Vingt hauts responsables d’agences des Nations Unies et d’organisations partenaires ont lancé mardi un cri d’alarme sur l’escalade du conflit dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) qui entraîne des niveaux records de violence sexiste, de déplacements et de faim et menace de pousser le pays « au bord de la catastrophe » sans une action internationale urgente.
Des décennies de conflit et l’urgence humanitaire qui en résulte ont déjà épuisé et traumatisé des millions de civils congolais. Rien qu’au cours des derniers mois, plus de 700.000 personnes ont été contraintes de fuir leur foyer, portant le nombre total de personnes déplacées à un niveau record de 7,2 millions.
Ecart entre besoins et ressources
« Il est essentiel de veiller à ce qu’une aide suffisante parvienne rapidement et sans entrave aux civils dans le besoin. Mais le Plan de réponse humanitaire de cette année est terriblement sous-financé, avec seulement 16% des 2,6 milliards de dollars demandés ayant été reçus. L’écart entre des besoins en augmentation rapide et des ressources suffisantes signifie que des millions de personnes se retrouvent sans le soutien vital dont elles ont besoin », préviennent les hauts responsables dans cet appel conjoint.
Parmi les signataires, il y a Martin Griffiths, Coordonnateur des secours d’urgence de l’ONU, Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Janti Soeripto, présidente et directrice générale de Save the Children, Filippo Grandi, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, Catherine Russell, Directrice exécutive du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), Cindy McCain, Directrice exécutive du Programme alimentaire mondial (PAM), et Tedros Adhanom Ghebreyesus, Directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Selon ces hauts responsables, ce manque de ressources aggrave la crise en obligeant les organisations humanitaires à réduire leur aide, les femmes et les filles payant un prix extrêmement élevé.
Violence sexiste
« Le manque de protection et de sécurité dans les camps de déplacés surpeuplés signifie que de nombreuses personnes sont obligées d’échanger des relations sexuelles pour survivre et subvenir aux besoins de leur famille. Lorsqu’elles s’aventurent dehors pour aller chercher du bois de chauffage, de l’eau ou pour travailler, elles sont également exposées à des niveaux effroyables de violence sexuelle », écrivent-ils.
Les cas enregistrés de violence sexiste ont augmenté entre 2022 et 2023. La stigmatisation et la peur des représailles empêchent de nombreuses survivantes de se manifester. Outre la violence sexuelle, les enfants sont également exposés à d’autres menaces, notamment aux enlèvements, aux meurtres, aux mutilations et au recrutement par des groupes armés.
En outre, plus de 25 millions de personnes – un quart de la population – continuent d’être confrontées à des niveaux d’insécurité alimentaire de crise ou d’urgence en RDC, un pays confronté à l’une des plus grandes crises alimentaires au monde. Le choléra et la rougeole se propagent également rapidement alors que le secteur de la santé continue de se détériorer.
Pour mettre fin à l’escalade de la crise humanitaire en RDC, l’ONU et ses partenaires estiment qu’il faut s’attaquer à ses causes profondes : le conflit, l’exploitation des ressources naturelles, les flux financiers illicites, les inégalités entre les sexes et les déficits de développement.
« Nous devons intensifier notre soutien au peuple congolais, notamment aux femmes et aux filles qui subissent le plus gros de ce conflit, alors qu’elles s’efforcent de reconstruire leur vie et leurs moyens de subsistance et de rentrer chez elles. La communauté internationale doit mobiliser des ressources supplémentaires pour la réponse humanitaire et le soutien aux organisations de la société civile – ainsi que la volonté politique de mettre fin une fois pour toutes à la violence », concluent les hauts responsables dans leur appel.
Accélération de la détérioration de la situation humanitaire
S’exprimant lors d’une conférence de presse à Genève, le Coordinateur humanitaire des Nations Unies pour la RDC, Bruno Lemarquis, a également lancé un cri d’alarme concernant la « nature dramatique » de la crise dans l’est de la RDC.
« La situation humanitaire à l’est de la République démocratique du Congo s’est vraiment détériorée depuis une année, avec une accélération de la détérioration depuis ces derniers mois du fait de la dégradation de la situation sécuritaire… principalement due à la résurgence, il y a deux ans, du mouvement M23 au Nord-Kivu. C’est également dû à l’activisme d’autres groupes armés et à d’autres poches d’insécurité dans d’autres endroits de ce pays immense », a-t-il expliqué aux journalistes.
Il a noté que la ville de Goma, capitale de la province du Nord-Kivu, est maintenant complètement encerclée, et que le M23 continue d’avancer vers le nord du Nord-Kivu et mais aussi vers le Sud-Kivu.
Il a mentionné un autre groupe armé, les ADF, « très actif en ce moment et qui crée énormément de dégâts ». « C’est un groupe extrêmement violent qui à sa base en Ouganda et qui a prêté allégeance à l’État islamique et qui fait énormément de dégâts au nord du Nord-Kivu et au sud de l’Ituri », a-t-il souligné.
Selon le Coordinateur humanitaire, cette crise du M23 a des conséquences directes et des conséquences indirectes multiples.
La conséquence directe la plus visible, ce sont des déplacements massifs de populations des territoires qui sont occupés par le M23.
Les conséquences indirectes, ce sont notamment des déplacements de populations vers la province du Sud-Kivu, une province qui est déjà sous tension.
La 2e conséquence indirecte est le vide sécuritaire créé par la crise du M23 dans la province de l’Ituri du fait du déplacement de troupes par le gouvernement congolais pour combattre ce groupe armé.
« La 3e conséquence indirecte, c’est la trajectoire de développement de la République démocratique du Congo puisque du fait de cette crise à l’Est, il y a énormément d’énergie, d’attention et de ressources qui sont investies sur cette crise », a ajouté M. Lemarquis, citant notamment les dépenses militaires de la RDC qui ont doublé en 2023 par rapport à 2022.
Selon lui, la RDC reste un théâtre d’opérations parmi les plus dangereux au monde pour les travailleurs humanitaires qui font tout ce qu’ils peuvent pour apporter de l’assistance, mais le fossé continue de se creuser entre les besoins humanitaires et les moyens pour y répondre.
« Nous avons des déficits partout et notre réponse n’est pas à l’échelle compte tenu du manque de moyens. Nous constatons une tendance au sous-financement de la réponse humanitaire en RDC depuis plusieurs années », a-t-il prévenu.
Source: ONU Info