C’est en plein débat houleux sur la nécessité ou non, de modifier ou de changer la Constitution, que le président Félix Tshisekedi s’est présenté à l’Assemblée nationale, ce mercredi 11 décembre, pour sacrifier au rituel annuel du Discours sur la nation. Si l’opportunité a, une fois de plus, été saisie par le chef de l’Etat pour accuser le Rwanda de soutenir le M23 qui attaque la République démocratique du Congo, il a surtout établi son bilan de l’année 2024, en mettant en exergue une croissance à 6% et une inflation de 11%. Mais, flottait dans l’hémicycle une ambiance lourde à couper au couteau, entourant l’initiative à polémique du pouvoir en place, de doter la RD Congo, d’une nouvelle Loi fondamentale.
En RD Congo, l’idée de modifier la Constitution ou de la changer carrément pose problème. C’est pour la deuxième fois que les dirigeants en place se livrent à cet exercice, dans le but de se maintenir au pouvoir. Partant, on glisse alors allègrement, de l’éclat que représente le choc des arguments pertinents aux débats d’apothicaire.
A chaque coup, c’est du côté du pouvoir qu’il y a divagation. Or, ailleurs au monde, à une telle occasion, on assiste généralement à une véritable «furia juridique». Qui extasie les non-juristes.
Pourtant, à ce sujet, la Constitution congolaise n’est pas muette. Elle règle bien cette question en limitant à deux les mandats présidentiels, d’une durée, chacun, de cinq ans. Rien n’y fait. En 2015, aiguillonnés par des «professeurs sans conscience», l’ancien président Joseph Kabila et ses affidés ont tenté un passage en force. Il y eut mort d’hommes. Accusé, à tort ou à raison, de viser un troisième mandat, en 2028, le président Tshisekedi se met à recycler la même avarie mortuaire. Sans état d’âme.
Lancée depuis fin octobre à Kisangani, en province, l’idée ne passe pas. L’Eglise Catholique a réagi sans tarder, en disant «non» à une telle démarche, à ses yeux suicidaire. Au-delà, on assiste au même scénario qu’en en 2015: le pouvoir sort une armada de ses juristes, pour défendre la cause d’un individu. Loin des intérêts du peuple. Pour l’essentiel, l’argument massue qu’on oppose est que cette Constitution fut pensée à l’étranger et réalisée par des étrangers. On y ajoute une couche, qui hérisse, affirmant qu’une des clauses de ce texte dissimulerait des velléités susceptibles de céder une partie de la souveraineté nationale à un pays tiers. Bien entendu, allusion faite implicitement au Rwanda. Voilà pour la part d’ombre.
Sur l’autre versant, tout lumineux celui-là, campent des patriotes. Des défenseurs des valeurs républicaines. Parmi eux, brille d’excellence le professeur Bob Kabamba, d’origine congolaise. Crème de la crème, il enseigne à l’université de Liège, en Belgique. Sa réponse à ce sujet est radicale. Sourire en coin, il déconstruit, d’une traite, ce château de fantasmes et de contre-vérités, érigé au sommet de l’Etat. Il utilise simplement le mot: «Mensonge». Il n’est pas, à ce stade, le seul témoin contradicteur. Le professeur Mampuya, constitutionnaliste, fait également partie du lot. Tous deux sont, par ailleurs, coauteurs du texte. Enfin, la multitude congolaise.
Triptyque de la sagesse africaine
Mais, pourquoi ces «mensonges»? Pourquoi, hélas, un troisième mandat, à l’africaine? Là est tout l’enjeu de la problématique. L’explication va dans plusieurs sens: appât du gain, soif inassouvie d’honneur et de puissance, narcissisme inqualifiable, mais dangereux… C’est dans cette obstination que le professeur émérite guinéen Alpha Condé a été poussé jusqu’au bout de l’opprobre, chassé du pouvoir par un coup d’Etat. Rattrapé par l’heure de vérité, le Sénégalais Macky Sall l’a échappé belle, après avoir cherché, sans succès, à tourner son peuple en bourrique. La liste n’est pas exhaustive.
Est-ce une sorte de malédiction collective? En RD Congo, en tout cas, la question est spécifique. Car, elle est documentée depuis la période du maréchal Mobutu, jusqu’à Félix Tshisekedi, en passant par Joseph Kabila. S’enrichir sans limites, en siphonnant les caisses de l’Etat, s’apparente plutôt à une vertu. Un mode normal de gouvernement.
Ce sont des faits de notoriété publique que tout cela! Mais, ce qui sort aujourd’hui de l’ordinaire, c’est qu’une Eglise, du reste, protestante, accuse le régime, en des termes autant violents. Il se trouve que l’accusateur ne soit autre que le pasteur Roland Dallo, présenté par ailleurs comme le père spirituel du chef de l’Etat. Etrange! En stratège consommé, l’homme de Dieu n’évoque pas directement la Constitution, en débat. Dans son homélie, mi-novembre, il qualifie la RD Congo de «République des voleurs», à laquelle il a honte d’appartenir, avoue-t-il haut et fort. Qui est le voleur? Pourquoi cette allusion, au moment précis où le «mensonge» d’Etat est sur la table?
A défaut d’être parabolique, à valeur biblique, la réponse tient néanmoins de cette triptyque de la sagesse africaine: «Le voleur, le menteur et le sorcier font société». Puisqu’il se promène un menteur sur la place publique, le voleur ne peut être un autre que lui. La corrélation en est simple. En clair, entre les défauts de la Constitution, s’il en est, mais à tous égards péché mignon, et la gravité des détournements monstres, qu’est-ce qui est urgent à résoudre? Voilà, tournée autrement, la pensée du pasteur Dallo.
Comme dans un bon polar, avant l’intrigue, le chef de l’Etat a ouvert un nouveau chapitre. On le voit, en personne, porter l’étendard de la croisade contre la République. Il court, il saute d’un lieu à l’autre, faisant feu de tout bois, pour la promotion de sa thèse réactionnaire. En effet, après Kisangani, il a été à Lubumbashi, puis à Kalemie, où se tenait la conférence des gouverneurs. Enfin, dernièrement, on l’a vu à Isiro, dans les Uélés, à l’occasion du 60e anniversaire du martyre de la Bienheureuse Anuarite Nengapeta. Religieuse tuée, en 1964, pour avoir refusé de pécher contre Dieu.
Valeur de la parole donnée
Mais Kalemie n’est pas Isiro. Là-bas, il était applaudi et chaudement encouragé dans sa démarche par les gouverneurs, ses créatures. Ici, illuminé par la fête catholique, le ciel ne lui était pas du tout favorable. En outre, en commettant l’erreur d’avoir invité l’Eglise à «être au milieu du village», c’est-à-dire à être impartiale, le chef de l’Etat a permis à Mgr Marcel Utembi, l’officiant du jour, de lui rendre la monnaie de sa pièce. Dans son homélie, celui-ci a simplement évoqué la «valeur de la parole donnée». Sans en dire plus, il a fait tourner la pensée de la majorité vers la montagne des promesses non réalisées du chef de l’Etat.
Sur quoi sera fondé le troisième chapitre de l’histoire? Difficile à dire. En attendant, une chose est certaine, le pays patauge… dans un débat de comptoir. Qui promet des étincelles. Le changement de la Constitution n’a rien à y voir, ce simple paravent derrière lequel se cachent les dérives autocratiques d’une personne. L’Eglise a donné son avis. Tshisekedi l’a-t-il compris? Pas sûr.
Par Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France