Tirs à balles réelles sur des militants. Obstacles de toutes sortes pour empêcher l’adversaire de tenir meeting. Et ce jeudi , un incendie aux contours très flous d’un dépôt de la Commission électorale nationale indépendante (Céni) qui abritait du matériel électoral dont les fameuses machines à voter. C’est le quotidien des Congolais, au fur et à mesure que la République démocratique du Congo se rapproche des élections générales du 23 décembre 2018. En tout cas, un feu qui s’est déclenché dans un endroit très sécurisé et maîtrisé avec un retard incompréhensible, c’est simplement inquiétant.
«C’est pourquoi on empêche ce Fayulu-là de parler, à travers son porte-voix? On a peur de lui ou quoi», m’a demandé mon petit-fils, âgé de 7 ans, en regardant la télévision. Devant mon silence, il a pris l’initiative de répondre lui-même à sa question: «C’est Kabila qui a donc peur…» Vérité limpide d’enfant! Mais, à cette question, on trouve également plusieurs réponses d’adulte. Les unes réfléchies, les autres autant absurdes que téméraires. Il y a d’abord la peur subite qu’inspire désormais Martin Fayulu au clan de Joseph Kabila qui va à la reconquête du fauteuil présidentiel que compte «prêter» l’actuel chef de l’Etat à son faire-valoir, afin de le récupérer à la fin du quinquennat autorisé par la constitution, soit en 2023. Comme dans un simple jeu de chaises musicales. Mais les choses semblent prendre une tournure non prévue par le metteur en scène Kabila et son meilleur acteur Emmanuel Ramazani Shadary.
Ceci expliquant sans doute cela, le porte-parole du gouvernement, a déclaré sans autre forme de procès que «Fayulu a été mis sur orbite par les forces obscures pour empêcher la RD Congo de réaliser le grand objectif d’organiser les élections apaisées, le 23 décembre 2018». Poursuivant dans le registre du dénigrement et dans son œuvre éhontée de diabolisation du candidat qui donne des nuits blanches au pouvoir, Lambert Mendé assène que «le gouvernement se fait fort de ne pas donner à Fayulu l’occasion de ne pas faire capoter cette mission». C’est là, manifestement, un aveu de banditisme d’Etat et d’assassinat, puisque dans la foulée, il y a eu effusion de sang à Lubumbashi ainsi qu’à Kalemie. Et la liste macabre ne fait que s’allonger.
«Un vote plutôt global»
Ce qui surprend, depuis le début de cette campagne, c’est le fait que le candidat Fayulu occupe le haut du pavé et devient comme sans concurrent. Et, de ce fait, il est suivi avec attention par beaucoup de médias. Pour commenter ses succès fulgurants! Pourquoi ne parle-t-on pas, avec la même intensité, de la tournée du candidat Shadary, dauphin du président Kabila, ou du couple Tshisekedi-Kamerhe, dissidents de «l’opposition de Genève»? Simplement parce que bousculer, à ce point, tous les pronostics, comme le fait Martin Fayulu, relève de la prouesse!
L’envolée de Fayulu renverse également, en partie, la logique du politologue Kabamba, professeur des universités, en Belgique, qui établit que le «vote en RD Congo est communautaire». En cela, l’éminent enseignant n’a pas tenu compte du principe selon lequel les «sociétés évoluent». Et dans la campagne en cours, le Congolais se propose de «voter global». Le Congolais lui-même, sans doute, se surprend non seulement à ovationner Fayulu, mais surtout à lui faire confiance. A Kalemie, par exemple, contrée entièrement swahiliphone, les populations ont chanté «Tutamchagua Fayulu», soit «on votera pour Fayulu», en français. Inimaginable, il y a quelques années qu’un homme venu de la lointaine province de Bandundu (sud-ouest) puisse, à ce degré, conquérir le cœur d’un Mutabwa de Kalemie, pêcheur sur le lac Tanganika (est).
«Vox populi, vox Dei»
Suffisant pour que la panique s’installe dans le camp présidentiel. Où, apparemment, régnait un calme olympien. Dimanche, 9 décembre, le président Kabila s’est même donné le luxe d’accorder une interview ronflante à plusieurs médias, dans laquelle il affirmait sont intention de se représenter, en 2023. Un faux-semblant! Sinon, on aurait laissé le candidat de la coalition «Lamuka» passer tranquillement son chemin. Après les exploits réalisés, en deux temps trois mouvements, à Beni, Goma, Kisangani et Bunia, le pouvoir a décidé de briser cette «machine à gagner». Si l’avion de Fayulu a été empêché d’atterrir à Kindu, province du Maniema et fief du candidat Shadary, pour éviter l’humiliation à ce dernier, avance-t-on, le déplacement à Lubumbashi et Kalemie du «soldat du peuple» (sobriquet de Fyulu) a vu l’intervention des forces de sécurité. Elles ont tiré à balle réelle, tuant au total cinq personnes dans ces deux villes.
Qui a, finalement, peur entre ceux qui refusent la «machine à voter», sujette à caution, et ceux qui brisent la «machine à gagner», visiblement adoubée par le peuple? «Vox populi, vox Dei», disaient les Romains. Le gouvernement de Kinshasa le comprendra-t-il avant le 23 décembre? Rien n’est moins sûr.
Par Jean-Jules Lema Landu, journaliste congolais, réfugié en France