Ceci est un compte-rendu du point de presse téléphonique du 7 octobre 2020, entre des journalistes du monde entier et l’envoyé spécial des États-Unis pour la région du Sahel en Afrique, J. Peter Pham. Il s’est surtout agi pour l’ambassadeur, selon le document du Centre médiatique régional de l’Afrique, service placé sous la coupe du Département d’Etat américain, d’évoquer l’engagement des Etats-Unis au Sahel, la situation politique qui prévaut actuellement au Mali, notamment les efforts des Etats-Unis, qui, aux côtés de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) et du G5 Sahel, travaillent pour le retour définitif de ce pays, à un Etat de droit. Voici les réponses du diplomate aux préoccupations des hommes et femmes des médias, préoccupations qui sont en gras dans le texte.
Sur le Mali
Je viens de rentrer d’un voyage à Bamako, au Mali, dans la mesure où le renversement, en août, du gouvernement élu au Mali montre que ce pays reste l’épicentre de l’instabilité politique au Sahel. Les manifestations politiques, avant les événements qui ont suivi, sont toutes une indication claire de la nécessité de remédier aux lacunes de longue date en matière de gouvernance au Mali.
Les États-Unis condamnent les actions du 18 août, visant à renverser le président élu du Mali et ont immédiatement interrompu notre aide à la sécurité au Mali, nous continuons également à appeler à la libération des responsables de l’ancien gouvernement et de leurs familles, détenus illégalement. Le 5 octobre, le président de transition du Mali, Bah N’Daw, a annoncé l’ensemble du cabinet du gouvernement de transition, et la CEDEAO a annoncé la levée des sanctions imposées au Mali depuis août. Comme indiqué dans la déclaration publique du Département d’État il y a quelques jours, les États-Unis considèrent la création de ce gouvernement de transition comme une première étape vers un retour à l’ordre constitutionnel.
La semaine dernière, je me suis rendu à Bamako, en appui aux efforts de la CEDEAO, et pour faciliter la promotion des intérêts et des objectifs des États-Unis, notamment d’une transition menée par des civils permettant d’aboutir à des élections dans un délai de 18 mois et au retour à l’ordre constitutionnel. Lors de mes rencontres avec des représentants du gouvernement de transition, j’ai souligné qu’il doit avant tout concentrer son action sur la préparation de ces élections.
Il doit également simultanément protéger la population et entreprendre certaines réformes prioritaires pour répondre aux doléances sous-jacentes du peuple malien, notamment dans les domaines du processus électoral, de la lutte contre la corruption, de la protection des droits de l’homme et de la mise en œuvre de l’Accord d’Alger, l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali. S’il ne répond pas à ces préoccupations, l’instabilité politique pourrait bien revenir.
Mes interlocuteurs au Mali, parmi lesquels non seulement des représentants du gouvernement, des partenaires diplomatiques, mais aussi un large éventail de représentants des cultes et de la société civile ainsi que des journalistes, ont tous souligné, à plusieurs reprises, l’importance d’une bonne gouvernance pour faire face aux nombreux défis et griefs du peuple malien. Le gouvernement de transition doit s’engager à faire les choix difficiles nécessaires en ce qui concerne la corruption et les réformes de bonne gouvernance au service de tous les Maliens de la même manière, avec transparence, et dans le cadre d’un système fondé sur des règles. Les États-Unis continuent de soutenir les principes de l’Accord d’Alger, car il s’agit du meilleur moyen à notre disposition pour résoudre le conflit dans le nord du Mali, et donner aux populations marginalisées un plus grand sentiment d’inclusion dans l’État malien. Si elles étaient mises en œuvre, ces dispositions favoriseraient la stabilité au Mali et dans la région.
Nous encourageons le gouvernement de transition à mener des enquêtes crédibles et transparentes sur les allégations d’exécutions extrajudiciaires par les forces de défense et de sécurité du Mali. Les responsables doivent en rendre compte.
Au mois de septembre, comme vous le savez, je me suis également rendu dans deux autres pays de la région, la Mauritanie et le Niger. Je me suis attaché, en plus de nos priorités bilatérales, à mettre en exergue le soutien américain aux institutions régionales, notamment en rencontrant le président nigérien Issoufou, qui venait de terminer 15 mois à la présidence de la CEDEAO, ainsi que le président mauritanien Ghazouani, l’actuel président du G5 Sahel. J’ai également rencontré Mama Sidikou, le secrétaire exécutif du G5 Sahel à Nouakchott. La CEDEAO et le G5 Sahel ont collaboré pour faire en sorte que la région et la communauté internationale continuent à travailler ensemble au rétablissement du gouvernement constitutionnel, dans le cadre d’une transition opportune menée par les civils au Mali. Et alors que la situation au Mali évolue, les États-Unis continuent de travailler en étroite collaboration avec nos partenaires internationaux et régionaux en vue de faciliter un retour à l’ordre constitutionnel et le processus, à plus long terme, de mise en place d’une gouvernance inclusive et efficace.
