié est éternelle.
Enfin, il y a le peuple. Cet observateur silencieux, qui intègre avec douleur toutes ces réalités, écrasé par la misère. Il a suivi le procès de Kamerhe et sa fin, en simple acquittement, un des plus rocambolesques au monde. Mais, qu’on ne se fasse pas d’illusions: maintenant, le peule sait. «Sapere aude». Autrement dit, «aie le courage de te servir de ton propre entendement.» Telle est la devise des Lumières, XVIIIe siècle, que tous les peuples, à un moment de leur histoire, s’en sont appropriée. Par exemple, la France en a fait l’expérience, tout comme la Chine ou Cuba…
Jusqu’à l’absurde kafkaïenne
Aujourd’hui, le peuple congolais se trouve placé à ce tournant-là des Lumières. Il sait. Il sait que parmi ses dirigeants, trop peu sont ceux qui pensent à son sort et, au-delà, au devenir du pays. S’il est vrai que cette situation ne date pas d’hier, il convient de signaler que c’est sous le règne de Tshisekedi que l’on approche le bord de l’abîme : des détournements en cascade, en termes de centaines de millions, sans procès. Et quand il y en a un, il a tout d’une mascarade. A L’instar de celui fait contre Kamerhe, dont la libération a laissé le peuple pantois. Aujourd’hui, Kamerhe est dans la nature, pour les besoins de la cause électorale au profit de Tshisekedi. Il est même ministre. Le peuple sait également que Bemba est un ancien seigneur de guerre, sait également que Bemba est un ancien seigneur de guerre. Sans foi ni loi. Autant dangereux que Kamerhe.
L’ensemble du déroulé de ces épisodes donne la portée de l’erreur de Tshisekedi. Il ne pourra jamais gagner les élections, par le truchement de ces deux personnes. Au contraire, elles constituent, pour le peuple, un état d’aversion concentrée: la situation de l’économie du pays étant confiée à Kamerhe, et la défense nationale, à Bemba, un ami indéfectible du président ougandais, Museveni, est une véritable catastrophe. Ce dernier, comme le président rwandais Paul Kagamé, étant classé parmi les ennemis de la RD Congo. Tout cela, le peuple le sait pertinemment bien. En attendant son heure de victoire.
Tshisekedi s’en était-il aperçu ou, dans son fantasme, s’était-il embrouillé, jusqu’à l’absurde kafkaïenne? Kamerhe et Bemba ne sont pas ses alliés, mais plutôt des ennemis jurés. Ils vont le piéger, si cela n’est déjà chose faite, pour les avoir vu accepter de bonne grâce ces postes ministériels, aux dépens de leurs ambitions présidentielles. Ils ne sont pas si bourriques que le pense Tshisekedi.
De toute façon, les élections, c’est dans une poignée de neuf mois, période qui permettra sans doute de jauger la pertinence de cette hypothèse: «Erreur grave, fatale, ou ‘erreur matérielle’, excusable… somme toute, vitale». Voire!
Par Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France