Le cardinal Laurent Monsengwo Pasinya, 81 ans, a dit sa dernière prière ce dimanche 11 juillet, non pas à Kinshasa où il fait église et rue combles, mais à Versailles près de Paris, où il a été évacué des suites de maladie. Le retour au pays natal, ce 18 juillet, de son corps, marque une page qui se tourne dans l’histoire religieuse, sociale et politique de la République démocratique du Congo (RDC). L’émotion était logiquement forte, à l’aéroport où se sont retrouvés parents, politiques, religieux, étudiants et une foule d’anonymes. Ils étaient des milliers. Beaucoup de larmes. Si cet érudit avait une côte importante auprès du Vatican où il a, du reste, fait une partie de ses études, ce n’est nullement qu’à cause de la bonne parole qu’il enseignait avec la verve et le verbe qui allaient avec sa foi en Dieu. Sa popularité sans borne, l’archevêque émérite de Kinshasa la devait également à ces flèches acérées contre les régimes de fer qui se sont succédé, du Zaïre à la République démocratique du Congo. Ils sont tous passés sur le grill de l’homme de Dieu qui était le poil à gratter de ces dirigeants qui partageaient peu ou prou le pain offert par Dieu, avec leurs concitoyens.
S’il a travaillé à faire passer auprès du Vatican, le rite zaïrois dans le culte dominical, ce virtuose de l’orgue et compositeur de chansons religieuses, portaient, très peu dans son cœur, les présidents de la RDC qui n’avaient d’intérêts que ceux personnels et très égoïstes et avaient fait de la course aux trésors terrestres, leur sport favori. Une compétition dans laquelle ils ont tous excellé, à des degrés divers, mais toujours au détriment du peuple, laissé en pâture aux rebelles, aux marchands de guerre et autres catastrophes naturelles
De Mobutu, à Félix Tschisekedi, en passant par les Kabila, le père Laurent Désiré et le fils Joseph, aucun chef de l’Etat congolais n’a échappé aux critiques virulentes du cardinal, qui savait, avec une dextérité hors-pair descendre en flammes, sans même les désigner par leurs noms, ceux qu’il considérait comme des ennemis de la démocratie. Ces conducteurs du peuple qui ne savaient conduire leurs concitoyens que dans la vallée de la mort et sur les autels de la famine et de la pauvreté, alors qu’eux-mêmes se vautrent dans une opulence insultante, ne trouvaient aucune grâce auprès du pasteur d’hommes qui avait pour sacerdoce de conduire ses ouailles dans les verts pâturages du Christ.
C’est aux côtés du peuple que le cardinal passera toute sa vie, vêtu de la soutane de prêtre depuis 1963 ou de la verge cinglante pour faire dégager les «médiocres» qui ont participé aux massacres des citoyens qui ont payé de leurs vies, leur témérité dans des manifestations contre la vie chère et pour le changement en RDC. Sans être membre d’un parti politique, l’ancien archevêque de Kisangani, puis de Kinshasa, n’en n’a pas moins été au front, toujours contre l’oppression et pour la démocratie dans son pays où l’église catholique était de tous les combats politiques. Considéré comme le plus politique des prélats, il a porté, jusqu’à sa mort, cette casquette, sous sa mitre majestueuse de cardinal que le Docteur en Ecritures Saintes et professeur de théologie, ne portera, tardivement, qu’en 2010 par les soins du pape Benoît XVI.
Même si toute disparition est douloureuse, c’est certain que celle du cardinal, qui sera porté en terre ce mercredi 21 juillet, diversement pleurée par les dirigeants qui avaient en face un adversaire de taille et les fidèles catholiques qui ont perdu un pasteur d’hommes et d’âmes en détresse. En tout cas, la perte de l’apôtre de Dieu et de la démocratie sera lourdement ressentie dans une Afrique où bien de pays sont encore aux mains de prédateurs des constitutions et où les apprentis sorciers de coups d’Etat et de mandats présidentiels à vie font toujours la pluie et le beau temps.
Par Wakat Séra