Quand on cite les provinces congolaises du Kivu, le cœur des multinationales rate presque mortellement un battement. A cause de l’abondance des minerais stratégiques dont elles regorgent. Plein comme un œuf! Mais où va l’argent de ce trésor, dont le propriétaire traîne dans la crasse? Les campagnards, dans leur silence, en savent déjà quelque chose. Et réagissent, à leur manière.
Le Kivu, incontestablement, est un scandale géologique: de «l’or roulé», autrement dit, lavé de toute scorie par des siècles de roulement, depuis le sommet des montagnes jusqu’au pied des rivières, où il termine sa course; de l’or détritique en filon sur la pente de quasi chaque montagne; des gisements de coltan et de cobalt; du gaz méthane en quantité industrielle dans le lac Kivu… La liste ne sera jamais exhaustive.
Dans un coin perdu appelé Lugushwa, au-delà de Kamituga (Sud-Kivu), les pépites d’or, à fleur de sol, coulent avec les eaux de pluie. S’y fut installée, depuis l’occupation illégale des terres par le roi Léopold II, une société minière à capitaux principalement belge. Elle y exploita à la pelle, pendant des décennies, cette «perle» géologique avant de s’en aller, en toute quiétude. «Sans remise et reprise». Sans remords, non plus. Comme si le Congo était une terre en déshérence.
La «Grande Révolte» paysanne
Aujourd’hui, les choses ont-elles changé? Après les Belges, les Chinois y ont élu domicile, avec beaucoup plus d’appétit de gain que de mépris à l’égard des populations locales qu’il ne l’était du temps de leurs prédécesseurs. L’argent de l’exploitation de minerais du Kivu, selon la «théorie de dépendance» élaborée par l’économiste franco-égyptien Samir Amin, prend des ailles de la tromperie pour enrichir les banquiers d’outre-Atlantique. En appauvrissant davantage les pays «pauvres». Pourtant, ce sont ces derniers, en réalité, les véritables propriétaires de la richesse.
Cette villageoise et sa fillette (photo), pieds nus, devant un mortier, font partie de ceux-là qui subissent directement l’abus de faiblesse, de la part des pays riches, aussi bien que les effets néfastes de celui-ci. Elles représentent une image de l’état socio-économique dans lequel vivent, en général, les populations de cette contrée: le dénuement total. Des personnages que l’écrivain humaniste Alphonse Daudet aurait qualifiés de «guenille humaine», non pour faire injure à la pauvreté, mais plutôt pour s’en plaindre avec force.
Seulement voilà: le «système», mis en place pour maintenir les pays «pauvres» dans la dépendance, est usé, jusqu’à la corde. Ceux qui se gavent de bénéfices tirés de l’or lavé de Lugushwa ou du coltan de Rutshuru s’en aperçoivent-ils? Peut-être pas. Or, telle est la réalité. La congénère de la femme pilant, péniblement assise, le talon fendu par des gerçures, n’est plus la même. Peut-être, est-elle encore en haillon, mais la communication est entrée dans sa case. Et, ironie de l’histoire, par l’entremise du téléphone portable fonctionnant principalement par «son propre coltan». La notion de village planétaire de Marshall McLuhan n’est plus un rêve! Tout comme l’affirmation de «l’effet papillon», par la magie de la communication.
Ainsi donc, cette femme et les siens savent-ils aujourd’hui qu’ils sont exploités, presque dans les conditions de servage. Contrairement aux citadins, emportés par la vie tumultueuse et désordonnée qu’imposent les grands centres urbains, les paysans, eux, réfléchissent dans le calme. Un petit recul à travers l’Histoire nous le prouve bien: la révolte paysanne de juin 1381 en Angleterre, connue sous le nom de Grande Révolte, est une réaction des paysans face à l’injustice sociale. Pendant que les citadins dormaient dans leur illusion. Il se pourrait que les choses se déroulent de la même manière, en RD Congo. La campagne bouge, différemment du danseur de la rumba en ville.
Ben Laden exalté à Kamituga
On s’appuiera sur deux exemples les plus frappants pour l’illustrer. Kamituga, déjà cité, est un centre minier laissé sur la paille, l’or en surface y ayant été écrémé par des sociétés belges. C’est un bout de terre perdu dans les collines et les forêts du Sud-Kivu. Curieusement, il y existe une équipe de foot dénommée «Ben Laden». Pis, les joueurs portent des vareuses à l’effigie de l’ancien ennemi numéro un des Etats-Unis. A première vue, cela parait anodin. Pourtant, c’est une indication sérieuse, en filigrane, du rejet de l’Occident et des dirigeants africains rétrogrades. Ben Laden, aux yeux de la jeunesse congolaise campagnarde, incarnerait-il la révolte? Remplacerait-il, pour la jeunesse africaine, en général, le Che Guevara des années 1960 ou le Thomas Sankara des années 1980?
Que cette attitude se fasse sentir à Kinshasa, à Abidjan, ou à Maputo, etc., on le comprendra aisément; mais qu’une telle exaltation, pour cet homme honni de l’Occident, se manifeste à Kamituga, il y a anguille sous roche. De même, à Samba, dans la province du Maniema, un centre administratif «désaffecté», les villageois auraient pris l’initiative de chasser des Chinois, qui remplissaient les avions petits-porteurs de terres jugées très riches pour la culture, à destination de la Chine. Pourtant, bien avant, cela se passait sans anicroche, selon nos sources. A tout le moins, la campagne congolaise se réveille. Ce sont-là des signes qui ne trompent pas.
Celle-ci irait-elle jusqu’à embrasser l’idée des paysans anglais, pour embraser les villes et écrire ainsi une nouvelle page de l’histoire du pays, faite par le petit peuple? Le bruit sur les émoluments colossaux perçus par des parlementaires, dépassant le seuil de vingt mille dollars mensuels, par individu, est entré dans chaque case à Kamituga, à Lugushwa ou à Kabeya-Kamwanga; partout, à travers la campagne. Les réseaux sociaux font écho de cette évidence.
Quoi qu’il en soit, les campagnards congolais ne sont plus des «cruches», soumises à avaler toutes les couleuvres politiques. Maintenant, ils «savent». Décomplexés et libérés par la puissance des technologies de l’information (infotech), ils peuvent agir, à l’instar des citadins. Alors, révolte paysanne, à partir de Kamituga, ou ailleurs, pourquoi pas.
Par Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France