A propos du départ des Etats-Unis du Sahel
Nous sommes plus engagés maintenant que nous ne l’avons été dans le passé. Depuis que le secrétaire d’État a approuvé, à la fin de l’année dernière, un cadre d’engagement diplomatique, nous avons en fait créé mon poste d’envoyé spécial pour le Sahel et renforcé notre engagement dans la région.
Sur l’examen de remise à plat que le département de la Défense entreprend actuellement, je peux dire qu’aucune conclusion définitive n’est ressortie de cet examen particulier, et même si cela devait entraîner une réduction quelconque de notre présence, et nous ne le savons pas, la majorité de l’aide américaine à la sécurité dans la région provient du département d’État et non du département de la Défense.
Les États-Unis avaient suspendu l’aide militaire au Mali après le coup d’État du 18 août. Le moment est-il venu pour les États-Unis de rétablir l’aide militaire, combien de temps cela prendra-t-il et de quoi dépend la décision?
Plusieurs choses. Premièrement, en cas de renversement extra-constitutionnel d’un gouvernement élu – une prise de contrôle par l’armée, nous sommes obligés par la loi américaine de restreindre l’aide dont bénéficie ce gouvernement jusqu’à ce que l’ordre constitutionnel soit rétabli. Ces restrictions restent en vigueur. Elles sont cependant très spécifiques. Cette assistance en matière de sécurité au régime qui succède à un gouvernement élu, il ne s’agit pas de l’aide humanitaire ou de l’aide au développement qui passe par nos nombreux partenaires dans le domaine du développement, non gouvernementaux et internationaux. Donc cette assistance, qui constitue l’essentiel de notre assistance au Mali, continue, elle.
Nous considérons certainement la mise en place du gouvernement de transition, que j’ai rencontré, comme une première étape de ce processus vers un rétablissement de l’ordre constitutionnel par des élections libres et équitables. Mais tant qu’elles n’auront pas eu lieu et qu’un gouvernement constitutionnel ne sera pas rétabli, nous sommes obligés, en vertu de la loi américaine, de restreindre notre aide – notre assistance militaire, je veux dire – au régime.
Tout ce qui concerne l’aide à la sécurité restera suspendu? Actuellement, l’aide en matière de sécurité dirigée aux autorités au Mali est suspendue. Notre autre aide à nos partenaires internationaux, que ce soit le G5 Sahel, que ce soit nos alliés français dans l’opération Barkhane, ou les partenaires européens à Takuba, ou notre coopération avec la Mission MINUSMA de l’ONU, tout cela reste en place.
Sur l’effet de l’instabilité au Mali sur la région. Pouvez-vous en parler? Tout effet observable dans d’autres pays, par exemple, une augmentation de la violence ou toute autre préoccupation éventuelle?
Comme je l’ai dit dans mon allocution et comme je l’ai dit par le passé, nous considérons le Mali comme l’épicentre – il ne peut y avoir de Sahel stable et sûr sans un Mali stable et sûr. Certes, le Mali est depuis un certain temps l’épicentre de la violence et des activités extrémistes dans la région. Heureusement – il s’agit d’un ensemble de données très limité, et je pense que c’est en partie dû aux activités permanentes des Nations unies, la mission de maintien de la paix,
l’opération Barkhane et la Force conjointe du G5, nous n’avons pas assisté à une recrudescence de la violence dans la région, mais nous suivons certainement de très près la situation et ce danger persiste sans aucun doute.
On a fait état de frictions entre les États-Unis et la France sur leurs politiques et leurs objectifs au Sahel. Pouvez-vous dire si les intérêts des Etats-Unis sont-ils toujours en accord avec les intérêts français au Sahel?
