«Lutte des places»! L’expression rime avec «lutte des classes», théorie marxiste-léniniste. Celle-ci a eu, en son temps, ses lettres de noblesse. De nos jours, on y fait encore référence, malgré son anachronisme apparent. Tandis que la «lutte des places», qui caractérise la marche de la politique congolaise est un concept banal. Un cocktail d’ego, de mensonges, de trahisons, de détournements, et tutti quanti. Avec pour résultat final: échec à dose létale.
C’est cela le sens exclusif à donner à l’expression «faire de la politique», en République démocratique du Congo (RDC). Autrement dit, c’est se servir (détourner de l’argent à outrance) et non œuvrer pour servir le pays. Il y va de toute une évolution, qui a traversé des décennies. Sortis des ghettos de misérabilité, en 1960, où le colonisé ne pouvait vivre qu’avec la «portion congrue», les premiers politiciens se sont vite enrichis, grâce à des fonctions politiques. A ce titre, ministres et députés, en général, ont tenu le haut du pavé: véhicules pimpants neufs, achats ou constructions de belles maisons, vie de pacha… L’esprit était né. D’année en année, les régimes qui se sont succédé, l’ont grassement nourri. Jusqu’à en faire un véritable «veau d’or», un dieu, plutôt Hermès (le dieu des voleurs chez les Grecs anciens). Un Hermès congolais, qui aiguillonne les autorités à accaparer toutes les richesses de leur pays. De Mobutu à Joseph Kabila, en passant par Laurent Kabila, le père de l’autre, tout y est passé. Les observateurs pointent plusieurs centaines de milliards de dollars, sur lesquels les politiciens ont fait main basse.
Kabila fils, parti du pouvoir fin 2018, est le top du top dans les palmarès de cette tricherie, avec une fortune estimée à plusieurs dizaines de milliards de dollars (Enquête Haaretz, citée par l’Observateur du Maroc et d’Afrique).
Réserves nationales siphonnées
Aujourd’hui encore, Hermès est toujours debout. Le régime de Félix Tshisekedi, pris d’admiration pour la richesse illicite, s’est employé à agrandir son temple, puisque la gabegie est au zénith. En deux ans d’exercice, le mal a atteint des proportions inégalées. Pour l’illustrer, en dehors de toute autre considération, deux rapports officiels viennent de rendre compte de deux réalités désarmantes:
Le premier montre que le cabinet présidentiel a gaspillé, avant terme, près de 98 % du budget annuel 2019, alloué à l’institution président de la République. Exprimés en chiffres, c’est près de 132 milliards de francs congolais (75 millions de dollars), dépensés en six mois, sur un total de de 134 milliards. Hallucinant! Aucun régime précédent n’a franchi ce cap!
Le second établit que la situation de la Banque centrale du Congo, elle aussi, n’est pas du tout reluisante. Il y a épinglé, principalement, des «réserves nationales» siphonnées, ne gardant que près de six cents millions de dollars résiduels. De quoi ne pas couvrir la garantie d’une banque commerciale privée d’envergure moyenne. C’est la première fois que cette institution financière a été «fouinée» … selon l’expression à la mode, en RD Congo.
Rien d’étonnant. En effet, de 1960 à ce jour, le constat reste constant: les Congolais ne se battent pas pour «faire de la politique» dans le sens classique du mot, c’est-à-dire œuvrer pour le progrès du pays et le bonheur du peuple. S’ils se bousculent devant le portillon de la reine-politique, c’est en vue «d’occuper des places», donnant accès au pillage pour soi: détournement, concussion, corruption…
Au Congo, les exemples parlent d’eux-mêmes. Hier, le camp de Kabila faisait le plein, parce qu’il était «pourvoyeur de places» flamboyantes, mais surtout des places pavées d’or. Avec les conséquences que l’on sait, parmi lesquelles l’avilissement de professeurs. Ceux-là mêmes qui sont appelés à enseigner à leurs étudiants à l’université «sapere aude», c’est-à-dire, «aie le courage de te servir de ton propre entendement». Autrement dit, «sois libre, quitte la minorité, sans la direction d’autrui, pour devenir majeur». C’est là une des belles thèses de la philosophie des Lumières (XVIIIè s.). Ce sont les mêmes professeurs, ces savants congolais, qui se sont allègrement mis à exécuter les sales besognes d’un dictateur, vingt ans durant. A saluer le «raïs» avec obséquiosité, échine courbée jusqu’à terre! Pénible image de l’Histoire à l’envers!
«Ote-toi de mon soleil»
«Lutte des places»! La voici déjà autour de la zone de turbulences politiques que le Congo ait jamais connues. Une histoire inédite sur la coalition entre deux plates formes politiques – le FCC (le Front commun pour le Congo) de l’ex-président Kabila et CACH (Cap pour le changement) de son successeur Tshisekedi -, sur fond de complotisme électoral. Le 5 décembre le président de la République a décidé le divorce de ce mariage contre-nature. Du coup, les assises du pouvoir de Kinshasa vacillent. «Union sacrée pour la nation», nouvelle plateforme politique fondée par Thisekedi, semble avoir le vent en poupe. Entraînant la chute du bureau de l’Assemblée nationale, ouvrant, de ce fait, une fenêtre sur des nouvelles perspectives dorées, non sans créer une véritable «transhumance» des adeptes de Kabila vers Tshisekedi.
Le spectacle est à la fois ahurissant et pitoyable. Comment députés, professeurs et autres personnalités, peuvent-ils se rabaisser à ce niveau? Or, la guerre entre les protagonistes ne fait que commencer. Personne ne connaît jusqu’où va aller ce bras de fer, et quelle en serait l’issue. Tout peut arriver: la victoire de Tshisekedi, et, par conséquent, l’échec de Kabila. Militaire, n’acceptant pas de perdre la face, celui-ci serait en mesure de faire un coup d’Etat, pour tout embrouiller… et sauver les meubles, pour ce qui le concerne personnellement.
A cette question d’éventualité, un député a répondu sans sourciller: «Si Tshisekedi perd la partie, nous rejoindrons le camp de Kabila». Sous-entendu, «nous, c’est l’argent qui nous intéresse».
En concluant ainsi cet article, on a pensé à Diogène, appartenant à l’école des cyniques, pour qui les seules valeurs étaient l’argent, la bienséance, l’honneur et les privilèges. Il en proposa l’inverse… jusqu’à l’absurde, en vivant presque comme un chien. Le piment dans cette histoire se trouve dans l’épisode, où, l’empereur Alexandre le Grand prend l’initiative de le voir et lui dit: «Demande-moi ce que tu veux, et tu l’auras». Le philosophe répond alors: «Ote-toi de mon soleil». Quelle conception de la vie, à l’écart de l’opulence? Qui verse souvent au vol?
Honte pour les députés et nos savants professeurs.
Par Jean-Jules Lema Landu, journaliste congolais, réfugié en France