Ils ont été assassinés, alors qu’ils ne réclamaient que ce qui devait leur revenir, après qu’ils ont exposé leurs poitrines aux balles ennemies, pour sauver la France. Ironie du sort, ce sont les militaires de cette même armée française, au sein de laquelle la plupart d’entre eux ont été tués, et d’autres faits prisonniers, tandis qu’ils s’étaient engagés pour sauver la patrie de «nos ancêtres les Gaulois», qui les «zigouillerons». C’est sans état d’âme, que leurs bourreaux, parce qu’ils ne pouvaient supporter que des «nègres» osent leur tenir tête, ont accompli la sale besogne. Non seulement au moment de la célébration de la victoire, ils se sont retrouvés en queue de peloton, alors qu’au front ils étaient en première ligne, ils verront les canons de leurs propres compagnons d’arme se retourner contre eux, dans un effroyable bain de sang. Ainsi, se résume, ce que l’ancien président français, François Hollande, a qualifié de «massacre» et qui a eu pour théâtre le funeste camp de Thiaroye.
Combien ont-ils été à payer de leurs vies, leur outrecuidance à exiger leur dû? Pourquoi ont-ils été tirés comme des lapins? Qui a donné l’ordre pour que s’accomplisse cette tuerie? Quel était leur nombre exact, certaines sources ayant évoqué des centaines? Quelles étaient leurs différentes nationalités? Ont-ils eu des obsèques décentes, comme l’exige le respect des morts en Afrique? Ont-ils été, plutôt, ramassés à la pelle et empilés dans une, ou des fosses communes, comme dit dans certains récits? En tout cas, si ces interrogations auxquelles il est temps de répondre pour rendre à ces morts, l’hommage et la dignité qu’ils méritent, demeurent pour l’instant sans réponse, on sait au moins que tous étaient des «tirailleurs sénégalais». C’est le nom générique trouvé pour qualifier, des marchandises en gros, ces ressortissants du Sénégal, du Dahomey, aujourd’hui Bénin, de l’Algérie, du Mali, de la Guinée, du Niger, du Togo, etc., qui ont été, ou se sont, enrôlés pour défendre, vaillamment, le drapeau français lors de la seconde guerre mondiale. Certes, pour honorer leurs mémoires, la France a fini par organiser des cérémonies et ériger des stèles pour eux. Mais «c’est bon, mais c’est pas arrivé», comme on le dit à Sandaga, le grand marché de Dakar.
80 ans après, la plaie ne s’est toujours pas cicatrisée, et les descendants des morts de Thiaroye veulent savoir ce qui s’est réellement passé, la vérité et toute la vérité, comme on le dit au tribunal. Même les députés français, plus que jamais, exigent ce devoir mémoriel de la part de la France. C’est dans cette logique que cinq d’entre eux, ce mardi 26 septembre, soit à quelques jours de la commémoration de cette triste date du 1er décembre 1944, ont proposé la création d’une commission parlementaire, qui devra, quitte à remuer le couteau dans la plaie, réécrire la vraie histoire du «massacre» du camp de Thiaroye. Et pour aller au bout du symbole, cette commission portera le nom de Sembène Ousmane, célèbre écrivain et homme de cinéma sénégalais, et, surtout, ancien tirailleur, qui a porté à l’écran, l’histoire macabre du «Camp de Thiaroye» sous le titre éponyme. Sauf que, si cette proposition des cinq élus est une initiative à saluer dans le cadre de la recherche de la vérité, sa création et la conduite à bon port, donc sans diverses entraves, de ses investigations, pourraient bien relever d’un autre défi.
Pourtant, la France est un pays des droits de l’homme et la manifestation de la vérité sur les événements du lugubre camp de Thiaroye sera à son honneur et permettra aux Africains de faire définitivement le deuil de leurs «morts», à qui justice doit être rendue.
En Afrique, «les morts ne sont pas morts», a clamé le poète…sénégalais, l’immense Birago Diop!
Par Wakat Séra