Premièrement, tous nos partenaires, partenaires internationaux, européens ou africains, ont intérêt comme nous à accroître la stabilité dans la région, à la renforcer. Nous sommes également d’accord sur certaines des causes fondamentales de cette instabilité là-bas, à savoir des carences au niveau de la gouvernance, du développement. Et nous avons tous intérêt à combattre les organisations extrémistes et à réduire leurs capacités. Et j’ajouterais également que j’entretiens d’excellentes relations avec mes homologues européens et africains. Nous nous rencontrons régulièrement. Nous parlons régulièrement. Lors de mon avant-dernier voyage, en septembre, j’ai fait escale à Paris et j’ai rencontré non seulement mes homologues directs français, au ministère des Affaires étrangères, mais aussi de la présidence en France ainsi qu’au ministère des Armées.
Cela dit, et sachant également que nous sommes certainement favorables à une meilleure coordination de l’appui international à la région, je voudrais faire deux remarques. Premièrement, une meilleure coordination et un échange d’informations accru sont non seulement nécessaires et vitaux, mais la multiplication des réunions et des structures ne s’accompagne pas nécessairement de progrès sur le terrain. Et avec tout le respect que je dois à certains de nos collègues, la multiplication des réunions et des structures, et des groupes et sous-groupes en constante évolution, cela ne fait pas avancer les choses sur le terrain.
Deuxièmement, je pense que nous devons être francs et reconnaître que nous avons dans cette région une histoire différente de celle de nos amis français, en particulier, puisque vous avez posé des questions sur la France. Nous n’avons pas l’héritage précolonial et colonial. Il n’y a jamais eu de version américaine de la colonne Chanoine–Voulet, qui a dévasté une bande de 3 kilomètres à travers le Sahel et commis des atrocités indicibles il y a un peu plus d’un siècle. Nous n’avons donc pas ce lourd passif, ni les tensions qui se sont accumulées ces dernières années à la fois sur les questions économiques et sur les priorités de sécurité.
Donc, dans un sens, nos relations avec nos partenaires sahéliens sont un peu différentes. Et par conséquent, notre optique et nos perspectives sont un peu différentes, ce qui conduit naturellement parfois à une vision différente des choses.
Peur de la contagion à des pays comme la Guinée-Bissau ou la Guinée-Conakry ou le Sénégal. La violence a fait chez nous 4 500 victimes au cours des six premiers mois. Il n’y a pas de structures gouvernementales. Nous avons donc une montée de la violence au Mali, au Burkina Faso, au Niger. Il y a eu un pic de 50 pour cent l’année dernière. La violence a fait 4 500 morts au cours des six premiers mois. Il y a la notion des États et il n’y a pas d’interlocuteurs avec qui parler. Si vous deviez établir cette priorité pour apaiser ou réorienter la politique internationale au Sahel, que suggéreriez-vous?
Pour l’international, je pense qu’il nous faut une meilleure coordination, mais cela ne signifie pas multiplier les réunions. Une meilleure coordination, un échange d’informations plus efficace, et je dirais troisièmement – je pense également que vous avez mentionné les États côtiers. Certes, avec l’escalade de la violence au Sahel, les États côtiers de l’Afrique de l’Ouest, en particulier la Guinée, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Togo et le Bénin, sont tous confrontés à des menaces d’attaque croissantes. Et nous y surveillons de très près les infiltrations extrémistes potentielles.
Maintenant, j’ajouterais également que j’ai mentionné au début de cet appel que la gouvernance est essentielle et il faut reconnaître que le recul démocratique, la fragilité politique dans certaines parties de la région, aggravent certainement la situation et rendent les pays plus vulnérables à l’impact ou à la propagation de l’insécurité au Sahel.
Le 24 septembre, les États-Unis ont annoncé un total de 152 millions de dollars d’aide humanitaire aux pays de la région du Sahel. Le Nigéria en était manifestement absent. Pourquoi le Nigéria n’a pas été inclus?
Ces 152 millions étaient spécifiquement destinés à la Mauritanie, au Mali, au Niger et au Burkina Faso pour aider spécifiquement les personnes déplacées par le conflit ouvert dans la région. Ce n’était donc pas à l’exclusion des autres, mais il s’agit d’un programme très spécifique compte tenu de la situation dans ces pays sahéliens en particulier.
Vous avez parlé de l’engagement des États-Unis en faveur d’une transition menée par des civils au Mali. Après votre voyage, comment évaluez-vous la viabilité du gouvernement intérimaire et du cabinet nouvellement nommé, et dans quelle mesure le conseil militaire travaille-t-il avec la coalition M5 qui a forcé le président Keita à démissionner?
