Le Collectif Contre la Confiscation de la Démocratie au Burkina Faso dans cette adresse à Emmanuel Macron Président de la République française, relève que « l’arrivée au pouvoir du Président Roch Marc Christian Kaboré, de son équipe et de tous ses soutiens, à l’intérieur comme à l’extérieur du Burkina Faso, n’a pas créé les conditions de restauration de la démocratie, pas plus qu’elle n’a traité avec diligence les dossiers de crimes économiques et de crimes de sang, qui ont pourtant contribué à l’aggravation de la pauvreté et du déficit démocratique ».
Excellence, Monsieur le Président,
A l’occasion de votre visite d’Etat au Burkina Faso, le Collectif Contre la Confiscation de la Démocratie au Burkina Faso souhaite vous interpeller sur la situation actuelle dans ce pays post-insurrectionnel. Les relations entre la France et l’Afrique en général, le Burkina Faso en particulier, sont historiques et multiformes. Aussi est-il propice pour notre Collectif, en tant que sentinelle sur les questions touchant la construction de la démocratie dans ce pays, de revenir avec vous sur des points de préoccupation majeure.
L’insurrection des 30 et 31 octobre 2014 qui a chassé Blaise Compaoré du pouvoir, la mise en échec du coup d’état militaire du 16 septembre 2015, sont l’illustration concrète de la détermination d’un peuple désireux d’en finir avec les autocraties de tous genres, pour poser les conditions d’une démocratie et d’un développement véritables. Ces résistances s‘inscrivent dans un long cycle de luttes multiformes, nourries de beaucoup de sacrifices, y compris en vie humaine. Mais ces victoires conservent malgré tout un goût amer.
L’éviction de Blaise Compaoré et de son régime se solde par un passif dont le peuple burkinabè conserve le souvenir : l’exfiltration par l’armée française du président déchu et ses proches, pour services rendus et dont l’exil les protège des poursuites par la justice burkinabè. La paix sociale ne se gagne pas par des injonctions de réconciliation nationale et de pardon. Les attentes exprimées par toutes les composantes du peuple, avant, pendant et après l’insurrection, semblent déjà sorties de la mémoire du régime en place alors même qu’il s’est engagé à y répondre.
L’arrivée au pouvoir du Président Rock Marc Christian KABORE, de son équipe et de tous ses soutiens, à l’intérieur comme à l’extérieur du Burkina Faso, n’a pas créé les conditions de restauration de la démocratie, pas plus qu’elle n’a traité avec diligence les dossiers de crimes économiques et de crimes de sang, qui ont pourtant contribué à l’aggravation de la pauvreté et du déficit démocratique. Son discours promettait une lutte sans concession contre la corruption, etc. Ces promesses sont aujourd’hui lettre morte.
Et pourtant il y a urgence à créer des conditions indispensables pour donner au peuple burkinabè des véritables signes de volonté politique pour sortir de la crise politique, sociale et économique devenue structurelle au Burkina Faso depuis fort longtemps. Ces signes tardent à venir. Le peuple avait pourtant nourri tant d’espoir, formulé tant d’attentes que les nombreuses et historiques luttes politiques et syndicales n’ont eu de cesse de porter et de traduire, jusqu’au-delà des frontières nationales. L’impatience semble regagner les rangs de tous les laissés-pour-compte de la nouvelle donne politique qui, à plusieurs égards emboîte les pas de son prédécesseur.
Si l’expectative fut spectaculaire, la déception du peuple, aujourd’hui, est immense.
En effet, désormais de larges couches du peuple vivent avec cette conviction que la victoire de l’insurrection leur a été volée. Cette braderie des acquis se perpètre par une certaine inertie du pouvoir, mieux, par des agitations communicationnelles sans effet réel sur les conditions de vie et de travail du plus grand nombre. Pendant ce temps une nouvelle classe, appendice du « nouveau pouvoir » se fraye des chemins d’enrichissement où la corruption redevient la règle. A ce sentiment négatif s’ajoute celle de la défiance envers toute forme de domination, interne et externe, et la France n’est pas en reste. Cette défiance s’alimente de la conscience populaire selon laquelle les relations France-Burkina restent marquées par la survivance et la pérennisation de l’hégémonie, dont on est en raison et en droit de penser que son temps est révolu. Pour preuve, ces ingérences extérieures sur des questions cruciales au Burkina Faso comme l’exfiltration de l’ancien président, de sa famille et de ses proches ; les pressions suite aux démêlées judiciaires du général Djibril Bassolé ; le cas de François Compaoré, il y a quelques semaines sur le territoire français, narguant la justice burkinabè, sans oublier les lourds soupçons de complicités françaises qui planent sur les autorités françaises dans l’assassinat du Président Thomas Sankara, etc.
