Le mois d’octobre vient de se terminer, marqué par un grand désordre politique. Charriant plusieurs affaires dont quelques-unes revêtent un caractère obscur, au point de désorienter nombre d’observateurs. Problème : elles donnent, globalement, l’impression d’être épars, sans liens apparents les unes avec les autres. Alors qu’à l’analyse, elles semblent être plus ou moins liées.
Le 10 du mois, un avion Tupolev 72 assurant le transport de la logistique présidentielle est tombé, conduisant à une série d’hypothèses : accident, sabotage au sol ou destruction, en l’air, par une arme quelconque destinée à ce genre de mission ? En attendant le résultant d’une enquête initiée à ce propos, le mystère demeure entier.
Le lendemain, les militants de l’UDPS, parti du président Tshisekedi, ont violemment manifesté, allant, encore une fois, jusqu’à réclamer la fin de la coalition entre le FCC et le CASH, plates-formes de Kabila et de Tshisekedi. Ils ont vu dans cet événement la main scélérate de Kabila.
Si la thèse de sabotage ou de destruction de l’appareil se confirmait ou non, cette sortie de la base de l’UDPS ne serait-elle pas de nature à placer Tshisekedi au pied du mur, à travers sa propre logique ? Celle-ci, pour justifier son renoncement à l’accord de Genève, au sein de LAMUKA, consistait à évoquer les « exigences de sa base ».
Or, aujourd’hui, c’est cette même base qui lui a demandé de rompre le deal avec Kabila. Que va-t-il faire, le président de la République, ainsi mis à l’épreuve de sa propre logique ? Attention ! Les censeurs sont à l’affût…
Un effet « concentré »
Trois jours après cette affaire d’avion « tombé », le 13 du mois, survient la question de document « fuité ». Il s’agit d’un document militaire, top secret, provenant de l’état-major général de l’armée congolaise. Celui-ci porte sur une organisation d’un « état-major intégré » des armées congolaise, rwandaise, burundaise… et même tanzanienne. Le but de cette opération : en finir une fois pour toutes avec les groupes armés qui se sont incrustés à l’est de la RD Congo.
D’aucuns pensent que ce document aurait été jeté en pâture à la place publique pour nuire à Tshisekedi. Pour la bonne et simple raison que le chef de l’Etat s’est autorisé cette initiative sans avoir l’aval du Parlement. Ils rappellent l’épisode de la rupture brutale entre Kabila et Kamerhe, du temps où ce dernier dirigeait l’Assemblée nationale (2006-2009). Après avoir protesté véhémentement contre l’entrée des troupes rwandaise au pays, sans l’avis de l’Assemblée, ce dernier s’en était allé. En prenant congé et de l’Institution, et de Kabila, son mentor politique.
Il est difficile d’établir un lien plausible entre les deux faits (avion tombé et document fuité !). Ils sont séparés, selon toute vraisemblance, par mille lieues. Mais certains observateurs, à cause de leur proximité, y décèlent une corrélation dite de « par cause commune ». C’est la deuxième version de la corrélation dite « de cause à effet ».
Explication. Si, l’avion a été saboté ou détruit en l’air, par une arme tirée du sol, et si le document militaire secret, parvenu entre les mains du public, sont l’œuvre d’une même et unique source, l’hypothèse de « par cause commune » sera vérifiée. Dans ce cas, l’auteur aura visiblement cherché un effet « concentré », qui puisse mobiliser au maximum l’attention de l’opinion. A la manière des actions terroristes. Faites l’addition du Tupolev abîmé et du document fuité, en l’espace de trois jours, il y a là, en image, l’effet d’une bombe.
N’y a-t-il pas derrière ce dernier événement (document fuité), quelque intelligence malveillante qui aurait cherché à discréditer Tshisekedi auprès du peuple, pour qui les armées rwandaise et ougandaise sont plus qu’exécrables ?