Il y a deux ou trois choses différentes que nous devons décomposer. La première est certainement la nomination il y a deux jours de 25 ministres. Nous saluons la formation de ce gouvernement qui est une nouvelle étape sur la voie du retour à l’ordre constitutionnel. Nous connaissons certains membres de ce cabinet. Nous nous félicitons du fait qu’ils viennent d’une variété d’un grand nombre de régions différentes, avec différents intérêts sociétaux et des parties prenantes différentes. C’est donc, je pense, un pas très positif.
Comme l’a dit la CEDEAO elle-même, le CNSP, le conseil militaire qui a pris le pouvoir après le 18 août, sa dissolution fait partie intégrante de la formation de ce nouveau gouvernement, nous attendons donc avec impatience la suite de ce processus.
En fait, j’ai parlé à toute une série d’interlocuteurs au Mali. Comme je l’ai dit, des représentants du gouvernement, mais aussi des chefs religieux. J’ai même rencontré l’imam Mahmoud Dicko, également des partenaires diplomatiques, des ONG, la société civile, des chefs traditionnels, un large éventail de personnes. Et ce qu’il en ressort, c’est qu’une portion importante de la société malienne soutient la réforme. L’autorité de transition bénéficie peut-être d’un soutien à titre d’instrument au service de réformes.
Je pense toutefois qu’elle doit maintenant répondre très rapidement à des attentes très élevées à son égard, et je pense qu’elle ne dispose pour cela que d’un créneau de temps très limité. Mais pour le moment, le gouvernement de transition bénéficie d’un soutien quasi universel au Mali, et nous devons en tenir compte.
Il y aura beaucoup d’élections dans les pays voisins du Mali dans les semaines à venir. La Guinée, la Côte d’Ivoire, le Burkina et le Niger se rendront aux urnes. Craignez-vous que la situation politique, en particulier en Guinée et en Côte d’Ivoire et les tensions que nous pouvons constater, aient une répercussion sur les efforts de la communauté internationale pour lutter contre l’extrémisme dans cette région?
Les élections sont évidemment un élément essentiel pour garantir la stabilité et la bonne gouvernance dans la région. En ce qui concerne spécifiquement les questions constitutionnelles en Guinée et en Côte d’Ivoire, je voudrais attirer votre attention sur les déclarations faites par le Département d’État, et si vous ne pouvez pas les localiser, je suis sûr que mes collègues du centre pour les médias peuvent vous aider. Je n’ai rien à y ajouter.
Ce que je dirais, c’est que la bonne gouvernance est essentielle et que la bonne gouvernance repose sur la légitimité de l’État et des autorités gouvernementales. C’est essentiel dans la lutte contre l’insécurité et l’extrémisme, contre la violence. Donc, tout ce qui la compromet est certainement un motif de préoccupation.
La sécurité autour des élections est également une autre source de préoccupation, en particulier dans les régions qui connaissent déjà des conflits, comme le Burkina Faso et le Niger. En revanche, lorsque j’étais au Niger il y a quelques semaines à peine, j’ai félicité le président Issoufou d’avoir respecté la limite constitutionnelle et de démissionner après deux mandats, et en fait, lorsqu’il le fera au début de l’année prochaine et qu’il transmettra le pouvoir à celui qui est élu pour lui succéder, il s’agira d’un réel progrès. Ce sera la première fois au cours des soixante ans d’indépendance du Niger qu’un président élu terminera son mandat et remettra le pouvoir à un successeur élu. Nous devons donc également prendre acte des évolutions positives quand nous les voyons. C’est tout.
Conclusion
Je tiens à souligner encore une fois l’importance de la légitimité fondée sur la bonne gouvernance et basée sur le respect des droits de l’homme. Et lors de mes rencontres avec les autorités maliennes, je n’ai pas manqué de le marteler à plusieurs reprises. Il ne doit pas s’agir de simples paroles, nous voulons des enquêtes crédibles, avec des preuves qui justifient les processus judiciaires et la responsabilité des personnes détenues – accusées de graves violations des droits de l’homme. Sinon, ce n’est pas seulement moralement répréhensible, c’est – les violations des droits de l’homme sont inacceptables sur le plan stratégique et compromettent l’efficacité et la légitimité du gouvernement. Parallèlement à cela, nous réitérons notre appel en faveur de – au Mali pour la libération d’anciens fonctionnaires et d’autres détenus. S’ils sont soupçonnés de crimes, qu’ils soient inculpés dans le cadre d’une procédure régulière. Sinon, ils doivent être remis en liberté, ainsi que leurs familles sans évidemment.