C’est dans cette logique de domination que nous dénonçons l’intervention française en Libye, dont les tragédies actuelles ne sont que l’une des macabres conséquences. Dans ce contexte de confusion et d’amnésie, notre Collectif reste disponible à contribuer au dialogue nécessaire sur la question des migrants africains vers l’Europe.
Enfin, la multiplication des attaques terroristes dans la zone sahélo-saharienne constitue une préoccupation majeure pour les peuples de ces pays et pour notre Collectif.
En tout état de cause, nous ne sommes pas sans savoir que si de telles relations de domination semblent se justifier par la raison d’Etat, elles constituent en réalité des entailles dans le cœur des peuples du Burkina Faso qui, dans leur lutte pour la survie, la liberté et la démocratie, se voient toujours confisquer leurs victoires.
Excellence, Monsieur le Président, votre visite s’inscrit dans cette ambiguïté, marquée à la fois, par votre discours dont le ton donne la prééminence au respect des droits des peuples et à la souveraineté des nations, et cette histoire teintée de postures négatives diverses qui hantent la mémoire du présent. Mais une telle ambivalence ne devrait-elle pas être considérée comme un atout ? En sachant ce qu’est l’histoire des relations franco-burkinabè, vous êtes particulièrement bien placé pour engager avec votre homologue un autre dialogue et un autre type de coopération, respectueux des droits fondamentaux de chacune des parties. Ces droits, universels, ont fait, en leur temps, la fierté de la France et du peuple français. Dans cette perspective, nous osons espérer que les aspirations légitimes du peuple burkinabè seront au cœur de votre visite, un peuple qui ne peut plus continuer à servir, par son travail, ses sacrifices, à entretenir et faire perdurer une relation dans laquelle il sert de monnaie d’échange, et où ses intérêts sont ignorés, bradés.
Nous voulons voir dans le choix de prononcer au Burkina Faso votre discours dévoilant votre conception d’une nouvelle relation franco-africaine, le choix d’une option : celle de la reconnaissance d’un peuple qui a fait le serment de «ne jamais se coucher» (N’an Laara an Saara !), ne jamais s’avouer vaincu.
C’est pourquoi notre Collectif sera attentif à cette visite et se donnera les moyens, avec vigilance et esprit de suite, de la scruter dans toutes ses séquences, pour en dégager la réelle portée et signification politiques. La destinée de la France que vous avez sur vos épaules depuis mai 2017 vous charge aussi de son histoire, non pour la perpétuer, mais pour la rendre féconde. La mémoire étant ce qui nous reste pour construire notre présent, c’est sans doute pour cette raison que vous avez fait le pari de respecter les peuples et les nations, dans leurs diversités, dans leur histoire, en leur reconnaissant ce droit de frayer leur propre chemin vers la démocratie, la liberté et le développement. C’est cela la souveraineté même. Aussi comprenons-nous que le temps, pour la France, d’imposer une vision à une nation ne fasse pas partie de vos convictions de responsable politique, tant il est désormais clair pour tout observateur averti que la fin de la Françafrique n’est plus une vague et lointaine espérance, mais bel et bien, un objectif immédiat inscrit dans l’agenda des vigoureuses luttes démocratiques qui déferlent partout sur le continent africain.
Notre Collectif, au regard de l’engagement pris en solidarité avec le peuple burkinabè en lutte, souhaite poursuivre ce dialogue avec vous ou vos représentants, avec les élus de la nation française et tous ceux qui restent persuadés de la nécessité de ce changement.
Excellence, Monsieur le Président,
Le Collectif Contre la Confiscation de la Démocratie au Burkina Faso vous rappelle son attachement aux valeurs de la démocratie, de liberté et de progrès social, sa solidarité envers les peuples du Burkina dans leurs luttes pour défendre, conserver et élargir ces valeurs.
Excellence, Monsieur le Président, le Collectif vous souhaite un excellent séjour au Burkina Faso !
Paris, le 24 Novembre 2017
Organisations signataires du Collectif :
- UPC France (Union pour la Progrès et le Changement – Section de France)
- UABF (Union des Associations Burkinabè de France)
- AEBF (Association des Étudiants Burkinabè en France)
- Balai Citoyen – Paris
- CCDB (Comité Culturel pour la Démocratie au Benin)
- CIJKAD (Comité International Joseph Ki-Zerbo pour l’Afrique et la Diaspora)
- LPP (La Plateforme Panafricaine)
- La Ligue Panafricaine UMOJA
- MBDHP-SF (Mouvement Burkinabè des Droits de l’Homme et des Peuples –Section de France)
- Pour L’Émergence Africaine, Mouvement pour la Réflexion, la Démocratie et le
Développement Durable en Afrique
- UGBOF (Union des Burkinabè du Grand Ouest de la France)