Un argumentaire creux
Ce n’est pas tout. Du samedi 19 au mercredi 30, soit en espace de 12 jours, on a assisté à plusieurs autres actes ; quatre, pour être précis. L’un d’eux est celui qui domine sur le reste ou, autrement dit, constitue le pivot autour duquel tout s’articule : l’annonce du retour de Kabila sur la scène politique … comme s’il s’y était éloigné !
Entre le 19 et le 30 donc, le théâtre a pour acteurs : samedi 19, affaire liée aux accusations paranoïaques de Banyamulenges (Congolais d’origine rwandaise), avec pour fond le territoire de Minemwbe, situé dans la province du Sud-Kivu. La question perdure, au sujet de cet espace géographique congolais, en but à l’irrédentisme du Rwanda, via les Banyamulenges. Depuis, il y a accrochages dramatiques entre les autochtones et les arrivants rwandais ; lundi 21 à Kinshasa, sortie médiatique d’Alain Atundu, porte-parole du FCC, pour dire « tout le bien » qu’il pensait de la coalition Kabila-Tshisekedi. Stupide ! Au fond, c’était pour préparer l’annonce du come-back de Kabila ; enfin, mercredi 23, l’ancien président sort du bois : ses affidés, à Lubumbashi, au cours de ce qu’ils ont appelé « matinée politique », ont déroulé un argumentaire creux sur ce retour que le peuple, d’ores et déjà, a ostensiblement rejeté.
En réalité, tous ces faits ne sont pas loin de l’hypothèse liée à la théorie de « par cause commune ». Ils seraient tous liés, depuis l’affaire du Tupolev 72 : avec pour but de marquer les esprits et d’en tirer des dividendes sur l’émotion. Raté. Car, pour les Congolais, l’annonce de Lubumbashi est passée comme un non-événement.
Quant au tacle de l’opposant Katumbi, samedi 26, à Goma, devant la foule : « Je ne vous décevrai pas, je ne serai jamais un ‘traitre’ », il y a lieu de se poser des questions. A quoi et envers qui Katumbi faisait cette allusion ? Enigme ! Et, enfin, l’élection de Jaynet Kabila, sœur jumelle du « raïs » congolais, à la tête de la stratégique Commission Défense et Sécurité. C’est la fin d’une démarche qui entre dans la résonance du projet conduisant à la pérennité du système kabiliste.
Défauts de la cuirasse
On en est ainsi à la clôture de cette « séquence », car les mois à venir seront, sans doute, beaucoup plus riches en péripéties. En fait, Kabila va tenter de confirmer sa présence sur l’échiquier politique, dans le sens de l’accaparation du pouvoir en 2023 (si jamais on y arrive). Mais aussi dans le but de démontrer que Tshisekedi n’est qu’une marionnette écartelée entre sa traitrise et l’espoir, en vain, de conquérir l’estime du peuple.
Car, entre les deux alliés, la guerre a déserté la basse intensité ; elle s’approche de plus en plus de celle de tranchées.
De fait, en dehors de la décision de la gratuité scolaire et de l’application de celle-ci, qui se poursuit cahin-caha, Tshisekedi semble « dispersé ». Il s’illustre plus par des déclarations à l’emporte-pièce, sans lendemain, comme le « déboulonnage de la dictature » ou « la sortie des vingt millions de Congolais de la pauvreté en cinq ans » que par des initiatives propres à arracher l’impérium des mains de Kabila. On ne dirige pas un pays à coups de promesses démagogiques.
Dans ce cas, quel est le sort réservé à l’échéance électorale projetée en 2023, sinon un vrai bluff que lance Kabila ? On n’y arrivera pas. A moins que Tshisekedi répare les défauts de sa cuirasse ou que le peuple ouvre les yeux, à l’instar des Libanais, Irakiens ou Chiliens… et marche pour la conquête de sa souveraineté.
En en attendant, le fin mot de l’histoire de la RD Congo post-Kabila appartient à la cour du roi Pétaud.
Par Jean-Jules Lema Landu, journaliste congolais, réfugié en France