Accueil A la une Réouverture des frontières ivoiriennes: «Trop de tracasseries» sur la route!

Réouverture des frontières ivoiriennes: «Trop de tracasseries» sur la route!

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Les frontières terrestres ivoiriennes rouvertes

Le Gouvernement ivoirien a décidé de la réouverture des frontières terrestres de la Côte d’Ivoire le 15 février 2023 après environ trois ans de fermeture qui touchait des pays comme le Libéria, la Guinée, le Mali et le Burkina Faso. A Ouagadougou, si l’on salue la nouvelle mesure des autorités ivoiriennes, des compagnies de transport et des passagers notent des difficultés telles que des «tracasseries» rencontrées sur la route. Reportage!

Cela fait deux semaines que les frontières terrestres de la Côte d’Ivoire sont à nouveau ouvertes après une fermeture de près de trois ans. Au Burkina Faso, notamment à Ouagadougou, des compagnies de transport qui ont longtemps été bloquées par cette fermeture, ont repris la route de la Côte d’Ivoire.

Il est 10h à la gare TSR (Transport Sana Rasmané) de Gounghin, le mercredi 22 février 2023 quand nous arrivons sur les lieux. A l’entrée de cette gare dans le  centre-nord de la capitale burkinabè où grouillait du monde comme d’habitude, des taxis, des motos tricycles, sont stationnés çà et là, en attente de clients. Les passagers, valises en main, y entrent pendant que d’autres en sortent. A l’intérieur de la gare, des cars sont positionnés pour le chargement des bagages des voyageurs. D’autres étaient en train d’être soigneusement nettoyés. Des motos totalement couvertes de vieux cartons, sont placées d’un côté pour être ensuite rangées dans le grand coffre des cars pour de nouvelles destinations.

Des passagers à la gare TSR Gounghin Ouaga

A l’extrême ouest à l’intérieur de la gare, des passagers se sont installés sous un hangar. Une zone spécialement aménagée comme une salle d’attente pour les voyageurs où certains prennent le plaisir à suivre la télévision et attendre leur heure de départ. Les sacs et autres objets en leur possession sont gardés avec soin. D’autres ont trouvé, en revanche, des endroits pour se coucher, afin de récupérer de leur fatigue.

Dans cette gare TSR, il y a des départs tous les jours pour la Côte d’Ivoire, 6h et 18h. «On a des cars CI et BF qui font la navette entre les deux pays», indique le chef de gare, Christophe Désiré Yerbanga, qui venait de recevoir dans son bureau deux clients en quête de renseignements. M. Yerbanga affirme qu’une quinzaine de cars ont déjà fait le trajet une semaine après la réouverture des frontières terrestres ivoiriennes. Il dit être «satisfait» de l’affluence des clients, saluant la mesure du Gouvernement ivoirien.

Mme Kouanda pose avec ses deux filles avant de prendre son car pour Abidjan

Ce même sentiment de satisfaction est partagé par des voyageurs, dont Mme Kouanda «soulagée» de voir les frontières ivoiriennes enfin ouvertes après une longue période de patience dont elle a fait preuve malgré elle. «Quand j’ai appris la réouverture des frontières, j’ai sauté de joie, j’ai dansé comme un enfant», confie Mme Kouanda toute souriante. Elle a été accompagnée à la gare par ses deux «adorables» filles. Ce mercredi, elle a pris son billet pour la Côte d’Ivoire, avec pour destination Abidjan qu’elle n’avait plus vu depuis plusieurs mois.

A l’arrivée du car, les passagers se hâtent et d’autres se bousculent. Il est l’heure pour le chargement des bagages. Et chacun souhaite avoir une place pour ses valises. Talardia Thiombiano, à l’aise dans son tee-shirt rouge, s’approche du car pour faire ranger sa valise. Tout sourire, il exprime sa joie de pouvoir enfin rejoindre Abidjan après avoir patienté pendant des mois. Les voyageurs qui n’ont pas assez de charges, entrent directement dans le car après présentation de leur ticket de voyage. Mme Kouanda, émue, embrasse ses deux filles, qui, contentes pour leur maman, lui souhaitent un «bon voyage».

Des passagers en attente pour prendre leur car

Si TSR enregistre beaucoup de voyageurs depuis l’ouverture de la ligne Côte d’Ivoire, la situation est toute différente à STAF (Société de transport Aourèma et frère) à Gounghin où nous avons fait un tour. Il n’y avait pas beaucoup d’affluence. Ce mercredi 22 février, il n’y a pas de départs enregistrés pour la Côte d’Ivoire. Pourtant, les départs y sont prévus tous les jours entre 12h, 14h et 16h avec comme villes concernées Bouaké, Yamoussokro et Abidjan. «Nous venons de reprendre la route avec nos premiers départs effectués le lundi 20 février», explique Lassané Ouédraogo, responsable STAF de la gare de l’Ouest que nous avons trouvé dans son bureau climatisé dans lequel est mis en place un système de vidéosurveillance lui permettant d’avoir un œil sur tout ce qui se passe  dans la cour de la gare.

Bien que ce chef de gare voit en cette réouverture «une bonne chose», il émet tout de même des réserves sur les motivations des autorités ivoiriennes. «Il y a eu plusieurs démarches qui ont été initiées avec les autorités, mais qui n’ont pas été fructueuses. Pourquoi c’est maintenant que cette réouverture a été décidée», interroge Lassané Ouédraogo entre deux coups de fil qu’il venait de recevoir. Il se demande s’il n’y a pas «des intérêts politiques» cachés derrière cette mesure du Gouvernement ivoirien.

