A quelle sauce sera mangée la nouvelle constitution qui sera soumise au vote du peuple tchadien le 17 décembre? Pendant que les pros «oui» et les pros «non» s’affrontent dans une campagne pour un referendum attendu comme le véritable premier test de popularité du régime de transition du général Mahamat Idriss Deby, l’opposant Succès Masra vient de jeter un pavé dans la mare. Sans être un revirement à 360 degrés, la nouvelle position de l’adversaire politique le plus craint actuellement par la junte militaire tchadienne, n’en n’étonne pas moins dans le microcosme politique. Alors qu’il n’avait penché ni pour le «oui», ni pour le «non», le leader du parti Les Transformateurs, fraîchement revenu à la maison après un an d’exil, demande à ses compatriotes de donner leur «oui» à la constitution, qui, selon lui, n’est certes pas parfaite mais est meilleure à celles de 1996 et 2020.
Cette première déclaration forte de Masra, dont le retour au bercail, le 3 novembre, a été réalité suite à une médiation facilitée par le président de la République démocratique du Congo, Félix Tshisekedi, mandaté par la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale, est alors objet à plusieurs interprétations, et surtout à moult supputations. L’appel à voter «oui» n’est-il par un renvoi d’ascenseur au pouvoir de la transition qui a renoncé, pour l’instant en tout cas, à la peau de Succès Masra qu’il voulait par justice interposée? En effet, dès que l’opposant avait manifesté sa volonté de rentrer à N’Djamena, il lui a été brandi, en guise d’épouvantail, un mandat d’arrêt international émis par la justice de son pays qui lui reproche d’avoir tenu des propos, en mai de cette année, «incitant à la haine et à la révolte» et d’être l’auteur d’une «tentative d’atteinte à l’ordre constitutionnel». Succès Masra apporte de l’eau au moulin de ceux qui le suspectent d’avoir passé un «deal» malveillant avec le régime de Deby fils, non seulement pour son retour, mais parce que la procédure judiciaire à son encontre court toujours, même si le mandat d’arrêt, lui, a été suspendu.
Succès Masra, lui, ne se reproche aucune compromission. Il fait certainement sienne cette vérité selon laquelle «la culotte d’aujourd’hui vaut mieux que le pantalon de demain». Et l’opposant l’a dit, la tête bien haute, sa démarche répond à l’attente du peuple qu’il a rencontré et qui dans sa majorité, est contre toute longévité dont pourrait bénéficier la transition. Et pour que la parenthèse de l’intérim au palais présidentiel de N’Djamena se referme, il faut, a reconnu, avec lucidité et réalisme, Succès Masra, il faut adopter cette loi fondamentale, quitte à la purger par la suite de ses aspérités. Dans la foulée, a, d’ailleurs, prévenu l’opposant, si Les Transformateurs viennent aux affaires, cette constitution sera amendée. Mais ça c’est une autre manche. Si la nouvelle option de Succès Masra est scrutée et surtout suspectée, il n’en demeure pas moins qu’elle a l’avantage de donner une chance supplémentaire au Tchad de mettre fin, le plus tôt possible, à l’intermède de la transition. Une transition militaire qui n’a que trop duré et qui met sous les feux de la contestation, le régime du général Mahamat Idriss Deby, celui-là même qui a pris le pouvoir par la force, à la mort de son père, en avril 2021.
Succès Masra a-t-il eu raison d’appeler au «oui» à la nouvelle constitution? Oui, est-on tenté de dire, n’en déplaise aux jusqu’au boutistes qui oublient, que retarder l’avènement de la nouvelle loi fondamentale, c’est maintenir le Tchad en mode régime d’exception encore pour un temps indéfini. Avec toutes les dérives inimaginables qui sont générées par ce genre de pouvoir! En attendant que l’histoire donne tort ou raison à Succès Masra, les populations sont appelées aux urnes le 17 décembre prochain. Une constitution comme cadeau de Noël!
Par Wakat Séra