Ce qui aurait pu être un simple fait divers est en train de devenir une affaire d’Etat, compte tenu, sans doute, de la carrure de la mise en cause. En effet, Rokia Traoré, c’est d’elle qu’il s’agit, n’est pas n’importe qui. Fille de diplomate, la Malienne est aussi une star de la musique africaine. Sa renommée a, du reste, transcendé les frontières du continent, car celle qui a enregistré ses premières chansons sous la direction artistique de l’immense Ali Farka Touré, est même plus adulée en Europe que sur la terre du mythique souverain Soundjata Keïta. Digne descendante du fondateur de l’Empire du Mali, Rokia Traoré, parfois la boule à zéro ou toujours coiffée à la garçonne, porte haut le flambeau de la musique mandingue, mixée avec des sonorités modernes occidentales. Si elle a toujours occupé l’actualité en tant qu’ambassadrice incontestée de la musique, dont la voix et les doigts sur les cordes de sa guitare, charment les oreilles les plus dures, aujourd’hui, Rokia est une simple femme en fuite. Poursuivie par la justice belge pour non respect d’un jugement rendu en 2019 qui la contraignait à remettre sa fille de cinq ans à son père de nationalité belge, l’amazone venue des bords du Djoliba, qui est retournée dans son Mali natal sur la pointe des pieds, pourrait bientôt faire l’objet d’un nouveau mandat qui, cette fois-ci, viendrait de la France, pour violation de contrôle judiciaire.
Qu’a-t-elle donc fait pour être pourchassée comme une dangereuse criminelle? Le seul péché de Rokia Traoré dont les autorités de son pays, le Mali, demandent une pacification de l’affaire qui prend désormais des proportions diplomatiques, c’est son refus de se séparer de sa fille, âgée seulement de cinq ans. Comme l’auteur à succès, Betty Mahmoody, Rokia Traoré a osé dire «Jamais sans ma fille», alors qu’une décision de la justice belge allait lui enlever sa petite fille de cinq ans. «Red lex, sed lex», ou en français facile, «dure est la loi, mais c’est la loi». Mieux, nul n’est censé l’ignorer, comme le dit l’implacable adage, surtout quand la fautive qui a pris la clé des champs, le 9 mai 2020, de la France où elle a été bloquée, Covid-19 oblige, en attendant d’être remise à la Belgique, sait pertinemment que la loi n’a pas de sentiment. Que diantre est-elle allée chercher dans cette galère pour y être retenue sans autre forme de procès! Il lui a fallu finalement jouer les Carlos Ghosn, l’homme qui a réussi à se soustraire des serres de la justice japonaise, dans une évasion qui a terni la réputation de Son Altesse Sérénisme, Malko Linge, le séduisant prince des croustillants romans de la série SAS. Et si la justice, qu’elle soit belge, française ou internationale, jouait sur le terrain de la pacification où entend l’amener, le ministre malien des Affaires étrangères? A notre humble avis de quidam qui pense, peut-être naïvement, aux intérêts d’une enfant que cette affaire pourrait traumatiser à vie, il est temps de trouver un modus vivendi dans ce feuilleton judiciaire, au moins jusqu’à ce que la petite fille puisse avoir par exemple l’âge de décider avec lequel de ses parents elle va vivre, ou tout au moins l’âge d’être séparée de sa mère. La loi recommande également cette option.
Question: combien sont-ils aujourd’hui, ces enfants africains métissés, belges ou français, dont les pères ont quitté le continent, après la colonisation ou une mission de longue durée, les abandonnant à leur triste sort, ou pire, en les arrachant à leurs mères, noires, sans défense et malheureusement ignorant la loi? A moins qu’il y ait d’autres desseins qui n’ont pas été révélés, cette affaire ne doit pas en être une, ou alors ne devait pas sortir de ce que nous appelons dans le jargon des journalistes, la rubrique des «chiens écrasés».
Par Wakat Séra