Des voyageurs prenant des tickets à la gare TSR Goughin à Ouagadougou

Du reste, au sein de cette compagnie, le trafic sur le plan national suit, quant à lui, son cours normal. Des passagers continuaient de prendre des tickets de voyage pendant que d’autres étaient installés dans un hall à l’intérieur de la gare attendant leurs différentes heures de départ. Les cars, eux, n’arrêtaient pas de défiler.

Des difficultés sur la route

Si l’ouverture des frontières terrestres ivoiriennes a été saluée, car devant permettre de «raffermir la libre circulation des personnes entre les pays frères», des difficultés sur la route sont toutefois notées par les premiers acteurs. Ilyassa Sawadogo est chauffeur international de la compagnie TSR. Il fait la navette Abidjan-Ouaga. Rentré jeudi 21 février de la Côte d’Ivoire, nous l’avons rencontré dans son car qu’il venait de stationner à l’intérieur de la gare. Il confie qu’il y a «trop de tracasseries» sur la route.

«A la frontière, on nous fait payer 1 000F CFA», témoigne M. Sawadogo, remonté, qui dit ne pas comprendre ce à quoi cela répond. «Sur le territoire ivoirien, entre Oauangolo et Larba, lors des contrôles d’identité, quand on constate que tu es Burkinabè, on t’exige de payer 2 000F CFA, même si tes documents sont au complet. Nous chauffeurs, on négocie avec les agents et le passager paie 1 000F FCA», raconte notre interlocuteur qui s’offusque face à de telles pratiques qui sont survenues, selon lui, après la réouverture des frontières.

Frontière Côte d’Ivoire

Un convoyeur d’un des cars TSR venu directement de la ville de San Pédro raconte, lui aussi, leur périple. L’air fatigué et en manque de sommeil, il avoue que «la route est difficile». Il déplore «des tracasseries» au niveau des postes de contrôles. «Parfois on peut mettre deux heures de temps dans un poste», indique-t-il, soutenant que cela fait plus durer le voyage. «Avant, on pouvait faire le trajet en 48 heures, mais aujourd’hui, du fait de la difficulté de la route, les passagers peuvent y mettre trois jours», fait-il savoir.

Fermeture des frontières, hausse du coût du transport

La Société TCV (Transport Confort Voyageurs) est l’une des rares compagnies de transport qui continuait de proposer des voyages sur la Côte d’Ivoire malgré la fermeture des frontières terrestres. Le responsable administratif de cette société, Corentin Sandwidi, rencontré à leur siège à Ouagadougou, a expliqué qu’il s’agissait d’une «mesure d’accompagnement à l’endroit des passagers qui n’avaient pas les moyens de prendre un billet d’avion, mais qui désiraient rejoindre leurs familles, que ce soit en Côte d’Ivoire ou au Burkina Faso».

Cette compagnie qui a ainsi bravé la mesure de la fermeture des frontières pour «soulager les populations» des deux pays, avait, selon son responsable administratif, mis en place tout un mécanisme, notamment la mise en place d’une agence au niveau de la frontière des deux pays «pour plus ou moins faciliter les choses». Corentin Sandwidi souligne que «les tracasseries policières et douanières» ne manquaient pas. «Au-delà, on avait des prestataires qui nous aidaient à faire traverser les passagers au niveau de la frontière», confie-t-il. Tout cela a entraîné, selon lui, une hausse des tarifs. Ainsi, de 30 000, l’axe Ouaga-Abidjan est passé à 45 000F CFA, informe notre interlocuteur.

M. Sandwidi salue, lui aussi, l’ouverture des frontières qui leur a permis, au sein de TCV, de revenir à leurs tarifs normaux. «Aussi, grâce à cette mesure, nous sommes débarrassés des prestataires qu’on ne connaissait même pas et moins de tracasseries qu’avant», se réjouit-il.

Le train voyageur toujours bloqué sur les rails

Une partie du train voyageur déposée à la gare de train de Ouagadougou

A plus de deux semaines de la réouverture des frontières terrestres ivoiriennes, le train voyageur, lui, n’a toujours pas repris la route Burkina-Côte d’Ivoire. A la gare de train de Ouagadougou, la locomotive, telle une vieille carcasse, est stationnée dans la grande clôture et en pleine chaleur, des riverains de la gare se reposent parfois sous son ombre. Le train, au repos depuis près de trois ans, la poussière, la rouille y ont trouvé refuge.

Selon un agent de la compagnie ferroviaire, le redémarrage du train voyageur n’est pas envisageable pour si tôt, expliquant que le matériel a besoin d’une profonde maintenance. «On ne sait pas quand ça va démarrer. Ça peut prendre même trois mois», confie-t-il. Notre interlocuteur relève, par ailleurs, que cet arrêt «les affecte beaucoup». «On a des familles à notre charge et c’est assez difficile avec la situation. Tout ce qu’on souhaite, c’est le redémarrage», affirme-t-il. Au sein des voyageurs, des voix s’élèvent de plus en plus, s’interrogeant sur la reprise du trafic routier pour le train voyageur.

Par Siaka CISSE