Le président Félix Tshisekedi a prêté serment samedi, 20 janvier, pour un second mandat de cinq ans. A l’élection présidentielle de décembre 2023, il a raflé la mise avec un «score stalinien», qui laisse tout de même perplexe: 73,4 % des suffrages exprimés. Pour autant, faut-il considérer que l’affaire est définitivement dans le sac? Voire!
En attendant, la circonstance d’investiture, haute en couleur, a été honorée par une vingtaine de chefs d’Etat africains, ainsi que par des délégations de plusieurs dizaines d’autres pays.
D’aucuns, de ce fait, y ont vu une sorte d’onction internationale accordée à «Fashti». Nombre de ses inconditionnels, fascinés par ce tape-à-l’œil, jurent que ce pouvoir est un «don divin, qui risque d’être pérenne».
Or, par anticipation, l’Eglise Catholique avait déjà eu à contester cette perception des choses. En effet, dès les premiers jours de la consultation, le cardinal Fridolin Ambongo, archevêque de la ville de Kinshasa, a, très tôt, qualifié ces élections de «gigantesque désordre organisé». Dans ce cas, pérennité rimerait-elle avec désordre?
Tricherie à ciel ouvert
A tout prendre, ces élections sont à nulles autres pareilles, de par leur dimension d’exploitation de la fraude. Une tricherie à ciel ouvert. L’image l’a montré et démontré. On a vu sur les réseaux sociaux (avec ce qu’ils ont de bon et de mauvais), machines à voter, bulletins de vote ou kits électoraux se retrouvant dans la nature, détenus par des personnes non habilitées. Et à qui mieux mieux.
De cet imbroglio, après tout, est sorti un gagnant: Félix Tshisekedi. Ainsi donc, la roue de l’Histoire, qui s’est immobilisée le temps des votes, s’est remise à tourner. Mais, à mal tourner: dans la boue. Créant par la suite la peur du lendemain.
S’agissant de la boue, l’image renvoie aux contestations véhémentes, de la part de tous ceux dont les voix ont été «volées», au niveau des législatives. Ils sont nombreux ceux-là qui ont gagné, preuves matérielles à l’appui, mais curieusement remplacés par d’autres personnes. Ils crient haut et fort «à la fraude». Et «au clientélisme, sinon au tribalisme».
Ce mélodrame se joue au sein même de l’Union sacrée, le propre camp de la majorité présidentielle.
Il y a, aussi, dans cette optique, les vingt-cinq autres concourants «malheureux» à la présidentielle, membres de l’opposition. Qui, pour le moment, n’ont que leurs yeux pour pleurer. En fait, le désordre électoral les a tous humiliés en ne leur accordant que de «miettes». Dr Denis Mukwege, Nobel de la paix, par exemple, n’a récolté que 1% des suffrages. Alors que Moïse Katumbi et Martin Fayulu, ces deux poids lourds de l’opposition, n’ont affiché respectivement que 18 % et 5 % des votes.
Le peuple n’est pas en reste. La plupart des Congolais estiment que le départ de la démocratie a, encore une fois, loupé le coche.
A l’école du doute
Ce tableau ne décrit en rien une situation post-électorale reluisante. En gros traits, on y lit le doute. Or, à l’école du doute, on aboutit ipso facto à deux résultats différents: la vérité ou le mensonge. Dans le cas d’espèce, il s’agit plutôt d’un mensonge de nature à générer la peur.
De fait, il faut s’attendre à une réaction en chaîne de tous ceux, et à tous les niveaux, ont le sentiment d’avoir été floués. Il pourrait naître, au sein même de la majorité présidentielle, des ruptures d’alliances. Au mieux. Et à des naissances de frondes, à grande échelle, suscitées par les opposants déçus. Au pire. Il en a toujours été ainsi en Afrique.
C’est donc de la peur, à l’horizon. Peur, à deux paliers différents. Au premier degré, les populations éprouvées par les situations de guerres, depuis 1960, date de l’indépendance. Elles ont peur que cette cacophonie politique, de haute intensité s’il en est, n’aboutisse à un drame national.
Enfin, le pouvoir lui-même n’est pas dans son assiette: il a peur des réactions à venir, pour avoir menti, triché. A ciel ouvert. Or, on ne peut conduire un peuple dans les mensonges. Démosthène, penseur grec du IVe siècle avant l’ère commune, l’avait déjà prévu: «Il n’est rien qui ne vous fasse plus grand tort qu’un homme qui ment. Car, ajoute-t-il, ceux dont la constitution réside dans les paroles, comment peuvent-ils, si les paroles sont mensongères, conduire une politique en toute sûreté?»
Instauration du pouvoir par la force
En termes homogènes, un menteur ne peut, en aucun cas, conduire dignement les autres. D’ailleurs, chez les Bantous, on a coutume d’associer un menteur à un sorcier.
Le président Tshisekedi échappera-t-il à cette logique, alors que ce deuxième mandat est le fruit des mensonges? Rien n’est moins sûr. Même s’il arrive que l’on pense que l’air du temps est conforme à l’ère du mensonge. Mais, puisque son pouvoir est un pouvoir par défi, il va devoir user de la force, à outrance, pour régner.
Comprenne qui pourra.
Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France