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Retour dans un Burkina… meurtri (2)

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Le Burkina Faso lutte pour ne pas devenir la chose des terroristes (Ph. d'illustration)

Après une première partie qui s’attachait à rendre compte de la grave crise dans laquelle se trouve le Burkina, on trouvera, cette fois dans le texte de Bruno Jaffré ci-dessous, des réflexions suite à des rencontres de quelques personnalités qui pourraient tracer des perspectives d’avenir pour ce pays.

La première partie de cet article se trouve à https://blogs.mediapart.fr/bruno-jaffre/blog/040319/retour-dans-un-burkina-meurtri-1.

Seydou Ra Sablga Ouedraogo et l’institut Free Afrik[1], la recherche en mouvement au service de l’avenir…

Les premiers moments à Ouagadougou, je les ai passés avec Seydou Ra Sablga Ouedraogo. Débarqué de mon avion vers 2 heures du matin, nous avons échangé jusqu’à 6 heures sans voir le temps passer. Une plongée dans un échange d’idées particulièrement riches, dans un bain d’intelligence, de rhétorique, d’indépendance d’esprit. Un plaisir. Sa passion, la recherche scientifique pluridisciplinaire ! Un véritable bourreau de travail qui dort peu, reçoit beaucoup, et passe ses nuits à écrire, avant d’émerger le matin pour gérer tout ce petit monde qui travaille avec lui. Assidument. Beaucoup de jeunes qui l’appellent respectueusement « Le Docteur ».

Nous aurons de nombreuses autres occasions d’échanger, des moments riches et passionnants, souvent autour de menus succulents, toujours locaux.

Il reçoit toujours avec plaisir les jeunes doctorants, leur donnant des conseils, déplorant la négligence de l’enseignement de la méthodologie de recherche dans les parcours de formation. Son mentor c’est Joseph Ki Zerbo, le grand historien burkinabè, un chantre du développement autocentré. Il porte le nom de la salle de conférence. Mais aussi Thomas Sankara, dont le portait trône au centre d’un espace qui porte son nom où sont organisées les conférences, dans la grande cour du siège spacieux de l’institut.

Free Afrik est devenu, en quelques années une référence que les nombreux organismes, en recherche d’études diverses, s’arrachent. Le travail assidu, la rigueur, et l’excellence sont la règle, les clés de la réussite.

Les consultants qui y collaborent se font facturer au prix fort et reversent une partie de leurs honoraires à l’institut dont le financement est complété par des membres fondateurs. Seydou Ra Sablga Ouedraogo en reverse pour sa part la totalité. C’est le prix de la compétence et le gage de l’indépendance qu’il  ne cesse de revendiquer. Ces honoraires servent à payer les salariés de l’institut. Ainsi aujourd’hui, 60% du budget provient des contributions des membres fondateurs et 40% de subventions.

J’ai assisté à 3 de ses conférences en une semaine. Sur des sujets totalement différents. Le premier une étude comparative sur le développement en Corée du sud et au Burkina. Passionnant sujet quand on sait que la Corée du Sud était au niveau du Burkina dans les années 50. Il s’agit de démontrer que le Burkina peut décoller, non en copiant un quelconque modèle mais en recherchant au Burkina son propre modèle, ses propres ressources.

La deuxième, à l’invitation de l’association African Golden qui valorise l’expérience de personnalités marquantes. Devant une salle comble, près de 300 personnes, qui a dû refuser du monde. Un tout autre sujet : « Jeunesse, idéal et invention d’avenir ». Là,  il s’agissait de transmettre des valeurs positives, d’espoir, de travail, de rigueur, d’exigence. Un discours de pédagogue. « Ne vous laissez pas envahir par le discours de justification de votre état du fait de cause externe. Trouvez les moyens en vous-mêmes de trouver de l’énergie pour passer ces épreuves, d’être solidaires. Rapprochez-vous de ceux qui réussissent par leur travail, imposez-vous à eux, cherchez les meilleurs enseignants ». Il raconte : « un de mes amis avait une méthode toute particulière lorsqu’il traversait des périodes de désespoir. Il avait collé un grand portrait de Thomas Sankara sur son mur. Dans ces moments-là, il se plantait devant quelques minutes. Il se retrouvait ragaillardi. »

La troisième conférence était consacrée à la situation économique mondiale, celle de l’Afrique puis du Burkina L’institut en publie un rapport là-dessus chaque année. L’occasion de signaler que certains pays d’Afrique s’en sortent et décollent à l’image du Rwanda et plus récemment de l’Ethiopie. Toujours le souci de transmettre l’espoir, transmettre de l’énergie sans rien perdre en rigueur scientifique.

Menaces de mort

La qualité de son travail, son indépendance d’esprit, sa rigueur et sa franchise lui créent, certes de la jalousie, mais plus gravement, des ennemis redoutables. Sans doute Ra Sablga Seydou Ouedraogo fait-il de l’ombre à nombre d’hommes politiques dont il n’hésite pas à critiquer la vacuité, ceux qui voient en lui, un homme dangereux pour son charisme et un rayonnement toujours plus grand.

Il a plusieurs fois refusé des postes de ministre. Récemment en janvier, à l’occasion de la formation d’un nouveau gouvernement, son nom est souvent revenu. Il a reçu officiellement des propositions. Mais il reste attaché à son rôle d’intellectuel et à son travail à l’Institut et à l’université de Ouaga 2.

Il dénonce aussi sans détour la corruption, y compris dans l’armée, un des sujets sur lequel travaillent plusieurs chercheurs de l’institut.

Depuis quelques temps il reçoit des menaces de mort. Bien sûr, certains pensent qu’il s’agit de plaisantins. D’autres y sont habitués. Mais il est inquiet. Il prend les menaces très au sérieux et prend des précautions, se plaint du manque de solidarité autour de lui. Aussi certaines  conférences organisées à l’institut sont protégées par des forces de sécurité en armes, à l’entrée du siège de l’institut mais aussi disséminées dans la cours et le jardin de la propriété siège de l’institut FREE AFRIK. Aux frais de l’institut ! Cet homme semble pourtant bien précieux pour son pays. La protection doit s’organiser autour de lui.