Après plusieurs audiences foraines (dans la cour de la prison de Makala) sur le procès dit « des cent jours », le tribunal de grande instance de Kinshasa-Gombe a requis, samedi 20 juin, 20 ans de prison contre Vital Kamerhe, ancien chef de cabinet du président Tshisekedi, et son co-accusé Jammah Samih, un important homme d’affaires libanais. La défense a interjeté appel.
L’affaire concerne un détournement des deniers publics, pour un montant de plus de 55 millions de dollars, saupoudrée de corruption et de blanchissement d’argent. Il s’agit-là d’un procès inédit, un tout premier de cette envergure, qui voit un dignitaire de ce rang traîner à la barre. Un fait qui sera marqué d’une pierre blanche dans les annales de la République, puisque sa raison d’être est de traquer la corruption et ses dérivés.
Ces peines s’accumulent en plus, pour le premier, de 10 ans d’inéligibilité, et pour le second, de la condamnation à payer 150 millions de dollars, au titre de dommages-intérêts.
La messe a été ainsi dite – à moitié – pour ce procès, puisqu’il y a eu appel. Le match reste donc à rejouer, avec sa part intacte d’effervescence pour l’opinion congolaise. Et, au-delà, avec l’interrogation prégnante sur le décès mystérieux du juge-président Raphaël Yanyi, 48 heures après l’ouverture de la procédure. Les commentaires, à ce sujet, n’ont pas tari. D’aucun, cherchant à établir la responsabilité de ce que beaucoup qualifient de « meurtre », ne manquent de voir la main cachée de Kamerhe.
Rictus de colère
En attendant le dénouement du litige, au niveau du degré supérieur (et, pourquoi pas jusqu’à la Cour de Cassation), le temps sera autant long que dangereux, d’autant que les esprits commencent à s’échauffer et à jurer avec des mots à connotation régionaliste. Dans les provinces du Nord-Kivu et, particulièrement, celle du Sud-Kivu, d’où est originaire Kamerhe, les voix réclament désormais non seulement l’acquittement pur et simple de leur champion, mais également « l’indépendance » de leur région.
On y est ! On sait que les collines des deux Kivu, face au soleil de l’unité du pays, ont toujours revêtu des habits de fête. Si elles présentent, aujourd’hui, un rictus de colère, il y a sérieusement motif que les Congolais soient inquiets. Quelle est cette province qui a autant défendu l’indépendance et l’intégrité du pays que les deux Kivu ? N’eût été cet ardent nationalisme qui les habite, cette région, y compris les terres d’Ituri (nord-est), ne feraient plus partie de la RD Congo.
Mais, à scruter le ciel politique congolais, il semble que l’attention ne soit pas tournée vers ces réactions porteuses des germes d’une insurrection séparatiste. Depuis des lustres, le Kivu est sur une bascule. Le Rwanda le réclame à cor et à cri. Et en des termes, souvent, on ne peut plus clairs. Jusqu’à proposer, en 1999, « la tenue d’une deuxième Conférence de Berlin », en vue de restituer le Kivu au pays de Kagame. Ces propos, martelés publiquement par Pasteur Bizimungu, ancien président-potiche du Rwanda, ne sont pas anodins. A ce jour, ils ont toujours leur place et leur intensité dans la tête de l’actuel président, Paul Kagame. C’est d’ailleurs lui qui en était l’inspirateur.
Y’ en a marre
De ce fait, faut-il y voir la main du Rwanda agir, profitant du procès Kamerhe, ou en venir à une autre explication ? Pays à problèmes, la RD Congo est au plus mal. Ses grands problèmes sociétaux peuvent être à l’origine de ce dangereux mouvement d’humeur, au Kivu. Qui ignore que le Nord-Kivu, singulièrement, est une province laissée-pour compte ? Qui n’a pas écouté, dubitatif, le président Tshisekedi jurer tous ses dieux, jusqu’à promettre offrir en sacrifice sa vie, pour la restauration de la paix dans la région ? Pourtant, à Beni et à Butembo, le sang continue de couler et, du même coup, de cristalliser des colères…
A Goma et à Bukavu, grandes villes frontalières du Rwanda, on parle de la transhumance vers ce dernier pays par des jeunes dans la tranche de 20 – 45 ans. Les jeunes de Goma vont habiter la ville rwandaise de Ciangugu, tandis que ceux de Bukavu traversent la frontière pour avoir pignon sur rue dans la ville rwandaise de Gisenyi. Ils fuient, tous, l’insécurité et la vie chère dans leur pays. Ils travaillent au Congo et refont leur chemin vers le Rwanda, après leur journée de travail.
Comme à Beni et à Butembo, où on viole, on égorge et on détruit, les jeunes de Goma et de Bukavu portent aussi leur croix. Serions-nous étonnés de les voir en situation de révolte insurrectionnelle, voire sécessionniste ? Ne sont-ils pas en droit de se dire : « Y’en a marre. Prenons notre destin en main nous-mêmes ? ».
Quoi qu’on pense, il y a de la révolte dans l’air. Et attention à la balkanisation dont on parle, sans cesse. Elle pourrait bien partir de « l’Affaire Kamerhe ».
Par Jean-Jules Lema Landu, journaliste congolais réfugié en France